jeudi 8 février 2018

HAWKEYE #15, de Kelly Thompson et Leonardo Romero


Comme pour les Defenders de Bendis et Marquez, la sortie de ce pénultième épisode de Hawkeye par Kelly Thompson et Leonardo Romero rappelle à ses fans combien cette série manquera quand, dans un mois, elle ne paraîtra plus. Mais voyons ce que cela raconte plutôt que de sombrer dans la mélancolie précocement.


Coincés dans l'entrepôt, Clint Barton et Kate Bishop se demandent quoi faire maintenant que Eden Vale et Mme Masque ont scellé une alliance. La situation se complique encore plus lorsque, grâce aux échantillons sanguins que lui fournit Masque, Eden peut téléporter dans le hangar les pires ennemis des deux archers : Lady Bullseye, Swordsman, Boomerang et Crossfire (quoi que ce dernier soit vite renvoyé pour avoir râlé contre son recrutement sans en avoir été averti).


Pour filer, Kate ne voit qu'une solution, risquée, mais cela n'est pas pour déplaire à Clint : les voilà qui ruent dans les brancards, se frayant un chemin à travers les sbires de Masque. Mais, une fois l'entrepôt traversé, il faut encore en sortir ! 


Pour ce faire, les deux archers tirent chacun des flèches aveuglantes et à fumigènes, afin de couvrir leur échappée... Mais aussi pour leur permettre d'enfiler les vêtements de deux agents de masque (qu'ils vêtissent en retour de leurs propres costumes).


La ruse fait long feu mais elle a permis à Kate et Clint d'être dehors et d'embarquer dans un taxi. Direction : le quartier général de Mme Masque. Ils y entrent en force et, au sous-sol, libèrent et embarquent Derek Bishop, toujours enfermé dans sa cellule. Ils ressortent sans se douter qu'une mystérieuse femme, à l'étage, les laisse filer.


De retour à l'agence de Kate, ils sont attendus par les amis de celle-ci mais les retrouvailles sont écourtées car elle et Clint doivent soumettre Derek à un interrogatoire. Avant cela, ils se rhabillent avec leurs uniformes normaux puis se préparent à conduire leur prisonnier dans un endroit sûr. Mais dehors les attendent Mme Masque, ses gardes, Eden Vale, Boomerang, Lady Bullseye et Swordsman !

Que cette série ne soit pas parvenue à séduire assez de lecteurs américains pour continuer restera un mystère irrésolu pour moi : voyez comme ça swingue encore une fois dans cet épisode, avec quel esprit le scénario est rédigé, avec quelle élégance c'est dessiné... Et moins de quinze mille acheteurs par mois ! C'est à n'y rien comprendre, vraiment...

Kelly Thompson a, le mois dernier, signé un contrat d'exclusivité avec Marvel : cela signifie que l'éditeur compte sur elle, mise sur son talent dans l'avenir, croit en son potentiel, et la rumeur veut que ce soit elle que Brian Michael Bendis ait désigné pour reprendre l'écriture de sa création, Jessica Jones. Tout cela est mérité car cet auteur a une vraie plume : elle mène son récit avec tonus mais aussi une dose salvatrice d'espièglerie, comme en témoigne son don pour "aérer" une scène d'action avec un bon mot (Mme Masque qui soupire : "What a joy ! The deficient duo !" en voyant les deux archers perturber sa réunion avec Eden Vale). C'est ce genre de trait d'esprit qui distingue une scénariste du lot, cette capacité à respecter les codes du genre (de l'action) mais en conservant une distance, une légère irrévérence (ne pas prendre tout cela trop au sérieux). C'est ce qui aboutit à une lecture jubilatoire, un comic-book qu'on lit le sourire ravi aux lèvres.

L'intrigue s'achemine sûrement vers un dénouement qui se devra d'être spectaculaire (la dernière page promet un "final showdown"), tout en tournant en dérision cette attente : ici, tout est fait pour solliciter l'attention du lecteur malgré l'apparente légèreté du style. Kate et Clint sont coincés, ils doivent fuir, et pour semer la confusion chez leurs ennemies, ils volent les vêtements de deux sbires. La manoeuvre ne trompe ni les méchantes ni le lecteur bien longtemps, et Thompson ironise d'ailleurs sur ce point en faisant dire à Mme Masque que les archers ont au moins le mérite de changer d'habit très vite... 

Mais la mise en scène est magistrale grâce au découpage parfait de lisibilité et de dynamisme de Leonardo Romero, dont le dessin clair, élégant, permet de suivre le mouvement sans jamais être égaré. L'artiste en profite pour signer deux magnifiques doubles pages qu'il faudrait, comme à chaque fois chez lui, citer en exemple car il n'use pas de ce procédé pour produire deux simples images tape-à-l'oeil mais bien fournir deux planches foisonnantes (la première compte huit cases, dont six en rang, la seconde encore davantage), avec des décors fouillés, un flux de lecture détaillé.

L'épisode se poursuit sur un rythme alerte qui emprunte presque au vaudeville : Clint et Kate forçant le repaire de Masque, dérouillant quelques-uns de ses hommes de main (au point que l'un, qui a déjà eu à subir un de leurs raids, implore pour ne pas être de nouveau tabassé - irrésistible), embarquent le père félon de Kate et filent comme ils sont venus.

Au coeur de ce tourbillon, toujours superbement illustré et chorégraphié par Romero, Thompson glisse même une page où le lecteur devine qui tire vraiment les ficelles de cette affaire - et si mon intuition se confirme, ce serait un fameux twist...

Mais la scénariste ne veut pas laisser souffler le lecteur et les dernières pages renouent avec la cavalcade via un arrêt à l'agence de Kate et un cliffhanger très accrocheur. Effectivement, le dernier épisode sera épique !

Pourtant, malgré sa précision horlogère, la série n'a pas réussi à convaincre un public suffisant ni à convaincre Marvel de lui accorder du rab (avec, par exemple, un relaunch, une fois cet arc narratif terminé, ou un peu plus de pub - car le titre n'a pas été follement soutenu). Le run de Thompson et Romero n'aura vraiment pas démérité avec ceux de Fraction-Aja et Lemire-Perez, et va tirer sa révérence après 16 mois, alors que ses meilleurs épisodes s'enchaînaient. C'est un vrai gâchis... Mais quand les prochains TPB sortiront, ne passez pas à côté : vous découvrirez (trop tard, certes) une version divine de Hawkeye.         

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