vendredi 22 septembre 2017

ROCK'N'ROLL, de Guillaume Canet


Je n'aime pas Guillaume Canet. Je suis d'abord un peu jaloux qu'il soit le compagnon de Marion Cotillard. Mais surtout, blague à part, je ne comprends pas sa bonne côte dans le cinéma français actuel alors qu'il est un acteur dénué de charisme, au talent minimal, et un réalisateur surestimé.

Mais il a "la carte" (dixit la formule de Jean-Pierre Marielle pour désigner celui qui a les faveurs de la profession, quels que soient ses succès ou ses qualités). Alors quand Canet clame qu'il part en live dans son dernier film, pour casser son image trop lisse et aussi pour critiquer notre société obsédée par l'image que les célébrités renvoient, je suis curieux et je décide de regarder ce que vaut son dernier film : Rock'n'Roll. Mais le contenu tient-il la promesse de son titre ? 

 Marion Cotillard et Guillaume Canet

Guillaume Canet a 43 ans et tout pour lui : il collectionne les succès au box office, partage la vie de la comédienne française la plus connue dans le monde, et tourne dans le premier film de son meilleur ami, Philippe Lefebvre.

Camille Rowe et Guillaume Canet

Pourtant, lors d'une interview, une innocente remarque de la journaliste relayée par sa partenaire à l'écran, Camille Rowe, le plonge dans un doute abyssal : il est considéré comme un acteur vieillissant, à l'image trop sage, éclipsé par la notoriété de sa femme. 

Alain Attal et Philippe Lefebvre

Tout ça le tourmente beaucoup et rapidement au point qu'il rend le tournage infernal, se met à sortir et à abuser de l'alcool et de la drogue, à négliger sa petite famille... Pour prouver à qui en doute qu'il est encore "rock'n'roll", jeune, dynamique, capable d'étonner n'importe qui.

Une simple crise de la quarantaine ?

Son entourage personnel et professionnel fait d'abord le dos rond et pense qu'il ne s'agit que d'une crise passagère, mais Canet déconne de plus en plus jusqu'à l'irréparable - et malgré les conseils avisés du rockeur en chef, Johnny Hallyday...

Guillaume Canet et Johnny Hallyday

Bientôt il se laisse entraîner dans une spirale délirante par un pseudo-chirurgien esthétique et un coach sportif. Mais si son image change radicalement, sa réputation est dévastée, sa vie conjugale balayée... Convaincu de la justesse de ses choix malgré l'opprobre générale, Guillaume Canet prend un aller simple pour le grand n'importe quoi - au point d'y entraîner celle qui l'aime encore ?

On ne peut nier à l'acteur-scénariste-réalisateur un réel culot pour s'être lancé dans une telle entreprise, même s'il faut en relativiser l'originalité puisque l'argument rappelle fortement l'intrigue, plus tordue encore (quoique aussi inaboutie), de Grosse Fatigue (Michel Blanc, 1994). Déjà les acteurs y jouaient leurs propres rôles, ou du moins eux-mêmes tels que le cinéaste pensait que le public les voyait, et s'interrogeait sur ce regard (Blanc inscrivait son histoire dans une série noire où son sosie salissait sa réputation) sur le ton de la comédie.

Mais la différence entre Michel Blanc et Guillaume Canet tient d'abord à deux éléments : d'abord, Blanc n'éprouvait pas de malaise quand à l'image qu'il renvoyait, il subissait ce que son sosie en faisait (notamment en ayant un comportement inconvenant en société, et les femmes en particulier, mais aussi en abusant de quelques avantages permis par la notoriété) ; et ensuite Grosse fatigue développait son postulat dans une trame policière (trouver et arrêter le sosie, puis tenter de faire comprendre à tous que le vrai Michel Blanc n'avait rien fait d'affreux). Canet produit, lui, un récit beaucoup plus (trop) autocentré et sans le structurer dans un genre (si ce n'est une comédie très inégale, avant de sombrer dans la grosse farce à la fin - ce qui détruit toute l'entreprise de démolition pseudo-réaliste du début).

En vérité, non, Rock'n'Roll n'est pas très rock, ou pas suffisamment. Il ne va pas assez loin, ou alors trop loin mais dans la mauvaise direction : ce qui aurait pu (dû ?) être un jeu de miroir déformant troublant, dérangeant, assortie d'une réflexion aiguisée sur la "société du spectacle" finit par être une "potacherie" sur Guillaume Canet, un homme et un acteur pas assez important, profond, pour mériter d'être ainsi déconstruit.

