lundi 18 décembre 2017

GODLESS (Netflix)


Mis en ligne le 22 Novembre, les sept épisodes de Godless (qui ne comptera qu'une saison) n'ont pas tardé à se tailler une flatteuse réputation pour cette nouvelle production originale de Netflix. La présence aux crédits du réalisateur Steven Soderbergh y a contribué même s'il n'est qu'un des producteurs exécutifs de cette mini-série dont le vrai chef d'orchestre est le créateur, scénariste et réalisateur Scott Frank. L'autre originalité de ce projet était la promesse d'un western au féminin, comme le suggérait sa bande annonce. Mais la véritable raison pour laquelle vous devez voir Godless est plus simple que tous les arguments précités : c'est un chef d'oeuvre, sans doute ce qu'on a vu de mieux cette année sur le petit écran (et qui surpasse aussi ce qui a été projeté en salles) !

Etant donné le format général des épisodes (qui durent en moyenne 80 minutes, les plus courts étant les 5 et 6 de 50' et 40'), je vais résumer ça en m'appuyant sur le parcours des protagonistes plus que sur l'intrigue, redoutablement dense.

Roy Goode, orphelin, trouve refuge chez Soeur Lucy Cole, qui recueille des enfants égarés comme eux, avant que son frère aîné, Jim, ne l'abandonne pour tenter sa chance en Californie. Même s'il lui a promis de l'attendre, Roy fugue quelques mois plus tard. Il fait la connaissance de Frank Griffin, bandit de grand chemin, vêtu comme un pasteur, en tentant de lui voler son cheval, et devient son fils adoptif en intégrant son gang composé d'une trentaine de malfrats. Ensemble, ils commettent d'audacieuses attaques de trains. Mais en devenant un jeune homme, la cruauté de Griffin finit par écoeurer Roy, par ailleurs méprisé par ses compagnons d'armes. Le fils trahit le père après un ultime méfait au cour duquel il lui dérobe son butin et prend la fuite. Pourchassé, il estropie Frank mais reçoit deux balles en retour. Il parvient pourtant à gagner un ranch par une nuit pluvieuse.

Roy Goode et Alice Fletcher (Jack O'Connell et Michelle Dockery)

Alice Fletcher, veuve et mère d'un jeune garçon, Truckee, né d'un viol par un indien Paiute, recueille Roy. En trouvant une lettre de Jim Goode envoyé à son frère chez Lucy Cole, elle apprend l'identité de ce "chien errant", comme le surnomme la vieille Iyovi, qui le soigne, et donc son lien avec Griffin. Jusqu'à la fin de sa convalescence, en échange du gîte (dans la grange) et du couvert, elle lui propose de dresser ses chevaux et de l'aider à creuser un puits. Il accepte si elle lui apprend à lire : marché conclu.

Frank Griffin (Jeff Daniels)

Les montures d'Alice sont destinées à être vendues aux femmes de La Belle, la ville la plus proche marquée par une terrible tragédie deux ans plus tôt en 1883 : 83 hommes y sont morts dans la mine d'argent, laissant livrées à elles même leurs veuves, mères et filles. Aujourd'hui, ces femmes se préparent à recevoir le représentant de la compagnie Quicksilver qui voudrait exploiter à nouveau le gisement et installer ses ouvriers. Les négociations sont tendues car en vérité l'homme d'affaires qui négocie veut contrôler la cité pour une somme inférieure à ce qu'elle vaut, comme l'estime Marie Agnes McNue - mais le deal est finalement signé.

Whitey Winn et Bill McNue (Thomas Brodie-Sangster et Scott McNairy)

Bill McNue, le shérif de La Belle (et frère de Marie Agnes), souffre du dédain des veuves qui ignorent qu'il perd lentement la vue. Lorsque le marshall John Cook vient le prévenir du massacre commis par Frank Griffin à Creede (dont il a fait lyncher tous les habitants et fait brûler toutes les maisons en y cherchant une trace de Roy Goode), Bill considère cela comme sa mission d'arrêter le bandit tandis que son collègue va chercher le renfort de l'armée. Il part donc en chasse en confiant son bureau à son adjoint, Whitey Winn, pistolero aussi habile qu'insouciant.

