lundi 23 novembre 2015

Critique 759 : LA BOÎTE NOIRE, de Tonino Benacquista et Jacques Ferrandez


LA BOÎTE NOIRE est un récit complet adapté du roman éponyme écrit par Tonino Benacquista, publié par Gallimard, par le scénariste et dessinateur Jacques Ferrandez, publié en 2000 par Futuropolis.  
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Laurent Aubier a 35 ans et est réparateur de photocopieurs quand, une nuit, il a un accident de la route sur la route des Goules dans les Pyrénées. L'autre conducteur, qui l'a percuté, meurt.
Après un coma de dix heures, il se réveille, veillé par une infirmière, Janine, qui a consigné dans un carnet tout ce qu'il a dit quand il était sans connaissance. Il s'agit de l'expression du patient durant le "coma vigile", un véritable délire verbal qui donne accès à sa "boîte noire", son inconscient.
De retour chez lui, Laurent lit et relit ce rapport qui revient sur trente ans d'interdits, de souvenirs, dont le sens ne peut être décrypté que par lui seul. C'est ainsi qu'il mène une enquête sur lui-même, découvrant aussi bien avec lequel de ses amis l'a vraiment trompé son ex-fiancée Sophie que le rachat d'un gros trust par une petite compagnie et le secret de ses origines.
C'est ainsi que, après avoir essayé diverses méthodes, Laurent apprend qu'il est un enfant adopté dont la mère biologique est morte très jeune après une liaison avec un bourgeois qui veut justement le retrouver...

La Boîte Noire, avant de devenir une bande dessinée, a d'abord été une des cinq nouvelles du recueil Tout à l'ego (publié par Gallimard) écrit par le romancier et scénariste Tonino Benacquista (le recueil sera d'ailleurs rebaptisé La Boîte noire et autre nouvelles quand il sera réédité en format de poche). Puis cette histoire inspirera un film (médiocre) réalisé par Richard Berry, avec dans les rôles principaux José Garcia et Marion Cotillard en 2004.

Ce matériau romanesque ne pouvait que séduire un artiste complet comme Jacques Ferrandez, révélé dans le 9ème Art par Les Enquêtes de l'inspecteur Raffini et surtout par sa saga Carnets d'Orient (chez Casterman) sur l'Histoire de l'Algérie du XIXème au XXème siècle. Il consacrera aussi deux albums tirés de Jean de Florette et Manon des sources d'après les oeuvres de Marcel Pagnol.

Benacquista et Ferrandez, c'est une de ces rencontres heureuses et rares entre un romancier et un bédéaste : à chacune de leurs collaborations, une réussite comme en témoignent Victor Pigeon, La Maldonne des sleepings et surtout leur chef d'oeuvre, L'Outremangeur.

Pour le livre qui nous intéresse présentement, il s'agit d'un récit troublant sur le thème de l'identité, qui peut faire penser au magistral Cité de verre, roman de Paul Auster ensuite adapté par Paul Karasik et David Mazzucchelli. On y retrouve une construction empruntée au polar et de nombreuses phrases du script confirme cette référence : ainsi Laurent Aubier dira-t-il de sa quête qu'"à force de me chercher, je suis devenu quelqu'un d'autre. Une sorte de flic de l'âme ou pire, un détective qui n'ira jamais au bout de son enquête".

L'intrigue se déploie avec beaucoup d'efficacité au fil des découvertes que fait le héros sur son passé, parfois anecdotiques, puis aux conséquences terribles : le scénario distille ses informations tout au long des 54 pages de l'album avec fluidité et entraîne le lecteur dans une descente aux enfers vertigineuse. Chaque étape est réaliste et peut se lire aussi comme la relation d'une addiction, ainsi que le formule le héros quand il reconnaît devenir "accro à sa propre psyché" : progressivement, il essaie pour atteindre la vérité des expédients de plus en plus limites, de l'hypnose à diverses drogues puis l'alcool et une tentative de suicide.

Le trait très spontané de Ferrandez, qui a aussi signé des carnets de voyage, le formant ainsi à la pratique d'un dessin sur le vif, convient admirablement à cette expérience. Les lignes ne sont pas toujours droites, mais expriment ainsi parfaitement les fissures, les failles, qui marquent son héros.

Ce style, on peut l'interpréter surtout comme la volonté de Ferrandez de viser moins un beau dessin (même si ses images ont une vraie beauté, avec des passages en couleurs directes à l'aquarelle superbes) qu'un dessin juste. Le découpage est classique, parfois traversé par des pages aux allures de fresque sur le monde intérieur de Laurent Aubier, visions baroques et fulgurantes dans lesquelles le lecteur cherche lui aussi un sens aux symboles (tous ne sont pas expliqués). Les cases sont parfois bordées par des extraits manuscrits extraits du fameux carnet remis au héros par l'infirmière qui a consigné ses confidences comateuses, un procédé visuel là encore simple mais immersif.

On atteint la conclusion de cette aventure avec le sentiment d'avoir lu une histoire peu commune, traité avec intelligence : n'est-ce pas la meilleure preuve qu'on a affaire à une grande BD ?

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