Dans une scène du film, lors du deuxième acte (après la crise, mais avant l'aller sans retour vers le délire faussement trash), Canet se trouve dans le bureau d'Yvan et Alain Attal, producteurs du film qu'il tourne sous la direction de Philippe Lefebvre : il tente de les calmer face au sabotage qu'il inflige au tournage en évoquant son prochain long métrage de réalisateur. Ses interlocuteurs soutiennent l'idée d'un docu-fiction sur Marion Cotillard mais lui, en prétendant que sa compagne l'encourage, pense qu'il ferait un meilleur sujet.

Canet donne lui-même, peut-être sans s'en rendre vraiment compte, la clé de ce qui ne fonctionne pas dans son Rock'n'Roll et qui provoquent aussitôt la rage de ses producteurs : sa crise, sa personnalité, son personnage ne sont effectivement pas assez intéressants, et cela même sans le comparer à celui de sa célèbre compagne. Le film souffre des mêmes manques que son sujet et son héros.

Le sujet se veut une charge féroce et pleine d'esprit contre le narcissisme des vedettes mais aussi de la manière dont les médias s'intéressent à elles, moins comme artistes que comme people. Or, cela, le film ne fait que l'effleurer, préférant montrer les âneries pathétiques de vrai-faux (ou faux-vrai) Guillaume Canet pour rester jeune, en forme, et en même temps subversif, transgressif, bref dans le coup, dans le vent. Mais être dans le vent, tout le monde le sait (sauf Canet apparemment), c'est du vent et le film devient aussi venteux.

Le héros manque de recul au point qu'une banale remarque - exprimée par une journaliste quelconque et une jeune actrice inexpérimentée qui le charrie un peu sur son âge et ses copains - suffit à le vexer. Difficile, pour ne pas dire impossible, de croire ensuite que ce prétexte suffit à bouleverser autant le personnage, à le faire aller aussi loin. Pour sinon compatir, du moins accepter de croire à ce qu'il traverse, il aurait fallu davantage que ça. Mais si la mission était de se montrer comme un pauvre con, vertigineusement idiot, alors là, parfait, mais cela mérite-t-il d'y consacrer plus de 120 minutes ?

Les deux éléments (sujet pas assez fouillé, héros plus bête que vraiment dubitatif) sont liés et expliquent tout ce qui font boiter le film : je ne dis pas que ce n'est pas drôle, car quelques gags sont réussis, il y a des envolées loufoques vraiment épatantes (Marion Cotillard transformée en Céline Dion quand elle est convaincue d'avoir "attrapé" son rôle dans le Xavier Dolan qu'elle prépare - il faut d'ailleurs souligner que la comédienne est réellement époustouflante de drôlerie décomplexée dans le film, faisant preuve d'auto-dérision en équilibre parfait entre sur-jeu et émotion contenue), mais, mais, mais que c'est mal foutu quand même.

Le premier acte est inutilement long, insistant déraisonnablement sur le caprice du héros, comme si Canet acteur et cinéaste hésitait à vraiment partir en sucette. Conséquence : une fois le twist révélé et l'acte II entamé, on s'étonne que le délire du personnage impacte aussi mollement son entourage et contamine si peu le film lui-même. Durant la promo et dans les bandes-annonces, on promettait une surprise renversante et audacieuse alors qu'en vérité, on est loin du trash de n'importe quelle émission de témoignage genre Chacun son choix.

Dès lors, on est loin de l'intention initiale, sans doute plus inspirée mais aussi plus risquée, de Canet (voir "Première" n°475) qui voulait appeler son long métrage Un Homme en colère, conçu avec un petit budget et caméra à l'épaule, façon faux docu - trop "aigri" selon l'auteur, mais certainement moins tiède que le produit actuel. C'est ce qui s'appelle avoir peur de soi-même tout en aimant se regarder déconner gentiment au lieu de dénoncer vraiment l'égocentrisme (des acteurs mais aussi des gens avec la manie des selfies, l'envie d'être célèbre même sans talent, etc). On a plutôt droit à un film pour happy few où les guests défilent sans être bien exploités (voir la scène avec Johnny : le chanteur y est très convaincant en caricature de lui-même, mais le dialogue qu'il échange avec Canet est d'une platitude moraliste consternante - "le rock'n'roll, c'est dépassé").

Jamais, c'est un comble, ce qu'on nous raconte là ne fait vrai et donc tout le dispositif sonne creux, la démonstration est vaine. Il aurait fallu oser être vraiment ridicule, méchant, grotesque, comme à la grande époque des comédies italiennes, pour transformer un sujet passionnant comme celui-ci en ce dont rêvait Canet. Mais ce dernier n'a ni le cynisme ni la puissance satirique, peut-être même pas le culot, pour déranger, interpeller le public comme il le prétend. A moins d'être décoiffé par le spectacle d'un type pour qui oser aimer écouter Demis Roussos ou péter au lit (entre autres audaces), Rock'n'Roll a tout du ballon de baudruche. Même en n'appréciant pas Canet au départ, difficile d'être indulgent de toute manière devant pareille frilosité.

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