lundi 17 juillet 2017

DOCTOR STRANGE, de Jason Aaron et Chris Bachalo


Que vaut Doctor Strange par Jason Aaron et Chris Bachalo ?

Tout commence très bien :

Aaron enchaîne d'abord les premiers épisodes (disponibles dans le recueil The Way of the Weird, #1-5) sur un ton qui mélange comédie et fantastique débridées. Le personnage auquel s'identifie le lecteur est une jeune libraire qui a un souci bien particulier et perturbant dont le brave docteur identifie le lien avec des dérèglements mystiques récents.

Kevin Nowlan illustre quelques pages en fin d'épisodes qui confirment une menace d'envergure et donc offre un contraste avec l'humeur légère des pages dessinées par Bachalo. Les deux artistes sont en grande forme. On en a pour son argent, cela reste très lisible (louable effort de la colorisation de Bachalo, dont ce n'est pas toujours le point fort).

Aaron monte progressivement en régime et achève le premier arc en laissant le lecteur aussi K.O. que Strange. On pense alors tenir là un run d'anthologie, à la mesure du coup de projecteur qu'a voulu porter l'éditeur sur ce héros avec le film. Il y a bien quelques détails bizarres (où sont passés les tempes blanches de Strange, qui, du coup, semble avoir singulièrement rajeuni ? Comment se fait-il qu'il ne porte plus de gants pour couvrir ses mains meurtries ?), mais bon, ne chipotons pas... 

Car les choses vont vite se gâter, pour tout le monde...

L'identité de l'ennemi et sa puissance de feu étant désormais établies, en même temps que Strange paraît plus démuni que jamais pour y faire face, un agréable frisson s'empare du lecteur dans cet acte II.

Aaron choisit de convoquer autour du héros une sorte de gang de magiciens, entrevus dans les premiers épisodes : certains figures sont connus, du moins familières (Magik, mais aussi Shaman et Talisman, Monako, Daimon Hellstrom), d'autres inconnus (des créations originales ? Je ne ne suis pas expert des seconds couteaux occultes de Marvel, donc mystère). On pourrait alors espérer une version du Shadowpact de DC appliquée à Marvel, mais le scénariste n'exploite pas cette (prometteuse) idée, préférant continuer (complaisamment) à mettre Strange en scène dans un pilonnage incessant. L'humour se fait franchement plus rare, et quand il est mis en avant, il l'est laborieusement (et encore, le pire est à venir).

Sont-ce vraiment "les derniers jours de la magie" annoncés dans le titre de l'arc ? Oui et non. Le méchant est défait, mais le héros ne sort pas du champ de bataille très frais.

Et ce manque de fraîcheur va signer l'acte III...

Ses pouvoirs réduits au minimum, Strange n'a guère le temps de souffler, même s'il est motivé à se cultiver à nouveaux aux sciences occultes avec humilité et détermination. Voilà le Baron Mordo qui débarque, motivé pour l'achever, mais Nightmare lui grille la politesse... A moins que Satana n'inflige à Strange un régime diabolique, ou que Dormammu ne choisisse de régler tout ça lui-même.

Le docteur ruse avec une efficacité abracadabrantesque pour se débarrasser de tous ces empêcheurs de lancer des sortilèges en rond - étonnantes ressources de la part d'un sorcier qui est sorti rincé de son duel contre l'Empirikul, mais qui se débarrasse les doigts dans le nez de ses pires ennemis. Il a un as dans sa manche, Mr. Misery, qu'il a séquestré des années durant dans le cellier de son sanctuaire sacré, et qui a eu le temps de réfléchir au pire moyen d'en faire baver Strange (en s'en prenant à son meilleur ami).

Aaron sombre dans la farce lourdingue (le dîner chez Satana), expédie de manière frustrante des passages qu'on attendait (Mordo, Cauchemar, Dormammu -surtout avec Bachalo déchaîné). On préfère quand il surprend en invitant Thor pour des opérations neurologiques (drôles et épatantes). Mais la libraire est horripilante (à part suivre Wong qui sait toujours où il ne faut pas aller mais qui y va quand même, et qui finit par le payer).

