mercredi 18 octobre 2017

MINDHUNTER (Saison 1) (Netflix)


Après avoir enchaîné le visionnage de plusieurs séries de grande qualité, dont j'ai fait le compte-rendu ici, j'ai éprouvé le besoin de faire une pause. Si l'offre est abondante, elle l'est aussi presque trop et on ne sait plus où donner de la tête actuellement. Puis de nouvelles productions inédites s'annonçaient, qui viendraient bien assez vite et m'accapareraient à nouveau.

Parmi ces nouveautés prometteuses, l'une m'attirait spécialement : Mindhunter, produite par le prestigieux duo formé par David Fincher (déjà à l'oeuvre sur le célèbre House of Cards) et Charlize Theron. Disponible depuis le 13 Octobre sur Netflix, j'ai commencé à regarder cette saison 1 (une deuxième est déjà commandée) le lendemain et fini hier. Inutile de faire durer le suspense : c'est une réussite absolue. Un chef d'oeuvre même, osons l'affirmer.

Les agents spéciaux Bill Tench et Holden Ford (Holt McCallany et Jonathan Groff)

1977. Holden Ford est un agent spécial et instructeur du FBI, spécialisé dans la négociation lors de prise d'otages. Sa dernière mission s'est soldé par un échec - le preneur d'otages s'est suicidé - et ses élèves suivent ses cours sans passion. Frustré, il souhaiterait élargir son champ d'action en étudiant le comportement de tueurs violents afin de comprendre leurs motivations, leur fonctionnement et apprendre à anticiper de futurs crimes. Après en avoir parlé à son supérieur, le chef Shepard, il est associé au vétéran Bill Tench, responsable de l'Unité des sciences comportementales du Bureau.

Le criminel Ed Kemper et l'agent spécial Holden Ford (Cameron Britton et Jonathan Groff)

Tench est réservé sur le projet de Ford, doutant qu'on puisse prévoir des crimes violents, mais Holden finit par le convaincre de participer à des entretiens qu'il commencés à réaliser avec Ed Kemper, auteur de meurtres particulièrement atroces, avec lequel il est certain d'avoir établi un dialogue fiable. Ils font cela sur le temps libre dont ils disposent entre deux déplacements en province où ils rencontrent des flics ordinaires avec lesquels ils partagent la méthodologie du FBI concernant les balbutiements du profilage. Mais quand leur hiérarchie l'apprend, leurs recherches provoquent des réactions négatives.

Le Dr. Wendy Carr (Anna Torv)

Holden grâce au soutien inattendu de Bill obtient quand même de poursuivre ses entretiens en prison et son collègue introduit dans leurs études une amie, psychologue réputée, le Dr. Wendy Carr. Elle élabore une stratégie plus aiguisée pour cerner le passé et ses conséquences sur leurs actes des criminels alors que jusque-là les deux agents improvisaient et tâtonnaient. Cette modification dans leur approche appliquée leur concours dans une affaire locale est un succès puisqu'elle permet à la police d'appréhender et de confondre le coupable d'un homicide violent.

Debbie Mitford et son fiancé Holden Ford (Hannah Gross et Jonathan Groff)

En parallèle, on découvre l'intimité des trois collaborateurs : Holden a une liaison avec une ravissante étudiante, préparant son doctorat (donc capable de soutenir ses réflexions) ; Bill est en couple avec sa femme mais l'enfant qu'ils ont adopté se mure dans le silence sans qu'ils trouvent une psychothérapie concluante ; et Wendy a une relation avec une collègue qu'elle s'apprête à quitter après que le FBI lui offre un poste de consultante pour superviser Ford et Tench. Wendy réussit à lever des fonds privés pour financer leurs travaux, ce qui incite le Ministère de la Justice à mettre aussi la main à la poche.

Holden Ford, Wendy Carr et Bill Tench

Le double emploi des agents les accapare de plus en plus : ils doivent s'acquitter de visites dans des postes de police en qualité de conseillers, et parfois aussi pour participer à des enquêtes (en l'occurrence le meurtre d'une jeune fille dont les suspects sont son petit ami, la soeur de celui-ci et le fiancée de cette dernière) ; mais ils poursuivent leur série d'entretiens avec des criminels violents, comme Monte Rissel, au profil différent de Kemper. Disposant de plus de recul, Wendy détermine, elle, les similitudes entre ces meurtriers, déjà détenus ou suspects, et, avec Ford et Tench, cherche un terme générique. La notion de "tueur en séquences" fait place à celle de "tueur en série".

Bill Tench, Holden Ford et le criminel Monte Rissel 
(Holt McCallany, Jonathan Groff et Sam Strike

A ce stade de leurs avancées, sur le terrain mais aussi avec leurs interviews, Ford, Tench et Carr doivent recruter pour gérer les dossiers qui s'accumulent. Il faut transcrire les témoignages des tueurs et trouver d'autres interrogateurs. Mais la sélection est difficile car il faut composer avec les préjugés des tueurs et l'envie de leur hiérarchie de contrôler leurs recherches - ainsi le chef Shepard leur impose-t-il un assistant, ami d'un ami. Ford est le plus contrarié par l'évolution de leur structure, tout comme par l'insistance de Wendy et Bill à respecter un questionnaire alors que lui préfère improviser en fonction de son interlocuteur. Il compte prouver qu'il a raison avec son prochain candidat : le criminel Jerome Burdos.

