dimanche 24 septembre 2017

BATMAN, VOLUME 04 : YEAR ZERO -SECRET CITY, de Scott Snyder et Greg Capullo


Les éditions Eaglemoss ont récemment lancé une collection intitulée La Légende de Batman, qui propose des albums censés couvrir des aventures du Dark Knight de ses débuts à sa fin (quand bien même, sur ce dernier point, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre puisque le héros est encore publié et ne risque pas d'être annulé de sitôt...). A raison de deux fois par mois, en tout cas, voilà de quoi rassasier le "Bat-maniaque" avec de beaux albums cartonnés contenant une saga entière.

Logiquement (quoiqu'en faisant mentir la promesse d'une histoire entière en un seul volume puisqu'il en faudra deux), l'éditeur a choisi de démarrer par les 13 épisodes du récit Batman : L'An Zéro écrits par Scott Snyder et dessinés par Greg Capullo, publiés en 2014. Et bien que je suis pas un fan du scénariste, pour 12 Euros les deux tomes, j'ai sauté sur l'occasion.


Avant tout, il faut rappeler que le run de Snyder s'inscrit dans la période des "New 52" de DC Comics, fameux reboot qui a redéfini durant cinq ans la continuité de leurs séries : dans ce contexte, les super-héros n'existent que depuis cinq ans. 
Et donc, cinq ans avant l'émergence des justiciers masqués, Bruce Wayne revient incognito à Gotham City où, enfant, ses parents, de riches notables, ont été assassinés par un voleur. Âgé désormais de 25 ans, il s'est installé dans un appartement miteux, mais transformé en vrai bunker, de Crime Alley, là même où le drame s'est produit, avec le soutien de son majordome, Alfred Pennyworth, ancien médecin militaire. 


La ville est la proie de pillages menées par le gang de Red Hood dont Wayne devine que les petits méfaits couvrent une opération d'envergure. Pour tenter de la deviner, il agit d'abord sous de fausses identités afin d'infiltrer sa bande mais ni ses ruses ni sa détermination ou son courage ne suffisent à neutraliser cette armée criminelle contre laquelle la police, gangrenée par la corruption, ne fait rien.

Red Hood réussit, lui, à débusquer Bruce Wayne et détruit son repaire où il le laisse pour mort. Le jeune homme parvient à gagner le manoir familial où il a une révélation : pour terroriser ses ennemis, il se déguisera en chauve-souris car l'animal l'avait effrayé enfant dans une grotte du domaine. Et pour forcer Red Hood à sortir du bois, il le défie publiquement en tant que Bruce Wayne (que tout le monde croyait mort depuis plusieurs années en voyage au bout du monde). Les deux adversaires s'affrontent dans l'usine chimique A.C.E. d'où Batman sort vainqueur... Juste avant qu'une nouvelle menace n'apparaisse en la personne d'Edward Nygma alias le Sphinx, ancien employé de Wayne entreprises qui veut plonger Gotham dans un black-out alors qu'un ouragan approche...

En avant-propos, Scott Snyder prend soin de préciser son projet : en appelant Zero Year sa saga, il sait qu'il s'expose à l'ire de fans pour qui l'origine définitive de Batman a été formulée par Frank Miller et David Mazzucchelli en 1986-87 dans Batman : Year One. Quatre épisodes inégalés (et inégalables). Son intention n'est pas d'effacer ce chef d'oeuvre ni de tenter de le dépasser mais de mettre ce récit à jour. 

Ce qu'on devine surtout, c'est que Snyder avance en terrain miné mais qu'il ne peut résister à l'envie de revisiter les origines du héros, et de se mesurer à Miller et Mazzucchelli. De nombreux auteurs, établis, aiment régulièrement challenger leurs maîtres (Grant Morrison veut en découdre depuis des années avec Alan Moore par exemple). Les "New 52" ont souligné ce désir en modifiant la ligne temporelle des séries, en réduisant leur ancienneté, comme une tentative expérimentale de faire table du passé : ainsi, réécrire le passé, les débuts de Batman était trop tentant pour celui qui écrivait sa série avec un succès critique et public considérable. Soit, donc, on accepte de lire cette tentative avec indulgence, soit on la méprise et mieux vaut alors passer son chemin en estimant le projet vaniteux.

