mardi 26 janvier 2016

Critique 802 : L'AFFAIRE THOMAS CROWN, de Norman Jewison


L'AFFAIRE THOMAS CROWN (en version originale : The Thomas Crown Affair) est un film réalisé et produit par Norman Jewison, sorti en salles en 1968.
Le scénario est écrit par Alan Trustman. La photographie est signée par Haskell Wexler. La musique est composée par Michel Legrand.
Dans les rôles principaux, on trouve : Steve McQueen (Thomas Crown), Faye Dunaway (Vicky Anderson), Paul Burke (l'inspecteur de police Edward "Eddy" Malone).
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 Thomas Crown
(Steve McQueen)

Thomas Crown est un homme d'affaires qui a brillamment réussi et brasse des millions de dollars dans divers domaines. Divorcé, cet homme séduisant profite de sa fortune tout en songeant à se retirer car il s'ennuie.
Pour retrouver le frisson que ne lui procurent plus son business, il réunit un groupe d'hommes sans rapport les uns avec les autres et sans qu'il puisse l'identifier, remet à chacun une forte somme pour acheter différents équipements (voiture, arme...), exige qu'ils soient disponibles dès qu'il aura besoin d'eux.
Le jour venu, ce gang commet un audacieux braquage dans une banque de Boston, surveillé à leur insu par Thomas Crown depuis son bureau au sommet de son building situé en face de l'établissement. Puis les malfaiteurs se dispersent - le dernier d'entre eux dépose le butin dans une poubelle dans un cimetière de la ville où va le récupérer le millionnaire.
Revigoré par l'adrénaline que lui a procuré ce hold-up et son succès, Thomas Crown se sent revivre...
 Vicky Anderson 
(Faye Dunaway)

Bien entendu, la police est sur les dents et l'inspecteur Edward "Eddy" Malone, en charge de l'enquête, est harcelé par les médias. Tous les clients et le personnel de la banque sont interrogés, mais il évident que le coup a été si soigneusement préparé et efficacement effectué que le magot ne sera pas facile à pister.
 Eddie Malone et Vicky Anderson
(Paul Burke et Faye Dunaway)

La compagnie d'assurances de la banque fait alors appel à sa meilleure détective, la très élégante et charmante Vicky Anderson, dont la réputation flatteuse prétend qu'elle n'a jamais connu l'échec. Malone doit, à contrecoeur, accepter de collaborer avec cette femme volontiers arrogante.
Ensemble, ils épluchent la liste des plus gros dépositaires de la banque braquée car Vicky a la conviction que le commanditaire du vol n'est pas un vulgaire gangster mais un client déjà installé qui a organisé cette opération pour le plaisir de défier le système dont il fait partie et en étant sûr de ne pas être pris.
Leurs soupçons se portent sur...
 Thomas Crown

... Thomas Crown évidemment. Pendant que Malone continue d'enquêter sur les mouvements de fonds et les affaires du millionnaire, découvrant qu'il s'est déplacé récemment en Suisse (où il a effectivement caché dans une autre banque son butin), Vicky l'aborde en lui déclarant franchement qu'elle le suspecte et qu'elle le confondra.
Crown est amusé par ce nouveau défi et un jeu de séduction s'installe entre lui et cette détective atypique mais très attirante. Il l'invite dans sa luxueuse maison un soir...  
 Vicky Anderson et Thomas Crown

Disputant, pour se tester, une partie d'échecs, ils finissent par s'embrasser et coucher ensemble. C'est lé début d'une liaison qui ne tarde évidemment pas à être découverte par Malone, dont les agents filent le millionnaire et photographient ses faits et gestes. 
Vicky se défend auprès du policier en lui certifiant qu'elle n'est pas amoureuse de Crown : elle est toujours aussi résolue à le faire arrêter. Et justement, Malone a peut-être coincé un des hommes de main du braquage, qui s'est trahi en dépensant l'argent avancé par son commanditaire : une confrontation est organisée sans que le millionnaire ne soit prévenu. Mais la ruse n'aboutit pas...  
Vicky Anderson et Thomas Crown

L'enquête piétine et Vicky est tiraillée entre son devoir et ses sentiments : elle est maintenant éprise de Crown qui semble, lui-même, prêt à lui proposer une relation plus sérieuse. Il avoue même avoir monté le braquage et fanfaronne en disant être capable d'en commettre un autre, avec le même mode opératoire.
Thomas Crown réussira-t-il ? Et si oui, Vicky finira-t-elle par le faire arrêter ? Ou le businessman-braqueur privilégiera-t-il ses intérêts à leur amour ?

