Après une première saison captivante et troublante, les showrunners de The Girlfriend Experience ont voulu changer totalement la formule de la série en développant non pas une mais deux histoires, indépendantes qui plus est. Lodge Kerrigan a écrit et réalisé 7 épisodes sur un couple féminin, Erica & Anna, tandis que Amy Seimetz a rédigé le scénario et assumé la mise en scène consacrés à l'arc narratif de Bria. Un pari risqué... Et qui ne tient pas ses promesses.
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Erica & Anna, par Lodge Kerrigan.
Erica Myles et Anna Carr (Anna Friel et Louisa Krause)
Erica Myles est la directrice financière d'un sénateur Républicain en campagne pour être réélu. Lorsqu'un des donateurs prévient qu'il veut miser sur un autre candidat, elle cherche par tous les moyens à l'en empêcher et s'informe à son sujet. Ainsi apprend-elle qu'il fréquente des escort-girls et contacte l'une d'elles, Anna Carr. Cette dernière accepte de piéger ledit Mark Novak en produisant une sextape contre une récompense et parce qu'elle ne supporte pas ce client qu'elle considère comme un "porc".
Erica et Anna
Novak sous contrôle, Erica s'occupe de nouveau à lever des fonds auprès de puissants hommes d'affaires qui, en échange de leurs contributions, réclament du sénateur qu'il fasse voter des lois en faveur du libre marché, d'allègements d'impôts sur leurs sociétés et autres commodités. Anna accepte de revoir Erica gracieusement et elles deviennent amantes après que la seconde ait avoué à la première sa rupture récente avec l'avocate Darya Esford.
Anna et Erica
Lorsqu'un certain Peter Koscielny est prêt à donner 25 millions $ à Erica, elle s'interroge sur la provenance d'une telle somme, sachant que celui qui la verse est en affaires avec un industriel canadien - or la loi américaine sur le financement des campagnes électorales nationales interdit tout argent provenant d'un pays étranger. Son assistante, Sandra Fuchs, est abordée par le F.B.I., qui a vent de l'affaire, et découvre que Koscielny est bien l'intermédiaire de Martin Orban, résidant au Canada.
Anna et Erica
La situation amoureuse et professionnelle d'Erica sombre alors : Darya fait mine de revenir vers elle et l'oblige à quitter Anna avant de l'abandonner une nouvelle fois, tandis que le F.B.I. ouvre une enquête contre elle. Licenciée de l'équipe de campagne, rejetée par Anna qui ne lui pardonne pas ce qu'elle lui a infligée, Erica songe au suicide sans s'y résoudre mais en ayant tout perdu.
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Bria, par Amy Seimetz.
Bria Jones (Carmen Ejogo)
Sarah Day bénéficie du programme de protection des témoins du F.B.I. en échange de son témoignage contre son mari, Donald Fairchild, un homme d'affaires mêlé au trafic de drogue. Elle et sa belle-fille, Kayla, une adolescente qui n'accepte pas sa décision, sont confiées aux soins du marshall Ian Olsen qui les loge et trouve un travail et une nouvelle identité à Sarah - qui s'appelle à présent Bria Jones.
Paul (Harmony Korine)
Supportant mal son nouveau train de vie, plus modeste, et devant composer avec Kayla, Bria s'inscrit sur un site d'escort-girls dans l'espoir d'attirer l'attention d'un riche client. Elle rencontre ainsi Paul, coach en développement personnel, avec lequel elle entame une relation étrange car il souhaite apprendre à les connaître, elle et sa fille, pour fonder une famille et fait des efforts dans ce sens.
Le marshall Ian Olsen et Bria Jones (Tunde Adebimpe et Carmen Ejogo)
Olsen, méfiant, file Bria et pose des micros chez elle, découvrant ainsi qu'elle monnaie ses charmes avec un autre homme et fréquente Paul. Son courroux trahit l'attirance qu'il éprouve pour elle, même s'il a au départ repoussé ses avances. Bria a la confirmation par sa voisine que Donald Fairchild et ses sbires l'ont localisée et elle demande alors de l'aide à Paul qui la lui refuse, étant en compagnie d'une autre femme qui, effrayée, appelle la police.
Kayla Boden et Bria Jones (Morgana Davies et Carmen Ejogo)
Trahie par Olsen, à qui elle s'est donnée, et par Paul, qui l'a repoussée, mais confiée à nouveau au F.B.I et séparée de Kayla, qui s'était adoucie envers elle, Bria feint un malaise lors de son témoignage au tribunal en présence de Donald et réussit à s'enfuir en trompant la vigilance de ses gardiens. Elle entraîne son client dans le désert voisin contre la promesse d'une prestation sexuelle mais en vérité, elle attend les arrivées d'Olsen puis de Fairchild, blessant le premier et tuant le second. Elle s'éloigne puis s'arrête près d'une rivière pour laver le sang sur son corps et ses habits en réfléchissant à la suite, livrée désormais à elle-même.
Il n'y a guère plus désagréable que, d'une part, constater qu'une nouvelle saison d'une série dont la première avait été une épatante réussite puisse décevoir en égale proportion, et d'autre part, d'avoir le sentiment que les auteurs, si inspirés hier, semblent ne plus savoir ce qu'ils racontent aujourd'hui. Ce sont les impressions qu'on ressent après avoir vu cette deuxième cuvée de The Girlfriend Experience, pourtant pilotée par le duo Lodge Kerrigan-Amy Seimetz.