Ce qui distingue fondamentalement la démarche de Snyder de celle de Miller il y a trente ans, c'est que Miller avait épuré et voulu ancrer Batman dans la réalité. Par contre dans Zero Year, il n'est plus du tout question de rendre crédible les éléments constitutifs du personnage qui est immédiatement plongé dans une action dense, spectaculaire et colorée - et encore, une fois lu les six chapitres de Secret City, on n'a même pas lu la moitié de l'histoire !

Avant même que débute littéralement Secret City, les épisodes 21 à 25 forment effectivement une sorte de long prologue mettant en scène l'affrontement entre Bruce Wayne/Batman et Red Hood. Présenté ainsi, on pourrait penser que ce sont des chapitres dispensables, mais Snyder ne propose pas qu'un amuse-bouche : cette bataille prépare le duel entre Batman et le Sphinx, qui tire les ficelles en coulisses puisque, employé par l'oncle de Bruce Wayne au sein de son entreprise, il fournit en équipement Red Hood pour qu'il terrorise la population et persuade celle-ci d'abdiquer toute résistance. La police, corrompue jusqu'à l'os, ne s'oppose que mollement, préférant traquer Batman quand il apparaît enfin.

Dans The Killing Joke, Alan Moore et Brian Bolland, en 1988, liait la création du Joker à Red Hood : le premier est un ex-ingénieur devenu comédien mais dont la carrière est un échec et qui accepte d'endosser l'identité du second pour aider deux voleurs minables. La nuit du casse, surpris par Batman, les malfrats sont appréhendés sauf leur complice qui échoue dans un bassin de produits toxiques qui vont le transformer en Joker. On retrouve une scène identique ici mais sans savoir qui est vraiment Red Hood - sauf qu'il est évident qu'il s'agit d'un vrai chef de gang et pas d'un remplaçant (par contre, je ne sais pas si, avant ou après cette saga, Snyder a fait de son Red Hood le Joker malgré tout).

Le dessin, sous les influences de Frank Frazetta et John Buscema, de Greg Capullo, encré par Danny Miki (et avec les couleurs, étonnamment acidulées, de Dave McCaig puis FCO Plascencia) servent à merveille ce scénario bondissant, irréaliste et explosif. Rafael Albuquerque signe aussi quelques planches de l'épisode 25 (pour combler un petit retard de Capullo, qui est pourtant un artiste très ponctuel ?). 

Capullo donne au script de Snyder un rythme échevelé et son style réaliste mais qui s'autorise quelques extravagances empruntés à l'épouvante et au cartoon, avec une exagération des proportions, des expressions, et un découpage inspiré. On ne s'ennuie pas et on accepte les quelques boursouflures d'une histoire qui aurait quand même gagné à être plus condensée. Ce n'est pas que ce soit bavard ou lent, mais il y a là une exploitation de la matière un peu complaisante, qui prend son temps, qui veut tout expliquer, tout relier. Faire confiance au hors-champ, à la suggestion, à l'ellipse, plutôt qu'à une déconstruction parfois artificielle (et dont on ne devine le sens à la fois progressivement et tardivement), c'est justement ce qui faisait la force imparable du Year One de Miller - lequel réussissait à faire défiler une année entière en la faisant ressentir intensément alors qu'ici, cet An Zéro semble tour à tour durer seulement quelques semaines comme plusieurs mois...

Il est évident que toute l'entreprise va vraiment décoller dans la deuxième partie, Dark City, avec un méchant bien plus retors en la personne du Sphinx. A suivre donc...

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