lundi 8 août 2016

Critique 973 : LA FILLE DU TRAIN, de Paula Hawkins


LA FILLE DU TRAIN est un roman écrit par Paula Hawkins, traduit en français par Corinne Daniellot, publié en 2015 par les Editions Sonatine.

Trentenaire, Rachel Watson prend chaque jour le train de 8 h 04 reliant Ashbury à Euston, dans la banlieue de Londres pour aller au travail. En chemin, pour se distraire, elle a pris l'habitude d'observer les maisons, en particulier deux d'entre elles : celle où elle vécut avec Tom, son ex-mari qui a refait sa vie aujourd'hui avec Anna Boyd et leur bébé, Evie ; et celle, voisine, d'un jeune couple, qu'elle a baptisé Jess (jeune femme blonde) et Jason (jeune homme brun).
Un matin pourtant, Rachel assiste à une scène dérangeante : elle surprend Jess enlaçant et embrassant un autre homme . Choquée, Rachel a l'impression que son propre échec conjugal se répète et elle noie sa déception et sa colère dans l'alcool comme toujours - car elle souffre d'une sévère addiction à la boisson associée à une insurmontable dépression.
Ce mal qui la ronge, sa co-locataire et meilleure amie, Cathy, le devine même si elle ignore que Rachel a, à cause de cela, été licenciée plusieurs mois auparavant de son boulot, et que cela est aussi une des raisons de son divorce. La jeune femme prend le train pour dissimuler sa déroute professionnelle autant que pour tromper son ennui en ville, mais sans être capable de se ressaisir.
La situation bascule encore plus vertigineusement lorsque Rachel apprend par les médias que Megan Hipwell, celle qu'elle appelait Jess, a disparu subitement et mystérieusement. Confusément, parce qu'elle était ivre ce soir-là et qu'elle rodait dans le quartier où vivait la jeune femme sans se rappeler pourquoi ni comment mais où elle a été elle-même blessée, Rachel entreprend de mener sa propre enquête car les policiers à qui elle a parlé (l'un plutôt sympathique avec elle, l'autre beaucoup moins) ne considèrent pas son témoignage fiable à cause de son alcoolisme et du harcèlement qu'elle inflige à son ex-mari et sa femme.    
Elle entre ainsi en contact avec Scott Hipwell, bouleversé mais soupçonné par les forces de l'ordre et la presse à scandales ; avec le docteur Kamal Abdic, le psy et amant de Megan ; cherche à retrouver un homme roux croisé la nuit du drame et qui pourrait peut-être l'aider à se souvenir de ce qu'elle faisait sur les lieux... Et Tom et Anna sont-ils seulement excédés par la présence récurrente de Rachel près de chez eux à cause de leur passé commun ou parce qu'ils connaissaient eux aussi Megan ?
Paula Hawkins

Il y a peu, j'avais rédigé une flatteuse critique au sujet d'une autre publication des éditions Sonatine, Les Apparences de Gillian Flynn, et j'ai voulu lire un autre ouvrage de cette maison, également auréolé d'un énorme succès commercial, au point que Steven Spielberg en ait acquis les droits pour une adaptation cinématographique - visible en salles à la rentrée.

Ce n'est pas que je cours après les best-sellers transposés sur grand écran, mais je suis curieux de vérifier leur efficacité, de découvrir ce qui a pu séduire tant de lecteurs, et, si j'en ai ensuite la possibilité, de comparer le livre et le film qui en est tiré. Il y a quelque chose de fascinant dans ses phénomènes de librairie à une époque où l'émergence des tablettes, liseuses et autres supports font prédire à des "experts" la fin du bouquin traditionnel - on a aussi dit, autrefois que la télé tuerait le cinéma en salles, ou que la bande dessinée détournait les enfants des romans. Etonnante manie de fin des mondes, toujours contrariée d'ailleurs...

La Fille du train de Paul Hawkins a été comparé à Les apparences de Gillian Flynn non seulement parce que les deux titres ont le même éditeur français, appartiennent au même genre (le thriller), et ont connu des chiffres de vente exceptionnels. "Les apparences", même si c'était le titre français, pourrait d'ailleurs être le programme de nombreux ouvrages publiés par Sonatine, comme j'ai pu m'en rendre compte en fouinant un peu sur le Net : de là à dire que l'éditeur exploite un filon...

Mais la comparaison est parfois un jeu cruel car si Gone Girl est un texte magistral et imposant, celui de Paula Hawkins ne "boxe" quand même pas dans la même catégorie et se "contente" d'être une habile série "blême", qui, plus qu'à Agatha Christie ou Donna Tartt, les références de l'auteur, font penser à William Irish, avec ses héroïnes engagées dans une intrigue tortueuse, au suspense redoutable - la poésie crépusculaire en moins cependant.

