jeudi 22 mars 2018

WONDER WOMAN, de Patty Jenkins


Ces derniers jours, je me suis fait un petit marathon DC movies pour avoir ma propre opinion de ce qui se produit pour le cinéma chez la "Distinguée Concurrence" face au mastodonte Marvel et ses hits en cascade. J'avais lâché l'affaire depuis la trilogie Batman de Christopher Nolan (d'un ennui profond et d'une arrogance exaspérante) et j'étais curieux devant les critiques souvent plus que mitigées. J'ai donc vu Batman V Superman : L'Aube de la Justice, puis Justice League de Zack Snyder (je tâcherai d'y consacrer des entrées prochainement), tout en gardant ce qui semblait le meilleur pour la fin : Wonder Woman, de Patty Jenkins, sorti entre les deux précités l'an dernier, et carton critique et public. Et là : révélation !

 Steve Trevor, Diana et Hippolyta (Chris Pine, Gal Gadot et Connie Nielsen)

Diana a été élevée sur l'île cachée de Themyscera par sa mère, la reine des amazones, Hippolyta. Enfant, elle a appris l'histoire de son peuple, crée par Zeus, le père des Dieux, puis de Arès, le dieu d la guerre, qui pervertit les coeur des hommes. Au terme d'une terrible bataille qui décima les dieux, Zeus punit son fils mais préserva les amazones en leur offrant un refuge et la mission de maintenir la paix sur Terre. Mais ces farouches guerrières ont préféré se tenir loin des affaires des mortels. Jusqu'à ce que...

Diana et Hippolyta

... La réalité les rattrape en la personne de Steve Trevor, capitaine de l'armée américaine rattaché en qualité d'espion à la British Air Force. Après avoir dérobé le carnet du "Dr. Poison", une chimiste spécialisée dans les gaz mortels, il a fui la base des allemands commandée par le général Ludendorf en avion. Poursuivi et son appareil endommagé, il se crashe à proximité de Themyscera où Diana l'aperçoit et le sauve de la noyade. Mais les allemands arrivent ensuite et une bataille éclair éclate avec les amazones. Antiope, la tante de Diana, chef de l'armée de l'île, y succombe. Convaincue que la guerre est causée par Arès, Diana décide de partir avec Trevor au front, contre l'avis de sa mère qui juge les hommes indignes de sa fille.

Steve Trevor et Diana à Londres

La fougue et la naïveté de Diana sont contenues avec difficulté par Trevor une fois à Londres, où ils sont arrivés en étant remorqués; Alors qu'elle souhaite tout de suite aller se battre et traquer Arès, le capitaine doit informer le gouvernement anglais de ses découvertes concernant l'arsenal chimique allemand. Sir Patrick Morgan refuse qu'une opération soit lancée contre l'ennemi alors qu'une armistice est sur le point d'être signée. Mais Diana est révoltée par cette option et Trevor aussi.

Sameer, Charlie, Steve et Diana (Saïd Taghmaoui, Ewen Bremner, Chris Pine et Gal Gadot)

Trevor rassemble quelques amis pour entreprendre une mission commando en territoire ennemi à la frontière entre Belgique et Allemagne où se situerait la nouvelle base de Ludendorf. Sameer, un comédien algérien, Charlie, un tireur d'élite écossais, et Chief, un pisteur indien, acceptent contre de l'argent de suivre le capitaine, soutenu finalement financièrement, contre toute attente et à la dernière minute, par Sir Patrick.

Diana dans le No Man's Land

Diana évolue dans les tranchées et ne se résigne pas à y abandonner des civils affamés et blessés. Contre l'ordre de Trevor, plus pressé d'atteindre la base de Ludendorf, elle franchit le No Man's Land en essuyant les tirs allemands, et ouvre un passage pour les alliés qui accompagnent son effort. Le combat se poursuit jusqu'au village voisin de Veld que Diana et la bande de Trevor libèrent de l'armée ennemie de manière spectaculaire. L'amazone est célébrée comme une déesse.
    
Diana et Steve

Ayant appris ce détour, Sir Patrick, contacté par Trevor, le désapprouve mais confirme la situation de Ludendorf et de ses troupes. Il interdit au capitaine d'intervenir avant l'arrivée de renforts ou si l'armistice est signée dans l'intervalle, mais Trevor ignore ces recommandations, résolu comme Diana à en finir vite et définitivement. Alors que Veld fête sa délivrance, Diana et Trevor finissent la nuit ensemble.

Le général Ludendorf et le "Dr. Poison" (Danny Huston et Elena Ayala)

Cependant, Ludendorf tue tous ses collègues gradés avec un gaz concocté par le Dr. Poison quand ceux-ci déclarent vouloir signer l'armistice alors que le général est prêt à lancer une attaque sur Londres avec un poison terrible jeté d'un bombardier. Diana, Trevor, Sameer, Charlie et Chief s'approchent du château voisin du camp des allemands où est donnée une réception en présence des derniers notables allemands croyant à une fin proche du conflit - sans savoir quelle sera la solution choisie. Trevor s'y infiltre en uniforme germanique puis Diana vole à une bourgeoise sa robe avant qu'elle n'entre. L'amazone croise Ludendorf, persuadé qu'il est Arès, mais Trevor, occupé à converser avec le Dr. Poison, l'empêche de tuer le général qui s'éclipse.

Sir Patrick Morgan (David Thewlis)

Ludendorf commande l'envoi d'une bombe sur Veld avec le poison qu'il réserve à Londres, mais Diana s'en rend compte trop tard, retardée par Trevor. Quand elle arrive au village, tous les civils et les soldats sont morts. Furieuse et accablée, elle remonte sur son cheval et fonce en direction de la base où Ludendorf et le Dr. Poison préparent le raid sur la capitale anglaise en chargeant un bombardier.

Wonder Woman

Trevor et ses acolytes couvrent Diana qui affronte Ludendorf et réussit à le tuer. Mais l'activité de la base ne cesse pas comme ce devrait être le cas s'il avait été Arès. Sir Patrick apparaît alors et l'amazone comprend alors que c'est lui, le dieu de la guerre, et elle (et non son épée), la tueuse de dieux. Pendant ce temps, Trevor atteint le bombardier et le fait décoller, prenant assez d'altitude pour tirer sur les bombes et les faire exploser avec l'avion en se sacrifiant pour que le gaz mortel ne fasse aucune victime. Ayant assisté à la fin de son amant, Diana se déchaîne contre Arès et sa rage menace alors de la faire plonger du côté obscur où le dieu de la guerre veut l'entraîner et la rallier. Mais elle trouve les ressources nécessaires pour le vaincre loyalement. Allemands et alliés arrêtent alors de s'affronter.

Souvenir de 1918...

De nos jours, Diana Prince travaille comme archiviste au musée du Louvre à Paris et reçoit une mallette envoyée par Bruce Wayne dans lequel il lui fait cadeau de l'unique cliché d'elle avec Trevor et leur bande, immortalisés à Veld. Depuis ce jour de 1918, elle n'a cessé de se battre pour pacifier le monde sous le surnom de Wonder Woman.

La différence majeure entre les productions cinéma de Marvel et de DC tient en un nom : Kevin Feige, qui est le producteur-chef d'orchestre de tout le département films de la "maison des idées". Grâce à lui, le Marvel Cinematic Universe a pu se bâtir, patiemment et solidement, accumulant les succès au point de former un réseau de personnages et d'intrigues convergeant régulièrement dans les aventures des Avengers tout comme en imposant au grand public (des salles obscures ou de la télé) des héros méconnus (ou pas connus du tout). L'attitude discrète mais ferme et humble de cet homme est la vraie clé du succès de Marvel au cinéma : on peut reprocher à son studio d'exploiter désormais une formule éprouvée, qui manque de fraîcheur, mais les résultats sont là - avec un tout cohérent, une cagnotte bien garnie et un avenir dégagé.

D'autant plus dégagé que, en face, DC éprouve la plus grande peine à se relever de l'époque où Christopher Nolan a refondé Batman avec des scores au box office certes impressionnants, et une critique généralement ravie, mais aussi la volonté du cinéaste-producteur de ne pas construire sa trilogie comme la base d'un univers cinéma partagé. 

En autorisant un réalisateur tout-puissant, grâce à ses triomphes en salles, à ne pas mentionner Superman et compagnie et donc à ne pas suggérer l'existence d'autres super-héros, DC et Warner s'est privé de ce que Marvel et Disney a su minutieusement planifier : un sol fertile pour préparer l'émergence de personnages ayant leurs films pour être présentés et ensuite être rassemblés dans un team-movie comparable à Avengers.

Que Zack Snyder ait été ensuite chargé de corriger cela, tout en étant toujours produit par Nolan (qui, soudain, n'était plus si gêné par le développement d'un authentique DC Cinematic Universe...), en filmant Man of Steel (en 2013), qui devait être le chapitre I d'une nouvelle ère programmé pour concurrencer le MCU, n'a pas vraiment arrangé les choses. D'abord parce que le style du réalisateur, présenté comme un "visionnaire" (sur la foi de ses adaptations maniéristes des graphic novels 300 et Watchmen), était loin d'être aussi accessible que les filmmakers plus consensuels de Marvel (Jon Favreau, Kenneth Branagh, Joe Johnston, Joss Whedon les premiers). Ensuite parce que le retour de Superman au cinéma a abouti à une polémique à propos de l'image du Kryptonien (qui y tuait son adversaire en causant des dégâts cataclysmiques sans égard pour la population civile qu'il se donnait pour mission de protéger). La suite, bancale, Batman V Superman (avec la curiosité de placer Batman en premier dans le titre d'un long métrage dont Superman était la vedette) n'a pas suffi à corriger le tir (même si l'édition en DVD d'une version "director's cut" a permis de mieux apprécier le résultat).

C'est dans ces conditions qu'a été initié Wonder Woman : le défi était énorme, après l'échec retentissant d'une nouvelle version pour la télé (produite par David Ally McBeal E. Kelley) et plus de quarante ans après le feuilleton kitsch avec Lynda Carter. Mais on n'était pas au bout de nos surprises.

Comme s'il n'y avait rien à perdre à être vraiment audacieux, et même si Zack Snyder restait dans les parages (il est crédité à la production et pour l'histoire), la Warner confie le projet à une cinéaste, Patty Jenkins ! C'est la première fois qu'une femme se trouve, à Hollywood, à la tête d'une si grosse production, aux enjeux commerciaux si importants, qui plus est après une carrière commencée dans le circuit indépendant (même si son Monster a valu l'Oscar de la meilleure actrice à Charlize Theron). Puis le rôle principal, convoitée par le gratin des actrices bankables  de Hollywood, est donné à une quasi-inconnue, l'ex-Miss Israël 2004, Gal Gadot.

Enfin, il s'agit d'une origin story classique mais qui se situe durant la première guerre mondiale, donc alliant les codes du film de guerre, d'aventures, de super-héros. Un cocktail délicat, que seul Captain America : The First Avenger a réussi à produire.

Malgré toutes ces incertitudes, ces écueils, Wonder Woman est mieux qu'une réussite, c'est un exemple. Pas seulement pour DC d'ailleurs, qui serait bien inspiré d'ambitionner tous leurs futurs films à l'aune de celui-ci, en termes d'exigences artistique et narrative, mais aussi pour Marvel - car en qualité de manifeste (ici avec une super-héroïne), il dépasse de loin le récent Black Panther pour représenter avec justesse et souffle une forme de minorité visible (les femmes ici, les noirs ailleurs). Le script d'Allan Heinberg (qui a signé plusieurs comics consacrés à l'amazone, donc familier du personnage, de son univers, de son histoire) est un modèle du genre, à la construction formidable, avec une intrigue qu'on peut résumer simplement tout en n'en minorant pas la complexité et une caractérisation jubilatoire. C'est un des meilleurs efforts que j'ai pu apprécier dans le cadre si codifié du super hero movie depuis longtemps.

Patty Jenkins allait-elle savoir aligner sa mise en scène à une grosse machine comme celle-ci ? La réponse est affirmative. Comme un véhicule qu'on passerait au contrôle technique, la cinéaste passe tous les tests avec succès, non parce qu'elle est une femme se hissant au niveau des hommes habituellement à la barre de ce genre de films, mais parce qu'elle a su y insuffler sa sensibilité et un sens du grand spectacle épatants. Quand il s'agit de poser l'action et d'en exposer les enjeux, elle le fait avec fluidité, quand il faut envoyer du bois et en mettre plein la vue dans des séquences de combat chorégraphiées et des explosions pétaradantes, elle est là. Wonder Woman est un divertissement intelligent et qui en donne pour son argent, glissant quelques messages subtils sur le féminisme, l'héroïsme, le choc des civilisations, l'expérience de la guerre, le sacrifice, l'isolationnisme et la lâcheté, avec l'art et la manière, sans être professoral mais avec pertinence et naturel.

Dans cette aventure, qui ne ménage pas ses effets mais n'en abuse pas non plus, réservant de bonnes surprises narratives sans sombrer dans l'excès de twists, la distribution est impeccable : Chris Pine (pourtant un acteur objectivement moyen) est très bon en capitaine dont le romantisme est aussi bien sentimental qu'héroïque, soutenu notamment par l'excellent Saïd Taghmaoui. Les méchants sont campés avec conviction et sans cabotinage par Danny Huston, Elena Ayala et David Thewlis (qu'on n'attendait pourtant vraiment pas là - même s'il a déjà servi dans des blockbusters comme la saga Harry Potter). Et puis, surtout, il y a elle, elle Gal Gadot, d'une beauté à couper le souffle ("une oeuvre d'art" comme dit justement Sameer), d'un charisme insolent, et d'une justesse impressionnante : c'est un exercice délicat de jouer les déesses sans être ridicules dans un costume tel que celui de Wonder Woman, mais à chaque fois qu'elle apparaît, elle s'impose sans forcer, comme si le rôle, le film, ce genre n'attendaient qu'elle, comme si elle était taillé pour - façonnée telle Diana.

Finalement, la vraie injustice qui aura frappé Wonder Woman (peut-être à cause du désastre de Justice League ensuite), c'est que le film n'ait pas eu les honneurs de quelques citations aux Oscar (comme Logan d'ailleurs). Patty Jenkins et Gal Gadot n'auraient pas volé leurs chances. Mais peut-être n'est-ce que partie remise... En attendant, que DC et Warner, eux, n'oublient pas leur meilleure production : c'est vraiment ce maître-étalon-là qu'ils doivent adopter.    

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