lundi 5 février 2018

THE END OF THE F***ING WORLD (Saison 1) (Netflix)


Il m'aura donc fallu deux semaines avant de me décider à écrire un article au sujet de cette curiosité qu'est l'adaptation télévisée du roman graphique de Charles S. Foreman, The End of the F***ing World, produite et diffusée sur Netflix mais tournée en Angleterre. Après avoir vu les huit épisodes de cette première saison (une deuxième serait souhaitée par son auteur, mais rien n'est officiel), j'étais trop déconcerté pour les analyser. Voyons donc ce que je peux à présent vous en dire.

 Alyssa et James (Jessica Barden et Alex Lawther)

James, 17 ans, a assisté à l'âge de 6 ans au suicide de sa mère et depuis il ne ressent plus rien. Pour éprouver encore quelque chose, il s'est mis à tuer des animaux et maintenant il songe à supprimer une personne. A l'école, il fait la connaissance d'Alyssa, adolescente rebelle et effrontée, dont il feint d'être amoureux pour en faire sa victime. Victime de son beau-père qui abuse sexuellement d'elle et de sa mère, qui ferme les yeux sur la situation, elle convainc James de s'enfuir en volant la voiture de Phil, le père du garçon.

Alyssa et James

Après avoir percuté un arbre, la voiture est inutilisable et les deux adolescents poursuivent leur périple à pieds. Ils sont pris en stop par Martin qui les invite à dîner dans un restaurant. Lorsqu'il accompagne James aux toilettes, Alyssa surprend leur bon samaritain en train de pratiquer des attouchements sexuels sur son ami et elle menace de le dénoncer à la police s'il ne lui remet pas son portefeuille. Avec cet argent, ils louent une chambre dans un motel et James accepte la proposition d'Alyssa de partir chez le père biologique de la jeune fille, Leslie.

Le meurtre

Préférant éviter le train ou le bus par crainte d'être identifiés car elle se doute que leurs parents ont signalé leur fugue, Alyssa entraîne James dans une longue marche à travers champs. Ils s'arrêtent aux abords d'une luxueuse villa visiblement abandonnée où ils pénètrent par effraction. Il s'agit du domicile d'un écrivain, Clive Koch, dont James découvre les macabres clichés de femmes qu'il a manifestement assassinées. L'intéressé rentre chez lui et surprend dans son lit Alyssa qui se réveille et qu'il tente alors de violer. James l'en empêche en l'égorgeant avec le couteau de chasse qu'il a toujours sur lui, cadeau de son père.

Recherchés

Après avoir nettoyé la scène de crime et disposé les photos de ses victimes autour de son cadavre, James et Alyssa repartent au volant de la voiture de Koch. La mère de l'écrivain découvre son corps et détruit les clichés compromettant avant d'alerter la police. Deux femmes, les agents Eunice Noon et Teri Derago, sont chargé de l'affaire et interrogent le voisinage : un jeune homme, Topher, à qui Alyssa avait parlé et fait des avances, leur fournit un signalement de cette dernière et de James contre lesquels est lancé un avis de recherche pour meurtre.

Les officiers de police Teri Derago et Eunice Noon (Wunmi Mosaku et Gemma Whelan)

Le crime hante Alyssa qui avoue son trouble à James dans un café où ils se sont arrêtés en route. Ils décident de se séparer. Pendant ce temps, l'agent Noon découvre en fouillant dans le passé de Koch plusieurs plaintes concernant du harcèlement sexuel et des soupçons relatifs à la disparition de plusieurs femmes. En soumettant ces infos à Derago, Noon pense que James et Alyssa ont pu tuer Koch en état de légitime défense mais sa collègue estime qu'elles ont affaire à des tueurs précoces. Cependant, James se présente à un poste de police, prêt à passer aux aveux avant de se rétracter et de parler à un agent du suicide de sa mère et de se carapater. De son côté, après avoir été prise en train de voler des sous-vêtements dans un magasin, Alyssa est relâchée par le vigile à qui elle a prêté main forte en retrouvant l'enfant d'un client. Elle retourne au café où l'attend James avec lequel elle reprend la route.

James et Leslie Foley (Alex Lawther et Barry Ward)

Les deux adolescents arrivent enfin chez Leslie, le père d'Alyssa, un hippie qui vit dans un mobile home sur la côte et deale de la drogue pour gagner sa vie. Heureux de leur procurer un refuge bien qu'ignorant tout de leur aventure, il les invite à passer la soirée dans un bar pour fêter leur rencontre. Noon et Derago convoquent et interrogent les parents des deux fugitifs et Gwen, la mère d'Alyssa, estime que sa fille a pu vouloir rejoindre son père. Le soir, au bar, l'ambiance se tend quand Leslie présente sa fille à sa maîtresse qui, vexée, avouera ensuite à Noon et Derago, venues la questionner où il habite et qui il héberge. 

