dimanche 14 août 2016

Critique 984 : STATES OF GRACE, de Destin Daniel Cretton


STATES OF GRACE (en v.o. : Short Term 12) est un film écrit et réalisé par Destin Daniel Cretton, sorti en salles en 2013.
La photographie est signée Brett Pawlak. La musique est composée par Joel P. West.
Dans les rôles principaux, on trouve : Brie Larson (Grace), John Gallagher Jr. (Mason), Rami Malek (Nate), Kaitlyn Dever (Jayden), Keith Stanfield (Marcus).
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Le "Short Term 12" est un foyer pour adolescents défavorisés, victimes de maltraitances diverses. Ils sont pris en charge par deux équipes : des psychothérapeutes d'un côté, des encadrants plus ou moins expérimentés de l'autre - ces derniers se serrent les coudes pour aider les patients et supporter les épreuves qu'ils ont traversées avant d'atterrir ici. 
Grace
(Brie Larson)

Parmi les éducateurs se trouve Grace, jeune femme en couple avec son collègue Mason, qui a lui-même grandi dans une famille adoptive. Elle lui a caché son propre passé douloureux au cours duquel elle a perdu sa mère très jeune puis été victime de la violence (y compris sexuelle) de son père. Mais ce dernier est sur le point de sortir de prison à la faveur d'une libération conditionnelle.
Nate
(Rami Malek)

L'équipe accueille dans ses rangs Nate, un étudiant désireux de connaître une "expérience de vie" auprès des jeunes, ce qui suscite quelques tensions parmi eux, comme le jeune noir Marcus qui n'apprécie pas d'être considéré comme une curiosité mais qui redoute surtout, alors qu'il va bientôt avoir 18 ans, de sortir de là alors qu'il entretient des rapports conflictuels avec sa mère et ne veut pas vivre à nouveau à ses crochets.
Marcus et Mason
(Keith Stanfield et John Gallagher Jr.)

Au même moment, Jayden, une adolescente, est placée au foyer grâce à un ami d'un psychologue. Grace la remarque aussitôt à cause de son caractère rebelle mais aussi de leur talent de dessinatrice commun : elle devine que ce moyen d'expression pourrait lui permettre d'expliquer ses difficultés existentielles et les scarifications qu'elle s'inflige. En fait, la jeune fille lui ressemble quand elle avait le même âge et pour cause : elle aussi est abusée sexuellement par son père.
Jayden et Grace
(Kaitlyn Dever et Brie Larson)

Comme rattrapée de toutes parts par ses fantômes, Grace se demande si elle pourra assumer d'être l'épouse de Mason et la mère de leur enfant...
Mason et Grace
(John Gallagher Jr. et Brie Larson)

Le premier film de Destin Daniel Cretton est une production indépendante, tourné avec un petit budget, avec un casting combinant acteurs professionnels et amateurs. Mais les bonnes fées se sont penchées sur lui car cette pépite a d'abord connu les honneurs unanimes de plusieurs festivals avant d'être exploité en salles : ainsi le festival de Locarno lui décerna trois prix - oecuménique, jury international, interprétation féminine.
  
Short Term 12 renoue avec le meilleur du cinéma tel qu'il résiste en dehors des grands studios, véritable vivier de talents, encouragé par le festival de Sundance (créé par Robert Redford). Un espace à part dans le paysage Outre-Atlantique où il est possible d'aborder des sujets parfois plus difficiles, plus réalistes, donnant à voir une autre Amérique, celle des déclassés, des gens ordinaires, d'un pays dont le système social est très inégalitaire... Mais capable de générer des héros du quotidien.

Le cinéaste n'a pas eu à chercher bien loin pour trouver l'inspiration puisqu'il a lui-même été éducateur dans un foyer identique à celui qu'il a filmé, durant une année sabbatique prise au cours de ses études universitaires : son double sur pellicule est donc le personnage incarné, avec sobriété et justesse, par Rami Malek (qui a depuis acquis la notoriété grâce à la série télé Mr. Robot, diffusée sur USA Network), dont l'expérience le bouleverse profondément. 

Il ne suffit pourtant pas de connaître un tel milieu pour réussir un film et c'est bien grâce à la finesse de son écriture que Cretton transforme l'essai : il traite des failles de ses protagonistes avec une pudeur remarquable en soulignant que celles-ci trouvent toujours leurs origines dans une enfance malheureuse, des épreuves traumatisantes. Fuyant le pathos, il pose son histoire avec une légèreté inattendue au début (le jeune Sammy tente de fuguer mais il s'agit plus d'un jeu pour tester la réactivité des encadrants), ce qui lui permet ensuite de cueillir le spectateur avec des portraits poignants, terribles, d'adolescents victimes de sévices évoqués sans détour - mais sans complaisance non plus.

La caméra serre souvent au plus près les comédiens et capte des prestations saisissantes, qui provoquent le frisson. Les amateurs sont formidables, en particulier Keith Stanfield qui interprète Marcus, graine de violence à fleur de peau, mais qui, une fois sorti du foyer, connaîtra une histoire aussi inattendue que réjouissante - on quitte donc le film avec le même sourire qu'en y entrant.

Remarquablement accompagnée par son excellent partenaire John Gallagher Jr., Brie Larson est la grande révélation de l'affaire : aperçue dans Scott Pilgrim vs The World (Edgar Wright, 2010), Don Jon (Joseph Gordon-Levitt, 2013), The Spectacular Now (James Ponsoldt, 2013), l'actrice de 24 ans à l'époque est extraordinaire. Elle livre une interprétation toute en nuances de cette jeune femme à qui la vie n'a pas fait de cadeaux et qui traverse une série d'obstacles la renvoyant à son passé. Elle ne verse jamais dans l'hystérie, au contraire Grace bout intérieurement, tombe mais se relève toujours, se bat contre elle-même, ses démons, essaie de communiquer à son tour comme elle cherche à faire parler ses patients et comme l'encourage son amant. Lorsqu'elle fend enfin l'armure, cela aboutit à une scène de délivrance spectaculaire, à coups de batte de base-ball contre une voiture. Hollywood n'a pu laisser filer cette future grande en lui décernant cette année l'Oscar de la meilleure actrice (pour Room de Lenny Abrahamson) et elle alterne désormais petites productions et grosses machines (Kong : Skull Island, un prequel de King Kong l'an prochain, et elle sera Captain Marvel en 2019 pour Marvel Studios). Une carrière qui ressemble à celle, triomphale, de Jennifer Lawrence...

Emouvant mais toujours mesuré, poignant sans grandes effusions, States of Grace est une oeuvre délicate et forte, un très beau film, simple, sincère et généreux. On n'oubliera pas de sitôt cette héroïne qui file dans la nuit sur son vélo autant au secours de sa protégée que d'elle-même. 

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