mercredi 3 août 2016

Critique 965 : IRMA LA DOUCE, de Billy Wilder


IRMA LA DOUCE est un film réalisé par Billy Wilder, sorti en salles en 1963.
Le scénario est écrit par Billy Wilder et I.A.L. Diamond, d'après la comédie musicale d'Alexandre Breffort et Marguerite Monnot. La photographie est signée Joseph LaShelle. La musique est composée par André Previn et Marguerite Monnot.
Dans les rôles principaux, on trouve : Shirley MacLaine (Irma la Douce), Jack Lemmon (Nestor Patou/Lord X), Lou Jacobi (Moustache), Bruce Yarnell (Hippolyte la Brute), Herschel Bernardi (inspecteur Lefèvre).
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Paris, les années 20. A deux pas du quartier de Halles, dans la rue Casanova, les filles de joie tapinent et celle qui a le plus de succès auprès des clients de passage ou habitués est Irma la Douce, reconnaissable à son noeud dans les cheveux et ses bas verts et sa petite chienne, Coquette. Elle est sous la coupe d'un souteneur brutal, Hippolyte, mais ce commerce est toléré par la police corrompue, qui se contente de faire une descente une fois par semaine.
 Nestor Patou et Irma la Douce
(Jack Lemmon et Shirley MacLaine)

Ce bel équilibre s'effondre lors de la première patrouille dans le coin de l'agent Nestor Patou, d'abord sans méfiance devant la situation puis, quand il le comprend, organisant une rafle parmi les filles et leurs clients - parmi lesquels se trouve le commissaire !
 Nestor et Irma

Renvoyé après cette bévue, Nestor va noyer son désarroi chez Moustache, le patron du bar de la rue Casanova. Il y est reconnu par Hippolyte qui le provoque mais perd la bagarre face à l'ancien gendarme. Le vainqueur devient donc le nouveau souteneur d'Irma dont il est tombé amoureux.
Mais Nestor est jaloux des clients de sa belle et élabore ensuite un stratagème infernal pour qu'elle ne vende plus ses charmes : il emprunte 500 Francs à Moustache, se déguise en un Lord anglais impuissant qui paie Irma avec cet argent (suffisant pour devenir son unique visiteur) et Irma remet ensuite cette somme à Nestor... Qui le perd hélas ! à chaque fois bêtement !  
 Lord X et Irma
(Jack Lemmon et Shirley MacLaine)

Obligé de travailler en secret aux Halles pour rembourser Moustache et continuer sa manoeuvre pour garder Irma, Nestor est pourtant délaissée par cette dernière qui le soupçonne d'avoir une maîtresse et se met à lui préférer Lord X.
Le pauvre bougre doit alors faire disparaître son alter ego mais il est dénoncé par Hippolyte et accusé de meurtre du personnage qu'il a inventé ! Comment Nestor va-t-il se sortir de ce pétrin ? Et que va devenir son couple avec Irma ?  
 Nestor et Irma

Billy Wilder considérait ce film comme un ratage, bien qu'il fut un de ses plus grands succès commerciaux (à part en... France) : il estimait en effet comme une erreur de faire parler des personnages étrangers dans un pays étranger avec l'accent américain et que le résultat aurait dû rester une pièce de théâtre.

Peut-être Wilder était aussi encore hanté par les paroles de Moss Hart lors de son triomphe aux "Oscar" en 1961 quand ce dernier lui affirma qu'il ne ferait plus jamais mieux que La Garçonnière... Il est d'ailleurs indéniable que la filmographie du cinéaste durant la décennie fut plus chaotique (entre tournages compliqués, échecs critiques et publics, projets avortés, productions mutilées).

La sévérité de Wilder est pourtant injustifiée envers Irma la Douce qui reste une grande réussite, une histoire à la fois pittoresque, surprenante, pétillante et sexy. Le réalisateur y retrouvait d'ailleurs son duo d'acteurs de The Apartment, tous deux en grande forme. Jack Lemmon (dont c'était la troisième collaboration avec le cinéaste depuis Certains l'aiment chaud, quatre autres suivraient) y est extraordinairement drôle dans un double rôle (le gentil Nestor dont la capacité à se se fourrer dans les pires ennuis est stupéfiante, et Lord X, son alias interprété avec force mimiques et postiches) et Shirley MacLaine est rayonnante de charme et de malice en prostituée au grand coeur mais tiraillée entre ses sentiments et sa raison (un rôle que, je l'ai appris en lisant Conversations avec Billy Wilder de Cameron Crowe, Brigitte Bardot supplia le cinéaste de lui confier - je doute qu'elle y aurait été meilleure mais ça aurait donné un tout autre résultat à coup sûr).

