LE SURSIS : INTEGRALE regroupe en un seul volume le récit complet, écrit et dessiné par Jean-Pierre Gibrat, composé de deux tomes, publiés respectivement en 1997 et 1999 par Dupuis.
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(Ci-dessus : la couverture et un extrait du
tome 1 du Sursis. Textes et dessins de Gibrat.)
Embarqué de force pour le service du travail obligatoire, Julien Sarlat, un jeune homme natif d'un village de l'Aveyron, s'enfuit en sautant du train qui le conduisait en Allemagne et retourne se réfugier chez sa tante, Angèle Fourcadelle.
Il apprend qu'il l'a échappé belle puisque le train a été bombardé et ses papiers d'identité ont été trouvés sur le cadavre d'un autre passager : il est donc considéré comme officiellement mort.
L'instituteur du village, M. Thomassin, a été arrêté à cause de ses sympathies communistes et Julien décide de sa cacher dans le grenier de sa maison mise sous scellés. Sa tante l'approvisionne alors régulièrement en lui apportant des victuailles tôt le matin, avant l'arrivée des écoliers.
Le reste de ses journées, Julien le passe à consulter les cahiers de son ancien maître, à lire ses livres, mais surtout à observer depuis son pigeonnier, avec une lunette astronomique, la vie du village sur lequel il a une vue imprenable.
C'est ainsi qu'il assiste à son propre enterrement, mais aussi qu'il peut voir la belle Cécile Cadrieux, son amour de jeunesse, serveuse aux "Tilleuls", le café de la place de l'église ou, plus désagréable, la présence de la milice dirigée par son ancien camarade Serge que le vieux Basile, un détracteur de Pétain et Laval, nargue.
Du 27 Juin au 31 Décembre 1943, Julien écoute aussi à la radio la progression des forces alliés contre les allemands et les italiens. Mais lorsque sa tante se casse une jambe accidentellement et qu'il se trouve coincé dehors, il n'a d'autre choix que de révéler sa présence à Cécile - qui a peut-être un nouvel amant en la personne de Paul, le médecin...
Il apprend qu'il l'a échappé belle puisque le train a été bombardé et ses papiers d'identité ont été trouvés sur le cadavre d'un autre passager : il est donc considéré comme officiellement mort.
L'instituteur du village, M. Thomassin, a été arrêté à cause de ses sympathies communistes et Julien décide de sa cacher dans le grenier de sa maison mise sous scellés. Sa tante l'approvisionne alors régulièrement en lui apportant des victuailles tôt le matin, avant l'arrivée des écoliers.
Le reste de ses journées, Julien le passe à consulter les cahiers de son ancien maître, à lire ses livres, mais surtout à observer depuis son pigeonnier, avec une lunette astronomique, la vie du village sur lequel il a une vue imprenable.
C'est ainsi qu'il assiste à son propre enterrement, mais aussi qu'il peut voir la belle Cécile Cadrieux, son amour de jeunesse, serveuse aux "Tilleuls", le café de la place de l'église ou, plus désagréable, la présence de la milice dirigée par son ancien camarade Serge que le vieux Basile, un détracteur de Pétain et Laval, nargue.
Du 27 Juin au 31 Décembre 1943, Julien écoute aussi à la radio la progression des forces alliés contre les allemands et les italiens. Mais lorsque sa tante se casse une jambe accidentellement et qu'il se trouve coincé dehors, il n'a d'autre choix que de révéler sa présence à Cécile - qui a peut-être un nouvel amant en la personne de Paul, le médecin...
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Julien retrouve Cécile et découvre la véritable nature de sa relation avec le médecin Paul, qui est aussi un membre actif de la résistance locale. Alors que les deux tourtereaux renouent et que la tante Angèle revient chez elle, la tension monte d'un cran quand l'armée allemande traverse le village et que l'officier à la tête de cette colonne tue, dans un accès de colère, le père de Cécile.
Les maquisards rendent à présent coup pour coup aux partisans de Pétain comme Serge qui finit par piéger Julien, mais le vieux Basile lui sauvera la vie. Cécile, après un premier aller-retour à Paris, convainc son amant de le rejoindre à la capitale.
Le destin sera cruellement ironique avec le jeune homme quand il quittera son village par le train, comme il y était revenu...