Ma fascination pour Steve McQueen se confond avec l'intérêt que j'ai pour le cinéma, américain en particulier : je crois en effet qu'on se familiarise avec le 7ème Art à travers un acteur (quand on est un garçon) en particulier qui incarne le héros premier, l'homme qu'on aimerait idéalement être. Ma passion pour les films résidait initialement dans les westerns et un des premiers que je vis au point de le revoir ensuite fréquemment, sans éprouver la moindre lassitude, était Les Sept Mercenaires de John Sturges (1960), dans lequel McQueen jouait aux côtés de Yul Brynner et de plusieurs autres interprètes comme Charles Bronson, Robert Vaughn, James Coburn, Eli Wallach.

J'appris plus tard une anecdote amusante à propos de McQueen et sa relation de travail avec Brynner : ce dernier, formé au théâtre et doté d'un caractère assez strict dans le travail, ne fut pas avec son partenaire un ami comme il devait l'être dans le film parce qu'il était agacé par la manie de McQueen de manipuler sans cesse son chapeau en lui donnant la réplique. Sachant cela, McQueen s'amusait à le provoquer durant tout le tournage avec cela.

Cette histoire est révélatrice de la personnalité complexe de Steve McQueen dont la jeunesse fut vécue dans des conditions très précaires, ne connaissant pas son père et subissant l'alcoolisme de sa mère, avant d'enchaîner des petits métiers sans sortir de la misère. En accédant à la célébrité à partir de 1956 à 26 ans grâce à la série télé Au Nom de la Loi (Wanted) puis au cinéma quatre ans plus tard avec, donc, Les Sept Mercenaires, cet enfant de la rue connut une revanche éclatante sur la vie qui en ferait dans les années 70 l'acteur le mieux payé du monde. 

Or, en revoyant L'affaire Thomas Crown, on a l'impression d'une quasi-autobiographie de McQueen : comme lui, ce personnage de millionnaire arrivé au sommet a tout mais ne ressent plus rien et se transforme en cambrioleur génial juste pour le frisson. Le spectateur un peu informé sur le parcours de l'acteur ne peut s'empêcher d'imaginer que Thomas Crown vient lui aussi de la rue et qu'il y redescend pour l'adrénaline en commettant ce braquage. Ses beaux costumes, ses voitures de marque, ses maisons de luxe, dissimulent mal qu'un ancien voyou se cache derrière l'homme d'affaires qui défie le système pour tromper sa lassitude.

Ce rôle, McQueen dira d'ailleurs toujours que c'était son préféré. Il y est étincelant, au sommet de son charme, traversant l'intrigue et l'image avec cette décontraction animale incomparable, qui lui a valu le surnom de "king of cool". Cette aisance charismatique était aussi peut-être l'émanation d'un autre aspect étonnant de l'acteur comme je le découvris dans le recueil de photos que lui consacrèrent les éditions Taschen, Steve Mc Queen : William Claxton photographs : "Clax" y révèle que son modèle fumait jour et nuit de la marijuana et lui avait demandé comment il pouvait rester concentré. Réponse de l'intéressé : "J'aime repousser les limites. C'est ce qui me fait avancer. C'est comme un défi. J'adore l'impression que je ne vais pas pouvoir y arriver, et finalement, j'y arrive." Ne sont-ce pas là des mots que Thomas Crown pourrait avouer à Vicky Anderson pour se justifier ? 

