jeudi 26 octobre 2017

WIND RIVER, de Taylor Sheridan


Rares sont les scénaristes de cinéma dont on retient le nom autant (sinon plus) que les réalisateurs qui mettent leurs scripts en images. Taylor Sheridan bénéficie de ce privilège grâce à sa "trilogie de la frontière américaine moderne", commencée avec Sicario (Denis Villeneuve, 2015) et suivie de Comancheria (David McKenzie, 2016). Wind River achève cette fresque avec, cette fois, son auteur derrière la caméra. Et c'est, une nouvelle fois, une exceptionnelle réussite.

 Macabre découverte à venir dans la neige du Wyoming

Wyoming, en hiver. Cory Lambert, pisteur-chasseur pour l'office des Eaux et Forêts, découvre près d'une réserve indienne le cadavre de Natalie Hanson, amie de sa fille, elle-même décédée dans des circonstances louches quelques années auparavant - ce drame a brisé son couple et il ne voit plus son jeune fils cadet qu'un week-end sur deux, son ex-femme postulant pour un emploi à Chicago.

Le pisteur Cory Lambert (Jeremy Renner)

Avisant le shérif Ben des Affaires Indiennes de sa macabre découverte, Cory voit arriver une jeune agent du FBI, Jane Banner, alors qu'une tempête de neige risque d'effacer des traces importantes pour l'enquête. Bien qu'encore en formation, venant de Las Vegas, la jeune femme ne s'en laisse pas compter au point de manquer de tact quand elle interroge Martin Hanson, le père de la victime et ami de Cory.

L'agent du FBI Jane Banner et le shérif Ben (Elizabeth Olsen et Graham Greene)

Pourtant cela permet d'orienter leurs soupçons rapidement du côté d'une bande de toxicomanes, dont fait partie le fils aîné des Hanson. Leur arrestation dégénère mais Cory obtient, officieusement, des informations capitales : Natalie avait une liaison avec Matt, un ouvrier d'un site de forage voisin. Tandis que Jane s'y rend avec Ben, Cory explore une autre piste, celle littéralement laissée par une motoneige depuis la maison des prévenus par un possible quatrième homme. 

Jane Banner et Cory Lambert 

Accompagnés par deux adjoints, Jane et Ben arrivent au campement des ouvriers du site de forage pour parler à Matt. L'ambiance se tend brusquement lorsque le service de sécurité conteste l'autorité de la police et du FBI et leur curiosité. En vérité, les vigiles couvrent deux ouvriers retranchés dans une caravane qu'ils partageaient avec Matt et qui déclenchent une fusillade.

Jane Banner

Les vigiles, le shérif et ses adjoints sont abattus, mais Jane s'en tire avec une blessure seulement grâce à son gilet pare-balles et le renfort de Cory positionné en hauteur. Il laisse sa radio à Jane qui l'autorise à traquer le dernier fugitif, quitte à ne pas le ramener vivant. Le pisteur le rattrape et lui fait avoué son crime : un viol collectif sur Natalie et un tabassage à mort contre Matt. Cory le laisse filer mais, pieds nus et par grand froid dans la montagne, le criminel ne va pas loin, terrassé par une embolie pulmonaire.

Cory Lambert et Martin Hanson (Jeremy Renner et Tokala Clifford)

Après avoir rendu visite à Jane à l'hôpital et l'avoir réconfortée en lui affirmant qu'elle a bouclé son enquête efficacement, Cory rejoint Martin Hanson avec lequel il se souvient de leurs filles respectives.

En surimpression à l'écran durant le dernier plan du film, où on voit les deux pères endeuillés, on apprend que les disparitions des femmes indiennes restent non mentionnées dans les rapports policiers encore aujourd'hui. Ces affaires-là peuvent être réglées, comme dans cette histoire, avec le concours des forces fédérales, elles appartiennent aux bureaux des Affaires Indiennes locaux, mais ne sont pas enregistrées dans les autres registres. On ne sait donc pas avec exactitude combien de victimes se volatilisent sans laisser de traces, les autorités se fichent même de leur existence et des causes de leur décès.

Ce constat glaçant, Taylor Sheridan semble avoir voulu, à sa mesure, modeste mais sincère, y faire un sort en racontant, très efficacement, ce récit policier très humain et social à la fois. Le cadre est sauvage, magnifique mais inhumain, même les autochtones (les plus jeunes) finissent par n'avoir plus comme seul projet que de le fuir, soit en sombrant dans l'alcool, la drogue, soit en se déplaçant vers de grandes agglomérations (sans garantie d'y trouver un emploi et donc de meilleures conditions de vie). Cette terre du Wyoming est toute de "silence et de neige" comme le déclare le fils de Martin Hanson à Cory Lambert pour justifier sa toxicomanie, mais le pisteur lui rétorque qu'il aurait pu suivre des études, décrocher un job et aller ailleurs ainsi, ou simplement considérer, comme lui dont la famille habite ici depuis plusieurs générations, que le silence et la neige sont tout ce qui leur appartient - entendez : tout ce que l'homme blanc a laissé aux indiens et à ceux qui vivent selon leurs principes.

On pouvait craindre que le film ne glisse maladroitement dans une sorte de "buddy movie" initiatique avec l'arrivée de la jeune agent du FBI, chez qui tout détone, depuis ses vêtements inadaptés au climat rude de la région jusqu'à ses méthodes d'enquêtrice peu diplomate. Mais Sheridan évite les clichés avec intelligence et n'insiste pas sur le duo formé par cette rookie des fédéraux et le pisteur taiseux.

Le cinéaste-scénariste préfère, heureusement, avancer dans l'enquête et l'horreur du crime qu'elle révèle ainsi que l'impact que cela produit sur ses héros. Avec subtilité, et sobriété, il fait du chasseur un homme blessé que son passé a rendu à la fois plus empathique et déterminé ; et de l'agent du FBI une étrangère certes mais professionnelle, consciencieuse, ne craquant qu'à la toute fin, quand elle peut enfin éprouver le calvaire de la victime. Il s'en est fallu de peu que le casting soit différent et diminue la force de l'interprétation puisque le rôle de Jeremy Renner devait initialement revenir à Chris Pine : c'est heureux que le Hawkeye des Avengers en ait hérité car il lui donne une gravité taciturne bien plus imposante. Et justement le fan des films Marvel s'amusera qu'il donne la réplique à celle qui incarne Scarlet Witch, Elizabeth Olsen, également remarquable de pugnacité et de tension mêlées. Leur couple (qui, là aussi, heureusement, ne devient jamais romantique) possède une alchimie profitable au film.

Sheridan, lui, fait preuve d'un sens de la mise en scène bluffant pour un premier effort, se payant même une scène de fusillade extraordinaire, mais aussi doué pour saisir des détails éloquents (le shérif détachant l'étiquette de la doudoune neuve que s'est achetée Jane, le masque de mort improvisé de Martin) ou cadrer l'environnement somptueux (des étendues blanches immaculées puis soudain souillées par le sang, le pisteur évoluant dans sa combinaison virginale dans ce paysage insensé).

Un authentique western moderne, qui rend justice à la culture arapahoe avec une mélancolie poignante.

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