Les maquisards rendent à présent coup pour coup aux partisans de Pétain comme Serge qui finit par piéger Julien, mais le vieux Basile lui sauvera la vie. Cécile, après un premier aller-retour à Paris, convainc son amant de le rejoindre à la capitale.
Le destin sera cruellement ironique avec le jeune homme quand il quittera son village par le train, comme il y était revenu...
J'ai lu pour la première fois Jean-Pierre Gibrat lorsqu'il collabora avec Jacky Berroyer pour les aventures de Goudard (de 1978 à 1985), dont j'avais acheté l'Intégrale (Les Années Goudard - depuis revendue, je le regrette : je l'aurais volontiers relue pour en écrire une critique).
J'ai ensuite poursuivi avec la trilogie des Missions (Mission en Afrique et Mission en Thaïlande, écrits par Guy Vidal ; Mission au Guatémala, écrit par Dominique Leguillier). Puis comme beaucoup d'autres artistes, j'ai lâché l'affaire en allant voir ailleurs si l'herbe était plus verte.
J'ai replongé en 1996 avec le récit complet Marée basse, écrit par Daniel Pecqueur, qui ne m'a pas laissé un grand souvenir, mais qui témoignait du talent toujours de l'artiste. Un an plus tard, j'acquerrai le premier tome du Sursis, dont Gibrat signait scénario et dessins. La suite et fin vint en 1999, dans cette très belle collection de Dupuis qu'est Aire Libre.
Je viens de relire tout ça sous la forme d'une magnifique Intégrale, réunissant les deux albums, agrémentée d'un sketchbook éblouissant - de quoi vous interroger sur certains critiques qui trouvent que Gibrat, "c'était mieux avant" : fâcheux grincheux !
Comment ne pas être conquis par ce diptyque, aussi bien construit que mis en images ? Gibrat n'a pas choisi la facilité avec ce projet qui mélange le récit historique, situé durant l'occupation allemande en 1943-44 dans un petit village de l'Aveyron, et la romance. Mais il a réalisé ça avec une aisance déconcertante même s'il y a quand même consacré pas moins de cinq ans en tout.
L'auteur a le souci du détail, aussi bien graphique que narratif, et pour aborder son histoire, il a pris le parti de d'abord soigner la caractérisation de ses personnages : il a recours à une voix-off abondante mais qui ne nuit pas à la fluidité de la lecture, et son héros adopte une situation ambiguë. Refusant le S.T.O. en Allemagne, il s'évade et se planque en attendant la fin de la guerre. Dans un premier temps, notre sympathie est acquise à ce personnage charmeur, gouailleur, glandeur, puis à mesure que les événements se succèdent, sa conduite nous interroge : n'est-il pas surtout un lâche en refusant de prendre part au combat, en particulier celui de la résistance incarnée par le médecin Paul (qu'il jalouse d'abord en le soupçonnant de l'avoir remplacé dans le coeur de Cécile) ?
En sachant éviter tout simplisme, Gibrat confère à son récit une richesse bienvenue en développant pourtant une trame très intimiste, dans le cadre bucolique d'un patelin plutôt épargné par la guerre. Hormis, en effet, la présence de la milice, dont une brigade est dirigée par Serge, un jeune homme antisémite et pétainiste dont l'opportunisme éclatera tardivement quand son sort sera compromis, et un passage glaçant d'une colonne de l'armée allemande, la vie coule tranquillement à Cambeyrac, avec ses parties de pétanques ponctuées par les opinions bienveillantes du curé et les réparties du vieux Basile.
Lorsque Gibrat réunit au début du second tome Julien et Cécile, le tableau est presque ordinaire, les horreurs du conflit bien loin. Mais il subsiste une tension, le poids d'une fatalité dans cette histoire, induite par son titre dont on peine à interpréter le sens. De quel sursis s'agit-il exactement ? Tout sursis suggère un dénouement incertain, souvent dramatique. L'auteur le dévoilera avec une ironie cruelle, poignante, dans les ultimes pages de son récit. Je me rappelle que la première fois que je l'ai lue, cette histoire m'a semblé frappée d'un pessimisme injuste, je souhaitais tant que cela se termine bien. Aujourd'hui, peut-être suis-je moins sentimental, mais j'ai su mieux apprécier la fin, qui évite sans doute une issue trop positive.