Le film est aussi fascinant esthétiquement : c'est un film pop en somme, qui traite son intrigue avec une désinvolture amusée, un clinquant assumé. Norman Jewison avait découvert dans une exposition le procédé du "split screen", l'écran divisé, et eut l'idée de l'appliquer pour filmer le scénario écrit par Alan Trustman pour montrer plusieurs actions simultanément. Richard Fleischer emploiera le même truc la même année dans L'Étrangleur de Boston, et bien après un cinéaste comme Brian De Palma en fera une de ses figures de style favorites.

Le scénario, dans sa première mouture, était très bref, une quarantaine de page, mais Trustman était avocat à Boston avant d'être un auteur. Cette base sommaire permit à Jewison d'expérimenter visuellement avec la complicité du photographe Haskell Wexler, qui utilisa des filtres, des objectifs divers, des éclairages variés, qui éloignent le film de tout réalisme. De l'aveu même du réalisateur, L'affaire Thomas Crown était un objet où la forme primait sur le fond.

Tout est too much dans ce film et joue de ce parti-pris : la première apparition à l'aéroport de Faye Dunaway illustre parfaitement cela. On voit arriver cette femme à la beauté incroyable, habillée de manière extravagante pour une détective d'une agence d'assurances, telle une mannequin lors d'un défilé de haute-couture, et on en sourit tout en l'acceptant. Tout est comme ça : les hommes de main recrutés par Crown sont eux-mêmes pareils à des gravures de mode, avec leurs costumes noires, leurs chapeaux, leurs lunettes fumées, leurs gants blancs ; l'inspecteur Malone ressemble plus à un gentleman dans une soirée cocktail qu'à un offcier de police ; Crown et Vicky s'amusent dans une jeep sur une plage et sirotent des drinks, fréquentent des salles d'enchères, assistent à un match de polo, en passant par une séance de planeur... So chic

Un érotisme très suggestif s'installe dès la première rencontre entre Crown et Vicky et culmine lors d'une scène d'anthologie : la fameuse partie d'échecs où la jeune femme manipule les pièces, sa robe ou effleure ses lèvres qui trouble autant le millionnaire que le spectateur. Le héros, n'y tenant plus, finit par étreindre son invitée et l'embrasse - un baiser langoureux, d'une sensualité affolante, qui semble ne jamais finir, avec la caméra qui tournoie autour des deux amants dans des jeux de lumière quasi-psychédéliques. 55 secondes, tournées durant plus de huit heures sur plusieurs jours !

Michel Legrand, qui a composé la bande originale pour laquelle il remporta un Oscar, avec la chanson Windmills of your mind (paroles de Noel Carpenter), expliqua que le premier montage du film durait cinq heures ! Désemparé, Jewison lui demanda comment couper, alors que trois monteurs (dont le futur réalisateur Hal Ashby) étaient déjà à l'oeuvre, et le musicien lui suggéra de se caler sur sa partition. C'est aussi cela qui donne un aspect pop au film : sa musicalité, sa fluidité étonnante, pour un résultat de 102' finalement.

Même s'il ne fait guère de doute que Steve McQueen était son premier choix (et celui du studio The Mirisch Corporation), le rôle principal fut d'abord envisagé pour Sean Connery mais il déclina l'offre (le regrettant ensuite). Aujourd'hui, il est impossible d'imaginer un autre que McQueen pour incarner Thomas Crown.

De la même manière, avant de revenir à Faye Dunaway, éblouissante après avoir interprété Bonnie Parker dans Bonnie & Clyde d'Arthur Penn, Anouk Aimée et Brigitte Bardot ont été approchées, sans succès, pour le rôle de Vicky Anderson. Jewison avait également pensé à Eva Marie Saint (qu'il avait dirigé dans Les Russes arrivent, en 1966). Le couple qu'elle forme avec McQueen appartient désormais à la légende - et ce ne sont pas Pierce Brosnan et Rene Russo, dans le remake de John McTiernan, qui les supplanteront.

Film champagne, L'affaire Thomas Crown est un mix imparable de polar et de romance, un authentique film-culte sur lequel les années n'ont pas de prise. 

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