mardi 19 avril 2016

Critique 869 : SUSIE ET LES BAKER BOYS, de Steve Kloves


SUSIE ET LES BAKER BOYS (en v.o. : The Fabulous Baker Boys) est un film écrit et réalisé par Steve Kloves, sorti en salles en 1989.
La photographie est signée Michael Ballhaus. La musique est composée par Dave Grusin.
Dans les rôles principaux, on trouve : Michelle Pfeiffer (Susie Diamond), Jeff Bridges (Jack Baker), Beau Bridges (Frank Barber).
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Jack et Frank Baker sont deux frères pianistes de jazz qui travaillent ensemble depuis une trentaine d'années : ils se produisent dans des restaurants, des salles des fêtes et des clubs, devant un public rare et/ou indifférent. Pour chacune de leurs prestations, alors qu'ils sont des musiciens doués, ils touchent des salaires minables de la part de commanditaires souvent méprisants.

Cette existence a fait de Jack un homme amer mais résigné tandis que Frank s'occupe de leur trouver des engagements pour subsister aux besoins de sa propre famille (il est marié et père). Toutefois, les deux frères s'accordent pour que leur spectacle évolue et décident d'engager une chanteuse qui, espèrent-ils, leur permettra de séduire des recruteurs et le public.

Après avoir fait passer des auditions à plusieurs filles, aux talents très inégaux, ils acceptent, malgré son retard, d'accorder sa chance à Susie Diamond, dont la voix et la présence compensent largement la désinvolture. Le duo devient un trio.

Rapidement, le succès de la nouvelle formation croit et ils gagnent mieux leur vie. Mais Frank a remarqué l'attirance de Jack pour Susie et le met en garde : une romance pourrait nuire à la cohésion de leur groupe et à la qualité de leurs performances. Le soir du Nouvel An, Frank doit rentrer chez lui car sa fille est malade, mais Susie et Jack assurent le show quand même : la jeune femme effectue un numéro de charme irrésistible pour son partenaire en interprétant "Makin' whoopee" - une manière suggestive de lui signifier qu'elle aussi a envie de lui.

Jack et Susie passent la nuit ensemble mais le cachent à Frank. Pourtant ce dernier le devine rapidement à son retour et, comme il l'avait prévu, cette situation créé une tension néfaste au sein du groupe car son frère n'est pas disposé à s'engager dans une relation sérieuse.

Le talent de Susie est repéré par un producteur qui lui propose d'enregistrer seule. Elle en fait part à Jack en escomptant qu'il la retienne mais ce n'est pas le cas. Elle quitte donc les frères Baker.

Les revoilà en train de courir le cachet dans des salles de seconde zone jusqu'à participer à un charity show local en plein milieu de la nuit : c'en est trop pour Jack qui se dispute violemment avec Frank - le premier reproche à l'autre d'accepter n'importe quel contrat, le second rappelle qu'il a une famille à sa charge. Les deux frangins se séparent.

Jack admet que sa vraie passion est de jouer dans un club de jazz avec un public restreint mais connaisseur et s'engage auprès d'un ami. Frank raccroche et se réconcilie avec son cadet, qui veut enfin tenter de conquérir l'amour de Susie - si ce n'est pas trop tard...

Je n'avais pas revu ce film depuis sa sortie, il y a 27 ans, et j'ai apprécié que Arte le diffuse hier soir, tout en me demandant s'il n'avait pas trop mal vieilli. Mais le charme a parfaitement opéré. 

Le mélodrame musical est un genre délicat à exploiter et d'ailleurs il est peu fréquenté. Un des seuls - si ce n'est le seul chef d'oeuvre reste Une étoile est née (George Cukor, 1954, avec Judy Garland et Charles Mason). Mais le film écrit et réalisé par Steve Kloves demeure une autre grande réussite, pleine de charme et de mélancolie.

L'histoire est simple : deux frangins, musiciens doués mais cantonnés à se produire sur des scènes minables devant un public qui ne les écoutent pas, engagent une jeune, belle et bonne chanteuse, grâce à laquelle ils accèdent à un succès plus notable. Mais l'amour s'en mêle quand la fille et un des deux frères ont une liaison, par ailleurs très épisodique (ils ne coucheront que deux fois ensemble)... Sur cette trame bien balisée, l'auteur campe trois personnages magnifiquement caractérisés dont les rapports sont développés avec subtilité.

La réalisation est très élégante, grâce à la sublime photo de Michael Ballhaus : l'ambiance du film évoque les classiques des années 40-50 et aurait presque gagné à être filmé en noir et blanc - mais cela nous aurait alors privé de la scène-culte où Susie dans sa robe rouge interprète avec une lascivité extraordinaire le standard jazz "Makin' whoopee" (expression argotique pour dire "faisons l'amour"). C'est un de ces moments magiques qui imprime le regard des cinéphiles pour la vie, au même titre que l'effeuillage de Rita Hayworth dans Gilda (Charles Vidor, 1946).

The Fabulous Baker Boys doit aussi énormément à ses trois acteurs principaux. Michelle Pfeiffer y chante toutes les chansons elle-même et sa voix est renversante : il est regrettable qu'Hollywood ne produise plus de musicals car elle y aurait démontré tout son talent. Elle y est au sommet de sa beauté et interprète Susie avec un mélange de fragilité et d'insolence qui font déplorer qu'on ne la voit plus guère aujourd'hui (son dernier rôle marquant doit remonter à Dark Shadows, de Tim Burton, en 2012).

Kloves a aussi eu de la chance en disposant de deux vrais frères pour incarner les Baker boys puisque l'immense mais mésestimé Jeff Bridges donne la réplique à Beau Bridges : le premier est plus que parfait en loser magnifique, cliché du pianiste résigné à son infortune, tandis que le second brille dans un rôle plus ingrat auquel il donne une dignité et une émotion contenue admirables.

Porté par une collection de tubes jazzy et une partition additionnelle de l'excellent Dave Grusin, ce film est un joyau qui mérite d'être revu et reconsidéré à sa juste valeur - ne serait-ce que pour inspirer à Steve Kloves de revenir derrière la caméra (il n'a tourné qu'un seul autre film ensuite - le tout aussi recommandable Flesh and Bone, en 1993, avec Dennis Quaid, Meg Ryan et James Caan - , privilégiant sa carrière de scénariste - notamment pour la saga des Harry Potter).

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