Prendre le large

Cette nuit-là, tandis que les deux agents de police préparent l'arrestation pour le lendemain matin, James et Alyssa font l'amour sur la plage tandis que Leslie, dans son mobile home, découvre à la télé l'avis de recherche les concernant et la récompense offerte pour leur dénonciation aux autorités. A l'aube, James propose à Alyssa de poursuivre leur cavale en quittant le pays à bord du bateau de Leslie. Mais pour le démarrer, ils ont besoin de la clé de contact...

Fin de la cavale ?

La police encercle la plage pendant qu'Alyssa tente de soutirer la clé à son père qui gagne du temps pour les retenir, elle et James. Découvrant qu'il les a trahis, le garçon entraîne son amie dehors. Noon arrête Alyssa. James continue à courir. Un coup de feu éclate...

Tout, je dis bien TOUT, est inattendu dans cette série. Tant et si bien qu'on ne sait jamais sur quel pied danser, comment réagir à telle ou telle situation, que penser des protagonistes. Et cette sensation ne vous quitte pas durant les huit épisodes dont le dénouement apparemment tragique et inéluctable est très habilement escamotée par un fondu au noir qu'on peut interpréter par un sort funeste pour l'un des deux héros - et donc la fin de l'aventure - ou une issue moins tragique - qui laisse ouverte la porte à une deuxième saison, explorant les suites de leur périple maintenant qu'ils ont été appréhendés.

Adapté par Charles Cowell, le roman graphique de Charles S. Foreman possédait déjà ce mélange étonnant d'humour noir et de macabre, avec un dessin non réaliste qui en soulignait l'absurdité et la cruauté. Au début de l'histoire, on redoute presque d'avoir atterri dans une histoire à la Ken Loach avec un pesant discours social sur la morosité adolescente et la classe populaire anglaise. Très vite, on se rend compte qu'il n'en est rien - et on en est soulagé... Mais pour mieux glisser dans une zone beaucoup plus trouble, perturbante.

La narration fait alterner les voix-off de James, garçon traumatisé par le suicide de sa mère au point de ne plus rien ressentir depuis et qui, d'auto-mutilation (il se brûle intentionnellement une main dans une friteuse) en exécutions d'animaux, cherche à éprouver un frisson qui le fera se sentir à nouveau vivant ; et d'Alyssa, fille à la langue bien pendue mais qui dissimule derrière ce bagout les séquelles des abus de son beau-père et de l'indifférence de sa mère. Le format, compact (20 minutes l'épisode), ne permet pas au téléspectateur de respirer : le malaise, persistant, intense, s'installe.

Et pourtant on rit. Nerveusement d'abord, quand James parle de son obsession à tuer Alyssa en feignant d'être séduite par elle, puis franchement, de manière décomplexée, quand les deux ados prennent la tangente, sans but précis d'abord, mais avec le suspense atrocement drôle de savoir si lui va passer à l'acte en acceptant de voler la voiture de son père pour une improbable fugue.

Le récit bascule complètement, sans retour, quand Clive Koch est assassiné dans des circonstances telles qu'on est soulagé pour Alyssa tout en étant sidéré par la sauvagerie de James. L'audace du show est alors de développer, sans détour, les conséquences d'un tel acte sur le couple. Il ne s'agit plus alors de la simple échappée de deux jeunes mais d'une cavale sur laquelle pèse une forme de fatalité, n'invitant pas à l'optimisme quant à son terme.

Les épisodes suivants sont de fait moins légers, bien que le tandem d'enquêtrices offre des scènes cocasses (elles ont couché ensemble après avoir pris une cuite et l'une est aussi embarrassée que l'autre est ravie de l'expérience : Wunmi Mosaku et Gemma Whelan sont irrésistibles). Le pathétique attend les deux héros avec le père d'Alyssa, irresponsable et lâche. La tendresse s'invite aussi quand James et Alyssa s'unissent enfin sur la plage.

Pour incarner de tels personnages et exprimer de telles émotions, il fallait à la production deux interprètes exceptionnels et avoir déniché Alex Lawther et Jessica Barden est une chance miraculeuse. Ils jouent cette partition avec une justesse déconcertante, véritables équilibristes sur la corde raide sans jamais tomber dans le cabotinage - au contraire, la sobriété et la force de leurs compositions maintiennent le culot du récit et suscitent même l'attachement du public. Malgré ce qu'ils subissent et commettent, on n'a pas envie qu'il leur arrive malheur - un exploit que de nous faire aimer un garçon fantasmant sur le meurtre de sa partenaire et une fille ne reculant devant rien pour être odieuse.

The End of the F***ing World : un sacré tour de force (pour rester poli).  

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