John Cook (Sam Waterston)

Nous suivons parallèlement les parcours de ces personnages : Roy se rétablit et s'éduque auprès d'Alice tout en enseignant à Truckee à monter à cheval et à chasser ; Cook tombe vite dans un piège tendu par Griffin qui l'abat ; Bill suit à la trace le gang puis entreprend de persuader un régiment de cavalerie de l'aider après la mort du marshalll mais les soldats doivent surveiller le déplacement d'apaches ; Griffin donne une interview à un journaliste qui prévient que quiconque aidera Roy Goode sera châtié ; La Belle est prise en main par les hommes chargés de la sécurité de la future mine au grand dam de Marie Agnes ; cette dernière sert de confidente à Whitey, amoureux d'une jeune fille résidant dans le hameau voisin de Blackdom où vivent d'anciens soldats noirs, tandis qu'elle-même traverse une crise sentimentale avec Callie Dunne, une ancienne prostituée devenue institutrice en ville (avant de comprendre que sa jalousie est sans fondement).

Callie Dunne (Tess Frazer)

Un article du journaliste au sujet de La Belle où il a aperçu, après avoir voulu vérifier la rumeur, Roy Goode accompagnant Alice lors de la vente de ses chevaux, attire l'attention de Griffin sur la ville des veuves et précipite le retour de Bill. Espérant éloigner la menace, Roy quitte les parages sans savoir qu'il est trop tard. Whitey assiste au massacre des noirs de Blackdom par le gang de Griffin. La Belle se prépare à l'assaut tandis que Bill croise Roy, revenant sur ses pas, armé et résolu à en découdre avec son mentor.

Marie Agnes McNue et Alice Fletcher (Merritt Wever et Michelle Dockery)

Une bataille épique s'annonce qui ne s'achèvera qu'avec la défaite totale d'un des belligérants...

Roy Goode et Frank Griffin

J'ai toujours pensé que le western était le genre cinématographique par excellence - il fut d'ailleurs un des premiers filmés puis connut une apogée aussi spectaculaire que son déclin jusqu'à sa quasi-disparition, comme si, quelque part, en route, le filon s'était épuisé ou, plus sûrement, la manière de le raconter s'était perdue.

Car le western ne gagne pas à être sophistiqué : ce fut un genre populaire (pas seulement sur grand écran, mais aussi à la télévision, dans le roman, la bande dessinée, et la chanson - le répertoire musical issu du far west est pléthorique et c'est un spécialiste, T-Bone Burnett, qui a supervisé la bande originale de Godless) parce qu'il explorait des sentiments élémentaires que tout le monde pouvait éprouver, agitant des personnages auxquels il était aisé de s'identifier, pour lesquels on vibrait facilement.

Le western n'est pas seulement une exploration mythologique de l'Ouest américain, c'est aussi un domaine fictionnel qui s'appuie sur une géographie : celles des grands espaces encore en pleine conquête avec son folklore, peuplé d'indiens (les native americans), ses soldats, ses cowboys, ses chercheurs d'or, ses bandits de grand chemin, ses entraîneuses de saloon, les bâtisseurs de voie ferrée - le train lui-même dessina ce vaste territoire sauvage en traçant sa modernité, tout comme le télégraphe établit ses communications d'une côte à l'autre.

Les sentiments qui alimentent le western, comme source narrative, sont primaires et Godless doit sa première réussite, avec le respect aux éléments susmentionnés, à cette grammaire basique : bien que le réseau de relations qui unit les protagonistes de cette histoire soit touffu, complexe, par-delà le temps et l'espace, les émotions qu'il suscite restent simples, brutes. Il y est question d'amour, de haine, de filiation, de trahison, de vengeance. Autant de marqueurs sociaux, intimes, quasi-politiques qui forment cette fresque ambitieuse mais accomplie.

