lundi 14 mars 2016

Critique 838 : EXPO 58, de Jonathan Coe


EXPO 58 est un roman écrit par Jonathan Coe, traduit en français par Josée Kamoun, publié en 2014 par les éditions Gallimard.
L'entrée de l'Exposition Universelle
de Bruxelles en 1958

En 1958, un jeune fonctionnaire du BCI (Bureau Central d'Information) britannique de 33 ans, Thomas Foley, est désigné pour superviser le pavillon anglais et le pub attenant, "le Britannia", durant l'Exposition Universelle de Bruxelles. Il part, d'abord réticent, puis enthousiaste à l'idée de quitter sa vie d'époux, père de famille et bureaucrate ennuyeuse, pour découvrir, espère-t-il, la griserie de nouvelles rencontres et expériences.
Une fois sur place, mise à part l'ivrognerie de Terrence Rossiter, le tenancier (heureusement suppléé par la barmaid Jamie Delavey), et les doutes qu'il nourrit à l'encontre de Norman Sparks, son voisin londonien qui drague ostensiblement sa femme, Thomas se consacre avec zèle à sa mission, d'autant plus motivée qu'il fait la connaissance d'un scientifique avec lequel il partage sa chambre d'hôtel, Tony Buttress - qui travaille sur la machine Zeta, un réacteur à fusion prétendument révolutionnaire, dont une réplique est présentée à l'Expo - et surtout la belle hôtesse belge, Anneke Hoskens.
La machine Zeta

Mais il lui faut aussi composer avec des personnages plus troubles : les deux agents du contre-espionnage Wayne et Radford ; le très curieux journaliste russe Andrey Chersky ; la démonstratrice américaine Emily Parker...
Bientôt, Thomas est mêlé à une intrigue dans laquelle la Grande Bretagne assiste les espions américains contre les fouineurs russes et où il doit jouer les séducteurs-informateurs. Et même une fois cette mission remplie, il n'en aura pas fini avec ces barbouzeries... Qui, au soir de sa vie, lui révéleront une bouleversante vérité par l'intermède d'une amie belge, Clara.  
Jonathan Coe

J'ai découvert, comme beaucoup de lecteurs, Jonathan Coe avec son premier roman, Testament à l'anglaise, qui connut un grand succès critique et public. Mais c'est avec La Maison du sommeil que j'ai vraiment été conquis par cet auteur.
L'Atomium

C'est donc en retournant inspecter les rayons de la bibliothèque municipale que j'ai emprunté Expo 58, paru il y a deux ans, et dont le topo en quatrième de couverture m'a immédiatement accroché. Je remarquai aussi qu'il existait un retour au roman d'espionnage chez plusieurs écrivains anglais récemment, comme en témoignent Opération Sweet Tooth de Ian McEwan (que j'ai aussi emporté) ou la reprise des aventures de James Bond par William Boyd dans Solo.
Le pavillon anglais

Jonathan Coe s'approprie le genre avec sa verve coutumière et singulière en le tirant vers une jubilatoire comédie où les barbouzes vont impacter la vie bien rangée jusque-là d'un jeune fonctionnaire britannique dans le cadre de l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958.
Le pavillon belge

Pourtant on referme le livre avec un sentiment mélancolique poignant qui émeut autant qu'il souligne la cocasserie de la majorité du récit. C'est que dans cette histoire souvent loufoque, à la drôlerie irrésistible, Coe met en scène une petite communauté de personnages pris dans les rouages de machinations qui les dépassent et un décor qui parodie l'entente cordiale que prétendait susciter l'événement : comme le remarque Thomas Foley, tout n'est qu'illusion dans cet ensemble de pavillons internationaux, constructions factices et éphémères, devant "contribuer à promouvoir l'unité du genre humain, dans le respect de la personne humaine".
Le pub "Britannia"

Le héros est lui-même dans une situation ambiguë : il est tour à tour parfaitement lucide sur ce qui se passe et naïf, espérant l'aventure tout en en ayant peur. C'est un gratte-papier quelconque à qui on a confié un travail pour des raisons grotesques (son père était barman, sa mère est d'origine belge : on lui demande donc de s'occuper d'un pub à Bruxelles !). Pourtant il est décrit comme un jeune trentenaire séduisant, dont le physique évoque Gary Cooper ou Dirk Bogarde, mais qui n'en tire pas profit. 

