vendredi 22 juin 2018

BLACK HAMMER : AGE OF DOOM #3, de Jeff Lemire et Dean Ormston


Outre ses qualités propres, lire le troisième épisode de Black Hammer: Age of Doom après le deuxième de Justice League permet de comparer la rigueur dont fait preuve Jeff Lemire pour concevoir son histoire. Moins gourmand mais plus précis et plus inventif, la série dessinée par Dean Ormston ne cesse de séduire, se permettant même quelques allusions à d'autres productions de son créateur.


Abe s'entretient avec Tammy et la convainc qu'il n'est pas responsable de la disparition de son ex-mari, Earl, le shérif de Rockwood. C'est alors que ce dernier réapparaît dans la rue ! Ils vont à sa rencontre et le découvrent, contre toute attente, heureux de les voir ensemble et expliquant son absence par une partie de pêche...


Pendant ce temps, Lucy Weber et Jack Sabbath ont atterri dans le Dreamland, où les ont expédiés Lonnie James puis le Diable. Le maître de cette dimension accepte volontiers de les aider à regagner leur foyer à la seule condition qu'ils participent à un repas de famille avec le gardien du temps, la maîtresse de la mort, le frère de la destruction et les jumeaux de l'amour.


Barbalien, sous sa forme humaine, se résout lui aussi à parler au Père Quinn et lui avoue ses sentiments, convaincu qu'ils sont réciproques. A sa grande surprise, le religieux l'admet et, pour le prouver, l'embrasse !

Mais tout cela est l'oeuvre de Madame Dragonfly et de sa magie noire. Le Colonel Weird désapprouve ces manipulations mais la sorcière le menace de l'éliminer s'il ne respecte pas un accord qu'ils ont passé jadis.


Comme convenu, le maître de Dreamland guide Lucy Weber et Jack Sabbath vers une issue qui les ramènera chez eux. Jack finit pourtant par quitter Lucy lorsque, en utilisant le marteau de son père, elle s'oriente. Elle resurgit dans la cabane de Mme Dragonfly et exige des explications concernant ce qu'elle lui a fait...

Ce n'est l'ambition ni l'imagination qui font défaut à Jeff Lemire comme le prouve à nouveau cet épisode, mais c'est surtout la rigueur avec laquelle il mène son affaire qui fait la différence. Comme Justice League ou Avengers, Black Hammer est un team-book, une série d'équipe, à la différence près qu'elle est écrite avec la liberté qu'autorise un éditeur comme Dark Horse et une construction solide malgré sa fantaisie.

En vingt pages, Lemire brasse beaucoup d'éléments et d'ambiances sans que sa narration ne soit encombrée ou n'oublie quoi que ce soit. L'épisode est pourtant moins épique que celui du mois dernier, avec moins d'action, et pourtant on ne s'ennuie pas une seconde, le récit progresse, des révélations ont lieu tout en conservant un épais voile de mystère.

Ainsi, on va et vient des membres de l'équipe coincés à Rockwood au périple inter-dimensionnel de Lucy Weber et Jack Sabbath. Dans ces allers et retours, Lemire aborde des thèmes vertigineux comme le pouvoir de la fiction, les choix qui déterminent notre histoire, la nécessité du dialogue et le trouble des aveux. En vérité, tout renvoie à la rédaction comme effort et comme rebondissement à part entière.

Qu'il s'agisse d'allusions émises par le maître du Dreamland ou de l'échange entre Abe et Tammy ou de la confession de Barbalien au Père Quinn, tout passe par les mots et ces mots guident le lecteur vers la situation, la scène suivante. Le rôle de Mme Dragonfly s'en trouve subitement éclairé (même si on pouvait se douter qu'elle manigançait bien des choses dans son coin), mais la complicité du Colonel Weird avec la sorcière surprend davantage (encore qu'il n'ait jamais été bien net lui non plus). Et quand Black Hammer/Lucy Weber apparaît devant eux à la dernière page, la promesse d'une explication musclée est évidente le mois prochain.

Dean Ormston n'est pas intimidé par la richesse d'un tel script et cela permet aussi au lecteur de les intégrer car des questions comme la destinée, l'homosexualité, l'héritage sont brassés de manière très dense et fluide à la fois. 

De son trait unique, toujours un peu tremblotant, ne respectant pas vraiment les règles de la perspective et des proportions, avec une expressivité indécise, l'artiste parvient malgré tout à diffuser l'essentiel. Surtout, ce style si particulier, pas franchement classiquement beau ou efficace, garde le récit à hauteur d'hommes alors même qu'on se promène entre les dimensions, qu'on est face à des sentiments intenses, qu'on baigne dans des ambiances étranges.

Black Hammer, c'est tout cela : un comic-book qui ne met pas tous ses oeufs dans le même panier pour en mettre plein la vue au lecteur, mais une proposition alternative qui, tous les trente jours, est tout de même aussi plein que ce que les "big two" produisent tous les quinze jours-trois semaines.

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