Je ne voudrais pas sembler sévère ou même tiède avec The Girl on the train car j'ai quand même pris beaucoup de plaisir à le lire - la meilleure preuve est que je l'ai rapidement lu alors que c'est un volume de près de 400 pages. Mais je veux rester mesuré sur ses qualités littéraires car Paula Hawkins n'est ni une narratrice aussi étincelante que Laura Kasischke (fan du livre comme Stephen King), ni aussi ambitieuse que Gillian Flynn. Son style est plus plat, sa prose moins ciselé : son point fort réside surtout dans le savoir-faire indéniable avec lequel elle déploie ses idées, campe ses personnages, embarque le lecteur. Même si je suis curieux de découvrir comment cela a été adapté en script de cinéma, le texte initial est déjà très évocateur, a déjà un aspect "prêt-à-filmer" évident.

Pour s'en convaincre, il suffit de détailler le dispositif de l'histoire où se succèdent trois points de vue : celui de Rachel de Juillet à Août 2013 (plus l'épilogue en Septembre), celui de Megan de Mai 2012 à Juillet 2013, et celui de Anna de Juillet à Août 2013 (la partie la moins consistante, se réduisant à chaque fois à un nombre de pages inférieur à celui consacré à Rachel et Megan, mais pas moins intéressant, offrant une perspective supplémentaire souvent troublante, ambiguë). A l'image des rails sur lesquelles se déplace le train qui emmène Rachel, ces trois voix dirigent le lecteur dans des relations (au sens de relater) intérieures, dans les réflexions de trois femmes que lient une même affaire via des cheminements distincts.

Le livre aurait pu s'appeler "les" filles du train car il ne s'agit pas simplement de l'histoire d'une passagère dont la d'abord sage curiosité pour les couples occupant deux maisons constitue la source d'un thriller exploitant le thème  du spectateur se muant en acteur (comme dans Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock), mais bien de trois destins féminins liés par leurs rapports aux hommes, à l'amour, l'infidélité, le soupçon, le ressentiment, les regrets. Autant de sentiments qui les agitent et en font des romancières de leur propre existence, des "desperate housewifes" dépassés par ce qui va leur arriver ou ce qu'elles provoquent.

L'autre motif exploré par Paula Hawkins est l'alcoolisme, et c'est sans doute ce qu'elle traite avec le plus de force. Comme elle l'a expliqué en interview, si elle s'est inspirée de ses propres périgrinations en train pour trouver l'étincelle motrice de son texte, elle a aussi voulu décrire une héroïne borderline dont l'addiction à la boisson rendait son point de vue incertain pour le lecteur. A quel point croit-on en effet ce que suppose Rachel ? N'est-elle pas une pathétique ivrogne, souvent agaçante dans son manque de volonté, accablante par son incapacité à se passer d'un verre (d'une bouteille !), à pleurnicher sur son sort (s'étonnant avec un comportement pareil qu'on ne la juge "pas fiable") ? Mais l'auteur réussit à traduire ce mélange d'exaspération qu'inspire le personnage et de désarroi qui incite à l'indulgence du lecteur avec adresse - mieux même : les pertes de mémoire dont elle souffre à cause de l'alcool (mais pas seulement...) entretiennent le suspense encore plus efficacement que l'enquête laborieuse que la police et Rachel mènent séparément. Victime d'amnésies fréquentes, mais luttant pour se souvenir (tout en redoutant de ce qui va lui revenir), elle est une narratrice troublante, improbable - donc captivante. 

A côté, le portrait de la séduisante Megan, tour à tour aguicheuse, immature, en danger, traumtisée (à juste titre), et celui de Anna, les nerfs à vif à cause de sa maternité récente, du harcèlement de Rachel, des fantômes du couple formé par cette dernière et Tom, contribuent, en coupant le récit de Rachel, à frustrer le lecteur, à différer sans cesse la révélation de la vérité, et à enrichir les aspects les plus équivoques des vies de chacune. Hawkins sait très bien montrer leurs évolutions, dévoiler subtilement leurs secrets, leurs parts d'ombre, les rendre successivement sympathiques et antipathiques. A la fin, le sort de Megan est exposé de manière vraiment glaçante, et l'attitude de Anna est flippante à souhait, tandis que Rachel demeure avec ses démons.

Si Les apparences était une formidable analyse sur la désintégration du couple et une machination d'envergure diabolique, La fille du train se situe dans un après - le couple appartient déjà au passé, tout comme le travail, peut-être même le salut, la paix de l'âme. En réussissant à communiquer l'obsession de Rachel au lecteur, Paula Hawkins réalise son meilleur tour : nous entraîner dans un cauchemar dont l'issue n'apporte pas la paix. 
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Le studio Dreamworks a donc confié la réalisation de l'adaptation de ce roman à Tate Taylor : le film sortira en France fin Octobre (le 23 exactement), avec une distribution très alléchante.
 L'affiche (prévisionnel) du film
(j'espère qu'elle sera conservée : elle est très réussie).
 Emily Blunt : Rachel Watson
 Ashley Bennett : Megan Hipwell
 Rebecca Ferguson : Anna Boyd-Watson
Justin Theroux : Tom Watson
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La bande-annonce (en vf) :

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