Sa vie de famille est morose : il n'est pas heureux dans son mariage, n'éprouve pas de joie particulière à être père (il abandonne volontiers femme et bébé pour sa mission). Mais il ne fait jamais le premier pas quand il devine qu'il plaît à une belle étrangère (l'hôtesse belge Anneke, la démonstratrice américaine Emily), culpabilisant à l'idée de commettre une infidélité alors même qu'il soupçonne vite son épouse de le tromper avec leur voisin (et s'y résigne vite quand il pense en avoir la certitude).
Le pavillon russe

Mais Thomas Foley fantasme quand même sur les femmes qu'il croise et lit, avec un mélange d'incrédulité et de fascination, Bons Baisers de Russie de Ian Fleming. Il invite, avec à-propos, son ami Tony Buttress à se méfier du journaliste russe Chersky, tout en étant lui-même agi par deux espions dignes des Dupont-Dupond et joué par une de ses collègues comme il l'apprendra tardivement. 
Le pavillon américain

Jonathan Coe invoque en fait Graham Greene mais avec une élégante légèreté en animant ce protagoniste pris entre deux feux, tiraillé moralement, plein de bonne volonté, mais pantin dans une partie dont il ne maîtrise pas toutes les subtilités. Le lecteur est au même niveau de connaissance que lui, et donc surpris de manière aussi importante quand les vérités lui sont communiquées. Comme Thomas aussi, on saisit facilement l'émoi qui l'étreint en compagnie de belles jeunes femmes, de la circonspection qu'il éprouve envers des représentants étrangers, de la confusion qui le déchire comme l'Angleterre entre tradition et modernité.
Le pavillon belge et l'Atomium sous un autre angle

Jonathan Coe a, comme il l'indique à la fin de son ouvrage, accumulé une documentation importante pour rendre crédible l'environnement géographique et historique de son histoire. Malgré la fantaisie des péripéties de son héros (dont une désopilante séquence nocturne dans une coccinelle Volkswagen avec le volumineux agent Wilkins qui manque carrément étouffer Thomas), tout ce qui se trouve autour de lui est rigoureusement exact : le pub Britannia (dont le destin ahurissant est conté dans le dernier chapitre), la machine Zeta... Et les décors sont adroitement exploités et dépeints : l'Atomium, les pavillons anglais, américain, russe - sans oublier l'incident avec les congolais (qui étaient encore colonisés par les belges à cette époque et qui furent exhibés de manière franchement obscène).
Le pavillon congolais

Cette association savoureuse de mensonge, de trahison, de faux-semblants, et d'auberge espagnole composée de fonctionnaires aux intérêts rivaux et d'espions inégalement compétents (au point d'impliquer des bureaucrates amateurs dans des manipulations acrobatiques), sur fond d'expo bruxelloise, produit un récit jouissif, qui se dévore, grâce à des chapitres courts (une dizaine de pages en moyenne), à la narration énergique (un langage facile et soigné à la fois - comme l'affirme Coe, ses "romans sont simples à traduire") et au ton pince-sans-rire (Wayne et Radford sont directement inspirés par le tandem Charters-Caldicott dans Une femme disparaît, de Hitchcock, au point de leur donner comme noms ceux de leurs acteurs). 

Jonathan Coe a signé un divertissement classieux et rigolo rehaussé à la fin d'une pointe mélancolique, comme la morale à cette fable sur le thème de l'innocence sacrifiée, des amours contrariées et de la guerre froide. Une merveille d'ironie désenchantée.
*
Ce roman invite à imaginer la distribution qui pourrait être celle du film qui en serait tiré. Voici donc les acteurs auxquels j'ai pensé pour les rôles principaux :
 James McAvoy : Thomas Foley
 Déborah François : Anneke Hoskens
 Felicity Jones : Sylvia Foley
Marilou Berry : Clara
 Dominic Cooper : Tony Buttress
 Matthew Rhys : Andrey Chersky
 Donal Logue : Wayne (ou Radford)
 Brendan Gleeson : Radford (ou Wayne)
 Kate Upton : Emily Walker
Talulah Riley : Jamie Delavey
Paul Giamatti : Terrence Rossiter

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