J'ai ensuite poursuivi avec la trilogie des Missions (Mission en Afrique et Mission en Thaïlande, écrits par Guy Vidal ; Mission au Guatémala, écrit par Dominique Leguillier). Puis comme beaucoup d'autres artistes, j'ai lâché l'affaire en allant voir ailleurs si l'herbe était plus verte.
J'ai replongé en 1996 avec le récit complet Marée basse, écrit par Daniel Pecqueur, qui ne m'a pas laissé un grand souvenir, mais qui témoignait du talent toujours de l'artiste. Un an plus tard, j'acquerrai le premier tome du Sursis, dont Gibrat signait scénario et dessins. La suite et fin vint en 1999, dans cette très belle collection de Dupuis qu'est Aire Libre.
Je viens de relire tout ça sous la forme d'une magnifique Intégrale, réunissant les deux albums, agrémentée d'un sketchbook éblouissant - de quoi vous interroger sur certains critiques qui trouvent que Gibrat, "c'était mieux avant" : fâcheux grincheux !
Comment ne pas être conquis par ce diptyque, aussi bien construit que mis en images ? Gibrat n'a pas choisi la facilité avec ce projet qui mélange le récit historique, situé durant l'occupation allemande en 1943-44 dans un petit village de l'Aveyron, et la romance. Mais il a réalisé ça avec une aisance déconcertante même s'il y a quand même consacré pas moins de cinq ans en tout.
L'auteur a le souci du détail, aussi bien graphique que narratif, et pour aborder son histoire, il a pris le parti de d'abord soigner la caractérisation de ses personnages : il a recours à une voix-off abondante mais qui ne nuit pas à la fluidité de la lecture, et son héros adopte une situation ambiguë. Refusant le S.T.O. en Allemagne, il s'évade et se planque en attendant la fin de la guerre. Dans un premier temps, notre sympathie est acquise à ce personnage charmeur, gouailleur, glandeur, puis à mesure que les événements se succèdent, sa conduite nous interroge : n'est-il pas surtout un lâche en refusant de prendre part au combat, en particulier celui de la résistance incarnée par le médecin Paul (qu'il jalouse d'abord en le soupçonnant de l'avoir remplacé dans le coeur de Cécile) ?
En sachant éviter tout simplisme, Gibrat confère à son récit une richesse bienvenue en développant pourtant une trame très intimiste, dans le cadre bucolique d'un patelin plutôt épargné par la guerre. Hormis, en effet, la présence de la milice, dont une brigade est dirigée par Serge, un jeune homme antisémite et pétainiste dont l'opportunisme éclatera tardivement quand son sort sera compromis, et un passage glaçant d'une colonne de l'armée allemande, la vie coule tranquillement à Cambeyrac, avec ses parties de pétanques ponctuées par les opinions bienveillantes du curé et les réparties du vieux Basile.
Lorsque Gibrat réunit au début du second tome Julien et Cécile, le tableau est presque ordinaire, les horreurs du conflit bien loin. Mais il subsiste une tension, le poids d'une fatalité dans cette histoire, induite par son titre dont on peine à interpréter le sens. De quel sursis s'agit-il exactement ? Tout sursis suggère un dénouement incertain, souvent dramatique. L'auteur le dévoilera avec une ironie cruelle, poignante, dans les ultimes pages de son récit. Je me rappelle que la première fois que je l'ai lue, cette histoire m'a semblé frappée d'un pessimisme injuste, je souhaitais tant que cela se termine bien. Aujourd'hui, peut-être suis-je moins sentimental, mais j'ai su mieux apprécier la fin, qui évite sans doute une issue trop positive.
Bien entendu, on ne peut pas faire l'éloge d'une production de Gibrat sans parler de son fantastique talent de dessinateur. Il y a quelques années, disposant de quelque argent, je m'étais fait un plaisir en achetant une lithographie de l'artiste représentant Cécile... Qui aujourd'hui décore un mur de mon ancienne chambre, où dort désormais ma mère.
Gibrat est un dessinateur incomparable quand il s'agit de représenter de belles héroïnes, et Cécile Cadrieux est une de ses réussites les plus accomplies : on ne peut pas ne pas tomber amoureux de cette brunette avec sa robe rouge à pois blancs, et donc l'identification avec Julien Sarlat n'est pas difficile.