Holden Ford et le criminel Jerome Burdos (Jonathan Groff et Happy Anderson)

Après le très loquace Kemper et le nerveux Rissel, Burdos s'avère un redoutable manipulateur, très narcissique. Pour le percer à jour, Holden le laisse parler de lui à la troisième personne puis, contre l'avis de Bill, lui offre une paire d'escarpins à talons aiguilles qui satisfait son fétichisme et le motive pour s'épancher. Dans le privé, Wendy s'habitue à sa vie solitaire même si elle cherche à attirer un chat errant, dont elle entend les miaulements dans la buanderie de son immeuble ; Bill avoue à sa femme son découragement vis-à-vis de leur fils alors qu'elle songe à le confier à une musicothérapeute ; et Holden découvre que Hannah le trompe avec un camarade à l'université, ce qui cause leur rupture malgré une brève réconciliation.

Bill Tench, Wendy Carr et Holden Ford

Les rapports professionnels entre Holden, d'un côté, et Bill et Wendy, de l'autre, se tendent de plus en plus à cause des improvisations provocatrices du premier lors des interviews. Néanmoins, les deux agents, sur le terrain pour une nouvelle affaire de meurtre, oublient leur contentieux et, suivant successivement l'intuition de Ford, confondent un élagueur forestier itinérant pour le viol et la mort d'une majorette en recourant à une mise en scène dérangeante. Autour d'un verre avec les policiers, Holden se vante ensuite de ses ruses. Conséquence : les journaux évoquent l'affaire résolue et les méthodes employées, ce qui met Wendy en colère car désormais les détenus interrogés vont se méfier d'eux, persuadés qu'au lieu de les faire parler d'eux ils voudront les accabler aux yeux de la justice ou les manipuler pour que le FBI s'en glorifie ensuite.

Bill Tench et Holden Ford

Pourtant, la crise qui couve va réellement éclater avec le prochain tueur en série rencontré par Ford et Tench : Richard Speck se montre peu coopératif, agressif, et porte plainte contre eux après leur visite car il a subi des violences de la part d'autres prisonniers. En outre, durant l'interrogatoire, Holden a employé un vocabulaire vulgaire pour pousser Speck à se confier sur un viol, mais censure ensuite ce passage lors de sa transcription. Wendy le découvre puis le rédacteur envoie, anonymement, l'enregistrement complet à la police des polices.

Le criminel Richard Speck (Jack Erdie)

L'équipe est à son tour passé sur le grill par les affaires internes. Holden ne peut supporter qu'on remette en cause l'efficacité de son travail, quand bien même sa méthode est discutable. Bill le lâche, comme Wendy. Le délateur pense, lui, avoir accompli son devoir en dénonçant ces pratiques. Apprenant, dans l'intervalle, que Kemper a tenté de se suicider et l'a désigné comme responsable pour le traitement médical à suivre, Holden se rend à son chevet. Leur face-à-face fait craquer l'agent spécial qui s'effondre ensuite dans le couloir de l'hôpital, victime d'un malaise respiratoire...


Fascinant objet narratif que ce Mindhunter en vérité. En surface, il s'agit d'une série policière sur les origines du profilage et la frontière ténue entre ceux qui traquent le mal (ses origines chez les tueurs déjà arrêtés, mais aussi en voulant appréhender des criminels dans la nature) et ceux qui le commettent. Pourtant vous ne verrez pas de courses-poursuites spectaculaires, de tirs avec ou sans sommation contre des suspects, de procès avec témoignages à charge des agents de police ou du FBI. La série fuit l'action pour revenir aux bases : le questionnement, les doutes, les tâtonnements, l'impact que la fréquentation avec l'horreur a sur la vie quotidienne (privée, professionnelle, amicale, amoureuse), l'élaboration laborieuse d'une méthodologie, le débat entre les vertus d'une stratégie stricte, claire et nette et les mérites de l'improvisation pour provoquer les confidences des monstres. Et, enfin, le résultat de tout cela, s'il en vaut la peine, entre les pressions d'une hiérarchie bureaucratique, les tensions entre collègues, l'approche académique d'une universitaire et celle plus pragmatique des agents...

En vérité, Midhunter, créé par Joe Penhall d'après le livre de John E. Douglas (l'agent qui a servi de modèle au personnage de Holden Ford) et Mark Olshaker, raconte plus sûrement, selon moi, ce qu'est une histoire, la raconter, l'écouter, la comprendre, la relater, l'exploiter.