Comme dans Some like it hot ! (1959), l'histoire possède une ambiance frivole et joyeuse irrésistible et l'intrigue abonde en quiproquos et rebondissements à la fois développés avec une grande maîtrise narrative et un tempo impeccable : il faut noter que le film joue sur les motifs des déguisements et des identités, spécialement appréciés et brillamment explorés par Wilder auparavant.

Ainsi, au début, Nestor détone déjà dans son uniforme de gendarme, il semble déjà composer un rôle mal taillé pour lui car il est trop naïf pour cette fonction. Après avoir été (rapidement) renvoyé, le voilà malgré lui souteneur et même chef des maquereaux du quartier ! Enfin, refusant de partager avec d'autres hommes la femme qu'il aime sincèrement, de façon désintéressée, il crée Lord X, une caricature de bourgeois anglais, impuissant pour dissuader Irma d'essayer de se donner à lui, et, pour jouer cela, il se piège dans un montage financier complexe et absurde qu'il est incapable de maîtriser et l'oblige à s'épuiser au travail dans les Halles en secret. Il finira par être jaloux du personnage qu'il a inventé quand Irma envisage de s'en aller en Grande Bretagne.

Associé à ce délire loufoque vraiment très drôle, les transformations de Nestor (qui deviendra aussi un assassin accusé à tort, un détenu, un père, un mari et à nouveau un gendarme) entraînent le spectateur dans une romance qui ne sombre jamais dans la vulgarité bien qu'elle implique la prostitution. Ce miracle est possible grâce au personnage d'Irma qui est également plein de fantaisie comme en témoignent les premières scènes où, pour attendrir ses clients et les inciter à lui laisser plus d'argent après une passe, elle leur raconte des histoires différentes (mais toutes plus invraisemblables les unes que les autres) sur son malheureux passé. Elle s'improvise même, avec un aplomb désarmant, psychanalyste auprès de Lord X pour remédier à son impuissance (merveilleuse scène).

Une seule fois, Wilder se laisse aller à montrer la violence réelle entre la putain et son mac, quand Nestor gifle (en le regrettant terriblement et honnêtement aussitôt après) Irma, qui, d'ailleurs, le congédie. Ce moment surprend et marque une étonnante (mais brève) rupture de ton... Avant que la comédie reprenne heureusement ses droits. Mais au moins cela confirme-t-il que le cinéaste n'a pas non plus voulu trop enchanter la prostitution.

Moustache, qui est le narrateur du film, est le dernier exemple de personnage qui raconte des histoires dans un récit où chacun en invente pour s'imposer : il prétend avoir exercé mille métiers, dont celui d'avocat (radié - injustement, cela va sans dire - du barreau) et qui, dans une scène fabuleuse, convainc la police venu arrêter Nestor qu'il est innocent en démontant tous les mobiles de son supposé crime... Jusqu'au seul motif pour lequel il l'aurait effectivement commis ! Tous les protagonistes ne savent pas où s'arrêter quand ils échafaudent des scénarios, ce qui leur cause à la fois tant d'ennuis et les rend si drôles (à l'image du plan absurde entre l'ex-gendarme/néo-souteneur et le barman consistant à emprunter de l'argent à un pseudo-Lord qui paiera Irma qui le rendra ensuite à Nestor... Qui n'arrive jamais à le remettre à temps à Moustache).

Tout est possible dans ce Paris trop beau pour être vrai, à l'artificialité assumée et conçue par les décors fantastiques d'Alexandre Trauner et la photographie en Technicolor de Joseph LaShelle (deux des plus grands dans leur domaine), tant que l'amour gagne à la fin. Tous les masques, tous les mensonges, toute cette farce, enjolivent la réalité plus qu'ils ne la dissimulent vraiment puisqu'ils révèlent la noblesse et la beauté des sentiments.

On ne voit pas passer les plus de 140 minutes de ce divertissement jubilatoire qui ne méritait vraiment pas le dédain de son réalisateur.   

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