dimanche 31 décembre 2017

RED ONE, BOOK 1 : WELCOME TO AMERICA, de Xavier Dorison et Terry Dodson


Comme je l'avais questionné en critiquant Les Captainz de Yoann et Olivier Texier, le traitement des super-héros par les auteurs français suscite toujours une certaine méfiance chez les fans du genre car ils craignent que ce ne soit abordé que sous l'angle parodique. Mais qu'en est-il quand un scénariste français écrit sur ce sujet pour un dessinateur américain rompu à ces personnages, leur univers, leurs codes ? C'est un des intérêts du projet Red One de Xavier Dorison et Terry Dodson, publié aux Etats-Unis chez Image Comics à partir de 2015.


1977. Los Angeles. La "première" d'un film est contrariée par une manifestation conduite par la pasteur Jacky Core, une puritaine qui prétend vouloir sauver l'âme de l'actrice Lyn parce qu'elle interprète à l'écran une lesbienne. Vexée, cette dernière, prête à en venir aux mains, est convaincue de s'éclipser discrètement par son compagnon tandis que la police se charge de ces bondieusards. Malheureusement, peu après, le couple est tué par un tueur en série, le Charpentier.


Russie. Vera Yelnikov s'entraîne dans un camp militaire et impressionne tous les troufions, aussi émus par ses performances athlétiques que par sa sculpturale beauté. Après une visite express à sa famille, son supérieur direct, Georg, la convoque pour une mission sur ordre de Brejnev. 

Elle est envoyée aux Etats-Unis pour y neutraliser le Charpentier et devenir ainsi une super-héroïne aussi populaire que Batman, Superman ou Spider-Man - un pied-de-nez contre l'impérialisme américain qui ne saura pas qu'il adore une bolchévique. Georg confie à Vera un walkman et une cassette audio avec ses instructions avant qu'elle ne s'envole pour le Nouveau-Monde.


Sur place, Vera, sous le faux nom de Jane Alabama, a deux contacts : le premier, Lew Garner, est un réalisateur de cinéma, qui l'héberge et doit lui fournir un travail comme couvertures, et le second est Russlan, réparateur d'électro-ménager dont la boutique servira de base à la jeune femme et où l'attend son costume de super-héroïne...


Sous le pseudonyme de Red One, Vera intervient de manière de plus en plus spectaculaire : d'abord en neutralisant des disciples du Charpentier vandalisant un vidéo-club, puis des garçons harcelant deux jeunes filles dans un collège, et en s'attaquant aux fidèles du pasteur Jacky Core retranchés dans un bâtiment.


Ses coups d'éclats font rapidement la "une" des médias qui s'interrogent sur la véritable identité, l'origine et les motivations de cette justicière. Mais Vera est occupée par ailleurs, découvrant l'abondance des super-marchés américains et servant de bonne à tout faire pour Lew Garner chez qui elle loge.

Invitée une fête par le producteur Joe Jones, elle y entraîne Lew et elle se voit offrir de passer une audition pour leur nouveau projet, un remake pornographique d'un ancien film oublié, La Ferme. Mais la party est interrompue par une horde de fanatiques religieux à la solde de Jacky Core. Alors qu'elle veut s'interposer, Vera est appelée par Russlan qui a localisé le Charpentier.


L'assassin vient de tuer en la brûlant vive Jessie Maryn, une écrivain de Gauche, lesbienne et militante pour la paix, et il s'en prend alors à sa compagne. Red One intervient sans réussir à maîtriser son adversaire tandis que l'autre cible du Charpentier est sur le point d'accoucher !

La première arche narrative de Red One s'intitule simplement Welcome to America et compte quatre épisodes de presque cinquante pages, un format imposé pour sa diffusion européenne et adapté à un recueil de presque cent pages aux USA.

L'épisode inaugural se distingue par son rythme soutenu : Xavier Dorison installe rapidement la situation avec les manifestations des intégristes religieux soutenant la pasteur Jacky Core contre la libération des moeurs dans les Etats-Unis de 1977 et la présence inquiétante d'un serial killer, le Charpentier, qui s'en prend à de jeunes femmes trop affranchies à son goût. Le scénariste ne fait pas mystère du soutien des fanatiques pour l'assassin sans établir une complicité explicite entre les deux, mais en deux scènes spectaculaires, la menace est posée.

Puis, changement de décor : nous voici en Russie, sous la présidence de Léonid Brejnev, et nous faisons connaissance avec l'héroïne, Vera Yelnikov. Initialement, Red One devait s'appeler Red Window mais l'éditeur américain a craint un procès de la part de Marvel, publiant les aventures de Black Widow. Dorison pensait-il à Natasha Romanov en créant sa belle espionne soviétique ? C'est probable, mais on sait à quel point le tempérament procédurier des uns invite à manoeuvrer avec prudence dans ce genre de cas.

L'auteur prend le parti de la légèreté pour rebondir sur le prologue : il n'est pas mentionné que Vera est une surhumaine mais elle affiche pourtant des capacités physiques exceptionnelles, avec une force, une endurance et une agilité supérieures à la moyenne. On apprend qu'elle est intervenue dans des régions dangereuses (comme l'Afghanistan), ce qui résume facilement son expérience, suggère un passé de guerrière aguerrie. Mais élevée dans un environnement stricte et pauvre, dans une Russie représentée comme un régime répressif, sa fantaisie offre un contraste saisissant et réjouissant.

Dorison n'a plus qu'à suivre cette caractérisation pour ironiser sur le décalage du personnage lors de son arrivée en Amérique, où tout la surprend, depuis le climat californien jusqu'à l'abondance des super-marchés en passant par le choc culturel qui tiraille la société, entre puritanisme et hédonisme.

Ces lignes narratives sont soutenues, soulignées par le dessin de Terry Dodson : cet artiste fait partie des adeptes du "good babe art", émule d'Adam Hughes avec Frank Cho, tous héritiers de peintres de pin-ups (comme Varga ou Gil Elgren). Dodson a travaillé pour DC et Marvel sur des titres phares, de Wonder Woman à Spider-Man, et fait équipe avec sa femme, qui réalise ses encrages ; il est donc en terrain connu.  

Et il prend un plaisir communicatif à illustrer cette histoire plus ludique que les récits au premier degré que lui offrent les "Big Two". Il peut à la fois prouver une fois encore son talent pour représenter les très belles filles, girondes, pulpeuses, à l'air faussement ingénu, sans avoir à se retenir sur l'érotisme (coquin, mais pas grivois). Curieusement, on pense aux incendiaires italiennes des années 50-60, de Sophia Loren à Claudia Cardinale, terriblement sensuelles sans être vulgaires, jouant de leur charme ravageur sans avoir l'air d'y toucher : Vera Yelnikov alias Jane Alabama est une pure créature de cartoon à la fois déterminée, maladroite et ensorceleuse. 

Le découpage de Dodson gagne en densité avec le script de Dorison et il se permet un plus grand nombre de plans par page, des détails plus soignés pour les décors, grâce à un temps plus long consacré à la réalisation de l'épisode. Son trait rond et expressif et les couleurs tour à tour nuancées et vives rendent l'ensemble très agréable.

Cette variation moderne de Ninotchka est un plaisir, un peu coupable, de lecture : tout ça n'est pas très subtil, je vous l'accorde, mais c'est indéniablement divertissant, respectueux sans être trop révérencieux, dynamique et aguicheur. Je vous garde au chaud la suite pour l'an prochain... Stay tuned !

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