Peut-être la raison n'est-elle pas à chercher plus loin que dans le fait que les deux scénaristes-réalisateurs ont travaillé chacun de leur côté et non ensemble, développant deux arches narratives distinctes mais aussi inabouties l'une que l'autre.
Pourtant les situations explorées s'annonçaient prometteuses, variant habilement avec celles de la première saison et l'histoire palpitante de Christine Reade. D'un côté, on a droit à la romance tortueuse d'une directrice financière d'un sénateur avec une call-girl sur fond de magouilles électorales. De l'autre, la tentative d'un ancienne escort-girl d'échapper à la fois à son passé et à un mari véreux tout en retombant vite dans ses travers.
Mais, voilà le problème, aucun de ces deux récits ne prend vraiment. Diffusée alternativement par deux épisodes consécutifs chaque semaine (alors que la première saison avait été proposée intégralement, à la manière des séries Netflix), la production Starz déçoit à mesure qu'elle avance - avance plus qu'elle ne progresse car, et c'est l'autre terrible sensation qui s'imprime chez le téléspectateur, malgré un format toujours identique (environ 25' par chapitre), tout semble plus long, plus décompressé, et plus vide.
A l'image, cela se traduit littéralement par, dans l'histoire concernant Erica et Anna, des décors dépouillés à l'extrême, comme si le budget allouée au mobilier n'avait pas été dépensé. On peut comprendre ce parti-pris esthétique, la première saison pariant déjà sur une certaine épure en relation avec la distance (d'aucuns diraient la froideur) de la narration. Mais ici, entre des bureaux désespérément vides et des appartements impersonnels à l'excès, l'austérité est telle qu'on a du mal à croire que les personnages y travaillent ou y vivent.
Par contraste, la passion qui étreint Anna, au point qu'elle refuse qu'Erica la paie pour la revoir, et son amante en montre (beaucoup) plus que dans la saison précédente (les scènes de sexe sont plus déshabillées, les étreintes plus longues, les sentiments captés plus directement). Mais on a souvent le sentiment que ces deux femmes s'aiment dans mausolée si grisâtre que leur relation semble vouée à s'éteindre faute d'un foyer plus chaleureux.
Dans ces conditions, Anna Friel, étonnante en lesbienne pathétique et cruelle, et surtout Louisa Krause, prodigieusement belle et bouleversante en prostituée trahie, ont bien du mérite pour insuffler un peu de vie à ce cadre glacé qui semble conçu pour écoeurer le téléspectateur.
Malgré tout, Erica & Anna fait figure de réussite par rapport aux efforts déployées par Amy Seimetz pour l'histoire dédiée à Bria. Là encore, l'argument initial est intéressant et les premiers épisodes, malgré un rythme languissant et des effets de caméra curieux et pas très heureux (filmé à l'épaule, avec une lumière naturelle et un montage heurté, tout ça pour suggérer le basculement de l'héroïne), sont assez accrocheurs. On s'identifie facilement à cette femme qui doute de son choix, doit supporter une ado en colère contre elle, livrée à des agents fédéraux qui la soumettent à une curieuse machine censée la préparer à témoigner sans faillir contre sa crapule d'ex-mari.
Puis le dispositif patine et cale complètement. Ce n'est l'étrangeté du personnage de Paul (jouée avec une agaçante affectation par Harmony Korine, l'ex-enfant prodige du cinéma indé américain) ou la présence marmoréenne de Tunde Adebimpe en marshall troublé qui dérange tant que l'absence d'empathie qu'on ressent pour cette Bria jouée par Carmen Ejogo.
La comédienne n'est pas mauvaise mais elle est invraisemblable. Avec son visage peu expressif, son attitude de dure-à-cuire, elle a du mal à faire exister de manière probante son personnage dont le passé d'escort-girl est inexploité - elle pourrait tout aussi bien avoir été une desperate housewife mariée à un gangster que le récit n'en serait pas affecté, et c'est quand même un souci pour une série autour des prostituées de luxe.
Quand à la fin de son aventure, après juste un rapide flash-back pour justifier ce qui va arriver, elle bute son époux et blesse son protecteur du FBI comme une ancienne tueuse professionnelle, on sombre dans le ridicule. Visiblement, Amy Seimetz ne savait pas comment conclure ou a voulu tenter un twist si "hénaurme" qu'il se retourne contre elle et son histoire. Histoire déjà plombée par le manque de caractérisation accablant des seconds rôles (la belle-fille réduite à une caricature, le marshall à l'attitude visible à des km, Paul à la bizarrerie moins troublante qu'horripilante)... L'affaire était pliée et impossible à sauver.
L'avenir de la série est flou : Starz aurait prévu au minimum quatre saisons, mais à cette heure aucune nouvelle confirmant une troisième n'a été communiquée (si ce n'est qu'un nouveau showrunner devrait la mener). Le concept a pourtant encore du potentiel, souhaitons donc que tout le monde se reprenne pour ne pas rester sur cette déconvenue.