vendredi 23 mars 2018

KICK-ASS #2, de Mark Millar et John Romita Jr.


Ce nouvel épisode de la nouvelle version de Kick-Ass a quelque chose de réjouissant : d'abord parce qu'on sent la complicité qui unit ses deux auteurs ; ensuite parce qu'il est délicieusement roublard en offrant exactement au lecteur ce qu'il attend ; et enfin parce que derrière tout cela il propose quand même une habile réflexion sur les notions de super-héroïsme (différemment du premier Kick-Ass) et des laissés-pour-compte du rêve américain. Mine de rien, ça fait un programme plus copieux que ça n'en a l'air.


Patience Lee a flanqué une sévère rouste aux sbires de Bronco, le gérant du night-club qu'elle a entrepris de braquer et dont elle ressort sans encombres avec son butin. Mais cet argent n'est pas que pour elle puisqu'elle a décidé de le partager avec les plus démunis de sa communauté - l'autre moitié servira à ses propres fins.


Avec 40 000 $, elle peut voir venir et s'autorise d'abord quelques plaisirs simples comme un repas au restaurant en famille. Puis il faut commencer à rembourser les dettes laissées par son ex-mari. Elle se paie des cours du soir sans lâcher son job de serveuse harassant.


Bronco, hospitalisé, explique à Maurice (le beau-frère de Patience) et leur chef, Hoops Lucero, l'agression dont il a été victime et décrit celle qu'il les a attaqués, lui et ses hommes. Aussi extravagant que semble être son récit, il convainc malgré tout les gangsters qu'un ennemi peu commun est dans la place et qu'il va falloir réagir vite et fort.


Patience, elle, a déjà la tête ailleurs et désigne sa prochaine cible. Elle écarte les plus dangereux malfrats, comme les triades, et, lors de repérages dans les bas-quartiers, jette son dévolu sur des mafieux casaques dont un motard vient relever les compteurs dans les établissements qu'ils gèrent. Mais elle est remarquée par un gosse noir qui lui confie être, comme sa mère, battu par un père alcoolique.
  

Patience neutralise le motard casque à la solde Ruslan Salamatin et lui vole sa recette après un affrontement plus disputé que prévu. Puis, remontée à bloc, elle fait un détour en rentrant chez elle chez le gamin et inflige une raclée à son père à qui elle conseille de d'éloigner. La voleuse se sent alors investie du rôle de super-héroïne.

Avec Mark Millar, on peut débattre du devoir d'un scénariste quand il exploite une de ses créations : faut-il flatter le lecteur que l'on a séduit en lui fournissant ce qu'il attend ? Ou, comme le préconisait Jacques Chancel, faut-il donner au public non pas ce qu'il aime mais ce qu'il pourrait aimer ? Ces grandes questions agitent bien des créateurs et se valent au moment de livrer une histoire qu'on ambitionne de rendre efficace sans être paresseuse.

Kick-Ass, dans ce deuxième épisode, ne tranche pas le débat mais le creuse. En changeant l'identité de son protagoniste, Millar a aussi modifié la perspective de son propos. Il ne s'agit plus du fantasme d'un adolescent qui se prend pour un redresseur de torts, mais de la nécessité pour une femme de survivre avec les moyens du bord - en l'occurrence en se masquant pour braquer des voyous.

L'ambiguïté de cette nouvelle justicière est donc posée : ce n'est pas vraiment une héroïne noble, au sens chevaleresque, même si ses motivations ne sont pas qu'égoïstes (elle veut employer l'argent qu'elle dérobe pour les plus démunis, dont elle fait partie), mais ses méthodes, brutales, s'accommodent fort bien des cibles qu'elle choisit (des malfrats patentés). C'est donc une version spéciale de Robin des bois, qui vole à d'authentiques vilains riches pour donner à des pauvres (en se servant au passage).

Elle opère donc dans la plus parfaite illégalité, et comme un flic ripou, prélève sa part dans le butin qu'elle soustrait à des méchants qui l'ont acquis malhonnêtement. Comment dès lors mettre en scène le moment où un tel personnage bascule de ses intérêts personnels dans une mission plus généreusement collective ?

La solution trouvée et racontée ici par Millar n'a rien d'original, on en conviendra (un gosse maltraité attire la compassion et provoque l'action punitive de Patience Lee), mais il agit comme un révélateur pour l'héroïne et le lecteur - qui la prend en sympathie grâce à cela. Le scénariste donne donc au lecteur plus que ce qu'il attend tout en le satisfaisant avec ce qu'il réclame d'un comic-book comme celui-ci. C'est adroit à défaut d'être subtil.

On pourrait en dire autant de la prestation de John Romita Jr., qui profite d'un terrain de jeu idéal pour son expression. Même s'il ne fait franchement pas dans la dentelle, la puissance dont il est capable pour mettre en image de bonnes séances de bourre-pifs (deux ici, particulièrement percutantes) a quelque chose de jouissif.

Millar sait donner de l'espace à son compère et ce dernier en profite, retrouvant vraiment des couleurs comme on ne l'en croyait plus capable après des prestations en demi-teintes ces dernières années chez Marvel et DC. Romita Jr. se lâche et ça fait du bien parce qu'il n'est jamais meilleur que dans ces conditions. 

Et la cerise sur le gâteau, c'est qu'il se force même sur des détails qu'il négligeait, comme les expressions, de façon discrète mais bien placée (le sourire satisfait de Patience au gamin après qu'elle ait rossé son père abusif). De la même manière, si son dessin est au top quand il faut frapper dur, il prouve qu'il sait (encore) exprimer ces temps d'hésitations quand l'héroïne doit enfiler sa cagoule vite fait, dégainer un taser, autant d'instantanés où la nouvelle Kick-Ass trahit encore son manque d'assurance et qui souligne son humanité derrière la guerrière pourtant entraînée qu'elle est.

Alors, non, ce n'est pas du champagne, mais comment résister à ce plaisir bourrin où une belle black règle son compte à l'American Dream avec un crochet du droit ? 

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