Car la série se résume, puissamment, mais de manière étonnamment minimaliste en fait, à cela : deux hommes dans une cellule de prison qui en écoute un troisième débiter les horreurs qu'il a commises et tenter d'en tirer ensuite un traité sur la manière à la fois de saisir les motivations, le fonctionnement de tueurs, et d'anticiper de futurs crimes violents, d'établir les fondations d'une justice préventive et pro-active.

Lorsque Holden Ford et Bill Tench enregistrent les confessions, confidences, d'Ed Kemper, Monte Rissel, Jerome Brudos, Richard Speck, qu'ont-ils face à eux sinon des ogres sortis de contes ? Et les contes ne sont-ils pas étonnamment macabres, atroces, violents, traumatisants, métaphoriques ? Il était une fois une jeune fille attirée par un loup qui finit par la dévorer après lui avoir fait subir les derniers outrages. Des récits affreux, inspirés à leurs auteurs par des motifs récurrents, sommairement ciblés par la psychanalyse freudienne, comme le père absent et/ou une mère écrasante, une sexualité frustrée, des humiliations qui, un jour, éclatent et provoquent le passage à l'acte, le basculement dans les ténèbres.

Le sens de tout cela se révèle, à la manière d'une photo qu'on développe dans une chambre noire, par le personnage de Wendy Carr, inspirée par le docteur Ann Wolbert Burgess, qui est une sorte d'intermédiaire entre Ford, Tench et le milieu universitaire et la hiérarchie du FBI en sa qualité de consultante et superviseur. Mais c'est aussi cette femme entre ces deux hommes qui sert de filtre avec le spectateur, lui permettant de prendre du recul, de n' "héroïser" ni les deux agents ni les tueurs (à la faconde parfois aussi fascinante que leurs crimes sont abominables). Anna Torv l'interprète fabuleusement, avec une froideur hautaine.

En creux des interviews de ces serial killers, des enquêtes sur le terrain, se joue une autre partie, plus intime et bouleversante. Malgré leurs états de service, leur professionnalisme, leur expérience, leur faculté à encaisser, à quel point Ford et Tench restent-ils imperméables à ce qu'ils entendent et traversent ? Pire : à quel point ce qu'ils enregistrent et résolvent impacte-t-il leur vie privée ? 

Tench est d'abord montré comme le plus humain, le plus sensible, malgré son allure de vieux loup : son couple est en souffrance depuis l'adoption de leur fils, qui leur impose un inquiétant et persistant silence. L'impuissance de Bill se traduit par sa fréquentation assidue de terrains de golf où il préfère se détendre plutôt, au début du moins, que de participer aux interviews de criminels, puis par ses absences répétées et de plus en plus longues de son foyer à mesure que les enquêtes et les interrogatoires l'accaparent. Holt McCallany est imposant dans le rôle de ce colosse aux chevilles d'argile.

Ford semble, lui, comme le dit son collègue, "immunisé" à l'horreur. On pourrait même facilement supposer qu'il est fasciné, obsédé par le Mal, que son envie de comprendre le fonctionnement des tueurs dépasse la simple curiosité professionnelle, la simple motivation de créer un dispositif prévenant les crimes violents en détectant les individus à risque. Bien que sa liaison avec Debbie (superbe, dans tous les sens du terme, Hannah Gross) soit volontiers torride et que leur relation soit riche intellectuellement, c'est un animal à sang froid, imperturbable, de plus en plus absorbé par sa mission, convaincu de la justesse de sa méthode jusqu'à la suffisance. Ce faisant, il se coupe de son collègue et allié, se met à dos Wendy, s'attire les menaces de sa hiérarchie, pour finir, après un face-à-face vertigineux, malsain à souhait, avec un de ses interlocuteurs criminels, par littéralement craquer, s'effondrer. Sa chute, au propre comme au figuré, illustre parfaitement la pensée de Nietzche : "si tu regardes l'abîme, l'abîme aussi te regarde." Jonathan Gross n'est pas qu'un beau jeune premier, il livre une composition habitée, impressionnante.

La production est somptueuse, David Fincher réalise lui-même quatre épisodes sur les dix que compte la saison (les deux premiers et derniers) et prouve que ce format lui convient idéalement (alors qu'au cinéma, il s'est montré plus inégal et semble même, depuis un moment, en errance, sans projet fixe et/ou alléchant). 

Et si Mindhunter, comme ce mystérieux personnage à Park City, Kansas, qu'on voit brièvement dans les prologues de plusieurs épisodes (préparant visiblement un crime), était, comme série, le tueur parfait, celui qu'on ne voit pas venir et qui, plus sûrement que vous exécuter, vous laisse, pantelant, haletant, conscient que les ténèbres qui nous entourent ne seront percées par aucune lumière ? En achevant cette saison sur une séquence calée sur la chanson In the light de Led Zeppelin, on reconnaissait le terrifiant et ironique motif derrière la quête de ses héros : et si, donc, les tueurs gagnaient toujours en se succédant ? Vertigineuses dynastie et destinée.

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