En somme, tout ça part sur le chapeaux de roues, s'essouffle ensuite, puis part dans tous les sens. Visuellement, c'est par contre souvent formidable (même si la performance de Bachalo qui réussit à enchaîner les épisodes comme jamais diminue progressivement, avec le recours à une armée d'encreurs et des tics graphiques répétitifs), avec des fill-in de grande classe (mention à l'épisode des origines que se partagent Nowlan et Leonardo Romero, puis le remplacement éclair de Frazer Irving - par contre Jorge Fornes venant dépanner pour trois-quatre pages est beaucoup plus moyen).

Bachalo est la vraie attraction de la série, même si, après on remarque de sérieux signes d'essoufflement (même si je ne l'accable pas trop pour cette fois car il aligne des pages mémorables) : déjà, on ne sait plus trop quel âge à son Dr Strange vu qu'il n'a plus un cheveu blanc (alors qu'on voit Scarlet Witch ou Magik dans leurs looks actuels, ça suppose que l'histoire se situe actuellement, mais Strange lui a l'air d'un jeune homme - ou d'un sorcier qui s'est fait une teinture), puis dans le troisième arc un coup il est barbu (par une petite barbichette soignée, bien barbu comme un mec qui n'a plus le temps de se bichonner entre deux combats), un coup il est seulement moustachu (avec une barbe de trois jours, mais bon...).

Idem pour Wong ou la libraire qui en ch... des ronds de chapeaux depuis un moment et qui n'ont pas l'air bien affecté physiquement (la libraire est même étonnamment apprêtée).

Tous ces petits (ou pas si petits) trucs qui, additionnés, montrent bien que l'artiste est sous pression et/ou que le script n'est plus aussi rigoureux. Sur ce dernier point, il est évident que Aaron décide de traiter le troisième acte sur le ton de la rigolade, presque de la farce : ça fait bizarre après deux arcs successifs où ça plaisante mais pour respirer dans une baston homérique. Là, on a le sentiment que le scénariste parodie étonnamment tout ce qu'il a mis en place, et évacue des méchants qu'on aurait adoré voir développé dans cette saga (surtout que Bachalo les dessine comme un ouf - sa version de Nightmare est grandiose) ou recycle des mecs zarbs qu'il adore (the Orb, dont le rôle est nébuleux).

C'est frustrant en fait : tu sens une affaire énorme au début mais qui ne tient pas du tout ses promesses, comme si, entretemps, l'auteur s'en désintéressait.

Un sursaut est-il possible pour l'ultime 16ème épisode ?


Wong exorcisé après avoir été la proie de Mr. Misery, il faut encore que Strange s'occupe de Zelma, sa libraire/bibliothécaire/boulet (personnage horripilant surtout... Je devine bien l'intention du scénariste d'avoir inventé ce perso, auquel devait s'identifier le lecteur, mais son comportement n'a cessé de me gonfler et son traitement trahit une désinvolture symbolique de toute l'entreprise d'Aaron) après qu'elle ait maladroitement invoqué un sortilège dans une dimension parallèle.

Le remède (de cheval) va bouleverser la situation au sein du Sanctum Sanctorum, c'est-à-dire que Strange change tout simplement de bonniche puisque Wong décide de plier les gaules.

Alors, outre que donner le rôle de la nouvelle servante à une fille témoigne d'une misogynie à peine voilée, et d'envoyer Wong aller profiter des joies de la vie civile (soit : envoyer le perso au placard), le seul mérite à créditer à Aaron est qu'il admette dans son petit mot d'adieu que rien dans son run n'aurait été aussi bon et beau sans la contribution de Bachalo (et Nowlan). Un bel éclair de lucidité de la part de cet auteur qui m'apparaît plus que jamais surcoté, qui tourne la page en ayant fait sombrer dans la grosse farce ce titre. Là, on a juste vingt pages dont le contenu aurait tenu en deux tant c'est expédié.

Bachalo nous gratifie d'une chouette couverture et de jolies planches, plus calmes, mais celles de Kevin Nowlan sont plus somptueuses encore (pas de compositions à la mords-moi le porte-mine mais quelle classe). Bachalo avoue qu'il a d'abord refusé le projet, ne se sentant pas d'affinités avec l'univers du Docteur, mais il s'est bien amusé (et n'oublie pas de saluer son "armée d'encreurs", sans qui rien n'aurait été possible).

Mais bon, soyons honnêtes, et lucides avec Aaron, c'est un sentiment de déception énorme qui domine.

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