La passation s'impose comme le thème majeur du récit : Roy Goode est laissé par son frère à Lucy Cole avant qu'il ne rencontre Frank Griffin qui l'accueille dans son gang qu'il présente comme une famille ; puis Roy ayant trahi et fui Griffin est recueilli par Alice Fletcher dont le passé est aussi douloureux que le sien (veuve prématurément, violée par des indiens dont elle aura un fils, maudite par les femmes de La Belle qui pensent qu'elle a jeté un sort sur leur ville) et qui lui confie indirectement son fils, Truckee, à qui il apprend à devenir un cavalier-dresseur et chasseur (malgré la maladresse de l'adolescent) ; les veuves de La Belle vivant comme un phalanstère féminin tiraillées entre la conservation de leur indépendance et leur désir de refaire leur vie auprès d'hommes (après que les leurs - pères, maris, frères, enfants - soient tous morts à la mine), prises en étau entre le souvenir, le deuil et l'avenir, la renaissance.

On peut étendre ces passations aux personnages a priori secondaires mais intégrés tellement parfaitement à la trame globale qu'ils sont aussi importants que les premiers rôles, comme le marshall John Cook qui relance, malgré lui, le destin du shérif Bill McNue ; le journaliste qui devient le colporteur de la parole terrifiante de Frank Griffin et précipite la bataille de La Belle (en étant pris entre deux feux) ; cette peintre allemande réfugiée dans cette ville et retrouvée par le détective engagé par son mari et épris d'elle ; la romance entre Marie Agnes McNue et Callie Dunne (la première ayant renoncé à sa féminité en s'habillant comme un homme et devenue l'amante de l'ex-prostituée devenue l'institutrice de La Belle) ; l'adjoint du shérif amoureux d'une jeune fille noire résidant dans un hameau où se sont posés d'anciens soldats noirs avec leurs familles (ce qui aboutit à une romance compliquée par les préjugés)...

D'aucuns, esprits chagrins, reprocheront à Godless de prendre son temps. Pourtant, c'est en le faisant que Scott Frank, qui a écrit et réalisé les sept épisodes de la saison, que la série gagne cette épaisseur, fait vivre cette communauté d'hommes et de femmes, accordant aux figures majeures, motrices, toute l'importance, la chair et l'âme qui nous les rendent attachantes ou glaçantes, émouvantes ou pathétiques, tragiques ou porteuses d'espoir.

D'autres encore, mauvais clients, pourront pointer un esthétisme trop léchée à cette production qu'on devine richement financée, mais ce serait un mauvais procès à faire à cette saga que de ne pas apprécier sa beauté formelle exceptionnelle, ses compositions magnifiques, sons sens de la mesure entre la fresque et le drame à hauteur d'hommes et de femmes. Jamais le mystère précieux des destins qui se croisent dans Godless n'est escamotée par le goût de la belle image, les citations explicites (quelques plans sont directement influencés par La prisonnière du désert de John Ford), la déférence au genre (jusqu'au duel attendu de la fin).

Le mérite en revient aussi au casting fantastique et dont se dégagent : Jack O'Connell épatant en desperado sur la voie de la rédemption, Jeff Daniels en bandit (littéralement) manchot et affreusement illuminé, Scott McNairy en shérif qui a perdu son ombre mais pas son sens de l'honneur ni du devoir, ou Sam Waterston vite éliminé mais toujours aussi charismatique en marshall dévasté par l'horreur.

Les actrices sont toutes formidables, sans distinction, et si le western n'a pas attendu Godless pour leur accorder une place à l'écran (depuis Joan Crawford dans Johnny Guitare jusqu'à Barbara Stanwyck dans Quarante tueurs en passant par Jennifer Jones dans Duel au soleil), rarement, voire jamais, elles n'ont paru dans toute leur vérité, leur diversité, depuis Merritt Wever fabuleuse en dure à cuire jusqu'à Tess Frazer superbe de fragilité sensuelle en passant par Michelle Dockery, sensationnelle en fermière impénétrable. Il faudrait citer toutes les autres pour être juste et rappeler que la qualité d'un rôle ne se mesure pas au nombre de lignes de dialogues interprétés mais bien à la justesse avec laquelle sont incarnées ces héroïnes, qui sont le coeur de la série.

Magistral, visuellement somptueux, palpitant, abondant en morceaux de bravoure, passionnant et atypique, Godless est à tout point de vue une oeuvre qui fera date.  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire