jeudi 21 janvier 2016

Critique 798 : L'ESPACE D'UN SOIR, de Brigitte Luciani et Colonel Moutarde


L'ESPACE D'UN SOIR est un récit complet écrit par Brigitte Luciani et dessiné par Colonel Moutarde, publié en 2007 par les Editions Delcourt.
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Un soir, dans le même immeuble, les chassés-croisés d'une quinzaine de personnages...
Franck Carpentier et son épouse Marlène organisent une fête pour leur pendaison de crémaillère.
Marlène est la maîtresse de Gérard Orlay, le mari de la propriétaire de l'immeuble, Marie, dont l'amant, Olivier Husson, va tendre une piège à son fils, Bruno, pour lui voler une grosse somme d'argent.
Iris Lopez est la confidente de Marlène qui soupçonne son autre amie, Sandra Vaneker, de connaître son infidélité.  Le mari de Sandra, Antoine, a confié la garde de leurs deux jeunes enfants à la soeur de femme, une actrice débutante, Jade Lamour, sous le charme de laquelle tombe l'architecte Pierre Leroy.
Quant à la paranoïaque Odile Cambert, elle est l'épouse d'André, le bras droit en affaires de Gérard Orlay, qui le suspecte de vouloir l'escroquer.
Pendant ce temps, David et Esther Vaneker ont une nuit agitée mais pas autant qu'une souris dans leur appartement, traquée par un chat...

Ci-dessus : le quatrième de couverture de l'album,
présentant les quinze personnages de l'histoire.

L'Espace d'un Soir est un projet qu'a porté longtemps sa scénariste, Brigitte Luciani, avant de trouver qui le dessinerait, et quand le Colonel Moutarde a relevé le défi, cela a abouti à une rencontre décisive entre elles (car le Colonel est une femme...).

Des rencontres, cette histoire en est remplie et l'intrigue les articule avec une agilité qui, mine de rien, est assez exceptionnelle. Le découpage du script est rigoureux, avec ses quatre bandes par cases, chacune situant une action dans un décor différent, avec les allées et venues des personnages, tout en sachant qu'ils sont en vérité réunis dans le même immeuble, la même soirée.

Née en 1966 à Hanovre, Brigitte Luciani n'est pas diplômé d'une Maîtrise de Littérature pour rien : son récit possède à la fois une grande fluidité tout en étant bâti avec une étonnante sophistication. Parvenir à animer autant de pistes narratives, une casting aussi fourni, sans s'emmêler les pinceaux ni égarer le lecteur, témoigne d'une adresse peu commune.

Plus encore, cet opus exploite avec malice une idée qui repose sur une évidence mais dont l'application est surprenante : considérons la façade d'un immeuble avec les fenêtres de ses appartements et on s'aperçoit que cela ressemble de manière troublante à une page quadrillée d'une bande dessinée. Dès lors, chacune de ces fenêtres est une histoire possible, et celui qui observe l'immeuble ainsi peut les imaginer. C'est le principe même de ce projet.

On peut ainsi lire L'espace d'un soir de bien des façons : successivement d'une bande à l'autre comme dans un album traditionnel, ou latéralement en suivant les strips d'une page à l'autre, ou en sautant une bande sur deux, voire en passant de la première à la quatrième... Et cela reste compréhensible. C'est un exercice de style mais bigrement bien disposé. 

Alors, certes, l'intérêt des différentes lignes historiques, l'aventure de chaque protagoniste (ou paire, trio, quatuor) sont inégales, de même que certains personnages sont plus développés que d'autres (les époux Cambert sont les plus dispensables, et les enfants de Vaneker comme le sort de la souris sont anecdotiques). Les petites trahisons, les escroqueries, les jeux de séduction, les méfiances qui traversent le récit peuvent aussi sembler légères, mais ici le dispositif l'emporte sur le reste. Si vous êtes d'humeur joueuse, c'est très plaisant. Sinon, passez votre chemin. Mais, il n'empêche, le twist final est quand même brillant, réellement inattendu et jubilatoire.

Le vrai regret qu'on peut formuler concerne davantage, à mon sens, le graphisme. La dessinatrice qui signe donc du surnom très "Cluedo" Colonel Moutarde, et au sujet de laquelle je n'ai pas réussi à apprendre des éléments biographiques instructifs, a un style amusant, qui ne manque pas d'élégance.

Malheureusement, avec un scénario de ce type, il aurait été plus avisé que cela soit mis en image différemment : ici tout le monde se ressemble trop, les filles au physique gracile et au look de fashionista, avec de grands yeux et des lèvres fines ; les garçons distingués comme des gravures de mode, tous issus d'un même moule (à part André Cambert). Cela ne facilite pas la reconnaissance et il m'a fallu un peu de temps pour identifier chacun, devant consulter le quatrième de couverture pour bien m'assurer de qui était qui. Ce n'est pas désagréable à regarder, mais un peu léger. Dommage.

Une BD quasi-conceptuelle intéressante qui pourrait fort bien être adaptée au théâtre.

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