Mais il serait très réducteur de ne considérer le dessinateur que pour cette partie de son travail, car Gibrat est un artiste complet : ses personnages possèdent une expressivité formidable, avec une gestuelle élaborée, un look très bien étudié. Le naturel avec lequel il les anime évite à sa bande dessinée le piège de n'être qu'une jolie reconstitution d'époque, et le cadre dans lequel il les fait évoluer participe aussi de cet effort : dans la campagne aveyronnaise, on échappe aux paysages désolés des bombardements de la guerre et l'évocation de la guerre passe par l'atmosphère, dont la bonhomie est définitivement rompue après la scène de la mort du père de Cécile par l'officier allemand.
Le découpage est faussement simple : Gibrat n'use pas de vignettes aux dimensions, aux formes ou à la disposition atypiques, mais il les remplit toujours bien, avec un sens de la composition virtuose - voyez comment il place les personnages dans les décors, aussi bien intérieurs qu'extérieurs, c'est admirable. Peu de dessinateurs obtiennent des images aussi bien distribuées (à part Boucq).
Il faut aussi souligner la qualité impressionnante de la colorisation de Gibrat, qui a délaissé l'encrage classique pour le crayon rehaussé d'aquarelles, avec une palette de nuances splendides - et je pèse bien mes mots. La luminosité des plans durant la belle saison précède le réalisme de la saison hivernale avant que le printemps ne revienne, le tout avec un dosage parfait.
Gibrat est un dessinateur incomparable quand il s'agit de représenter de belles héroïnes, et Cécile Cadrieux est une de ses réussites les plus accomplies : on ne peut pas ne pas tomber amoureux de cette brunette avec sa robe rouge à pois blancs, et donc l'identification avec Julien Sarlat n'est pas difficile.
Mais il serait très réducteur de ne considérer le dessinateur que pour cette partie de son travail, car Gibrat est un artiste complet : ses personnages possèdent une expressivité formidable, avec une gestuelle élaborée, un look très bien étudié. Le naturel avec lequel il les anime évite à sa bande dessinée le piège de n'être qu'une jolie reconstitution d'époque, et le cadre dans lequel il les fait évoluer participe aussi de cet effort : dans la campagne aveyronnaise, on échappe aux paysages désolés des bombardements de la guerre et l'évocation de la guerre passe par l'atmosphère, dont la bonhomie est définitivement rompue après la scène de la mort du père de Cécile par l'officier allemand.
Le découpage est faussement simple : Gibrat n'use pas de vignettes aux dimensions, aux formes ou à la disposition atypiques, mais il les remplit toujours bien, avec un sens de la composition virtuose - voyez comment il place les personnages dans les décors, aussi bien intérieurs qu'extérieurs, c'est admirable. Peu de dessinateurs obtiennent des images aussi bien distribuées (à part Boucq).
Il faut aussi souligner la qualité impressionnante de la colorisation de Gibrat, qui a délaissé l'encrage classique pour le crayon rehaussé d'aquarelles, avec une palette de nuances splendides - et je pèse bien mes mots. La luminosité des plans durant la belle saison précède le réalisme de la saison hivernale avant que le printemps ne revienne, le tout avec un dosage parfait.
Voilà une oeuvre - que dis-je un chef d'oeuvre immanquable auquel Dupuis a su donner l'écrin qu'il méritait pour fêter les vingt ans de sa collection Aire Libre. Avec cette histoire divinement illustrée, Gibrat a gagné une nouvelle dimension, que ses travaux suivants ont su pérenniser - je compte bien vous en toucher bientôt un mot... Et en attendant, je vous laisse avec deux images, deux portraits de Julien et Cécile.
Bonjour,
RépondreSupprimerA lire l'excellente intégrale et votre (tout aussi bonne) critique, j'y décèle quand même une (petite) erreur : « la bonhomie est définitivement rompue après la scène de la mort du père de Cécile par l'officier allemand. »
C'est le garagiste Edouard Bouyssoux qui est abattu par le sous-lieutenant allemand, devant les yeux de sa fille (et non Cécile Cadrieux).
Du coup, je relève aussi une erreur dans la BD : l'officier allemand ayant abattu le garagiste car il avait servi de l'eau au lieu d'essence (sans le savoir !); comment la voiture a pu redémarrer alors que son refus de démarrage a provoqué la fureur de l'officier et, en conséquence, la mort du garagiste ?
Cordialement.