LUCKY LUKE : EN REMONTANT LE MISSISSIPI est le 16ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1961 par Dupuis.
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De passage à la Nouvelle-Orléans, Lucky Luke assiste dans un saloon à la dispute entre deux capitaines de steamboats (bateaux-vapeur) et prend le parti du plus sympathique, Barrows, qui accepte de relever le défi lancé par son adversaire, Lowriver, de gagner le monopole de naviguer sur le Mississipi au terme d'une course s'achevant à Minneapolis.
Le voyage est semé d'embûches car, à chaque escale (Bâton-Rouge, Caïro, Saint-Louis), Lowriver engage des bandits pour freiner puis détruire le "Daisy Belle" afin que son "Asbestos D. Plower" remporte la course.
Mais Lucky Luke est sur le pont, prêt à intervenir contre l'ennemi...
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LUCKY LUKE : SUR LA PISTE DES DALTON est le 17ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1962 par Dupuis.
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En creusant un tunnel sous la prison, les Dalton s'évadent, malgré la surveillance du chien Ran-tan-plan.
Quand les quatre bandits volent des chevaux à un ami rancher de Lucky Luke, celui-ci oublie sa rancune contre les gardiens du pénitencier et se lance à la poursuite des Dalton.
Mais la stupidité ahurissante de Ran-tan-plan, qui s'est pris d'affection pour Averell Dalton, lui-même attaché à ce chien qui est le seul animal qu'il n'a pas envie de manger, va sérieusement compliquer la traque.
Elle se dénouera quand même à Sinful Gulch où Lucky Luke a arrêté Joe Dalton dont les trois frères vont tout faire pour le délivrer...
Avec ces deux nouveaux albums, on trouve d'une part une des mes histoires préférées de la série (En remontant le Mississipi), qui doit être une des premières que j'ai lues dans ma prime jeunesse, et de l'autre un récit historique (Sur la piste des Dalton), puisqu'y apparaît pour la première fois le chien Ran-tan-plan.
Parlons donc, pour commencer, du tome 16 : comme je l'ai déjà raconté, j'ai lu très tôt Lucky Luke, et je me souviens que j'avais acquis mes premiers albums grâce à mes parents qui me les achetaient dans les stations-service, des livres bon marché à couverture souple. Celui-ci fut l'un qu'ils m'offrirent au début et donc, même si depuis j'ai perdu cet ouvrage, il reste un de mes favoris, une sorte de récit initiatique en quelque sorte qui a activement participé à ma passion pour la bande dessinée. Qui sait quel lecteur je serai devenu sans cela ?
En le relisant, à de nombreuses reprises, le plaisir ne s'est pas dissipé : j'adore toujours autant cette aventure magiquement construite comme une succession de séquences, tendue par un suspense efficace (qui gagnera la course qui autorisera le vainqueur à avoir le monopole de la traversée du Mississipi ?). Depuis le départ à la Nouvelle-Orléans où le joueur de cartes Cards Demon embarque sur le "Daisy Belle" du capitaine Barrows jusqu'à Saint-Louis où le pistolero Pistol Pete fait partie des passagers, sans oublier Têtenfer Wilson à Bâton-Rouge et Explosion Harris à Caïro, Lucky Luke a fort à faire durant le périple, sans compter les caprices du fleuve (avec ses crues et décrues spectaculaires).
Goscinny ne laisse pas plus de répit au cowboy qu'au lecteur et émaille le récit de dialogues savoureux (notamment avec les anecdotes invraisemblables de Sam). Lowriver est un méchant jubilatoire. Rien ne manque pour combler l'amateur comme le connaisseur, et tout ça en 44 planches, autant dire qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer... Mais qu'on s'amuse bien. Et le fait que l'action mette en scène les steamboats ajoute à l'originalité de l'entreprise (on comprend pourquoi Lucky Luke est si content de retrouver le plancher des vaches à la fin : le bateau n'est effectivement pas de tout repos).
Avec le tome 17, on accède à moment historique de la série, comparable à ce qui s'est produit avec le 12ème épisode et l'apparition des cousins Dalton : en effet, c'est là que nous faisons connaissance avec une future vedette, Ran-tan-plan, à tout jamais le chien le plus bête du far-west.
Goscinny trouvait en Lucky Luke un héros trop sérieux et n'a eu de cesse de lui opposer des personnages truculents qui contrasteraient avec son flegme (quasiment) permanent. C'est ce qui avait permis la création des Dalton et permettra des réinterprétations de figures archétypales ou réelles (comme Jesse James, Calamity Jane, Billy the kid, ou le Pied-Tendre, le Grand Duc, l'Empereur Smith).
Mais avec Ran-tan-plan, c'est à une cible bien spéciale que voulait s'attaquer le scénariste puisqu'il s'agissait de parodier le fameux Rintintin, l'incarnation parfaite du meilleur ami de l'homme. Ainsi naquit, par contrepied, le chien le plus stupide des westerns, un cabot (comme le juge Jolly Jumper) qui ne manque pas de bonne volonté (après tout, il prévient bien les gardiens de la prison au début sans que ceux-ci ne le comprennent) mais dépourvu de jugeote, changeant d'avis comme de maître (pour peu qu'on lui montre un peu d'affection) et provoquant mille catastrophes dans son sillage.
Ran-tan-plan n'est certes pas très malin, mais il a une qualité indéniable, à laquelle il doit une bonne partie de sa célébrité (en plus de son efficacité comique) : il est attachant. Comme le Marsupilami de Franquin, il suffit de le regarder pour être de bonne humeur mais aussi être incapable de lui en vouloir quand il commet une bourde, même lourde de conséquences.
Son autre "utilité" dans le dispositif narratif des épisodes où il figure, c'est qu'il va permettre de redéfinir tous les personnages qui l'entourent : Lucky Luke est à la fois amusé, consterné et hors de lui avec ce chien dans les pattes ; Jolly Jumper en est jaloux et, détail essentiel, il va verbaliser son irritation (en gagnant la parole, son caractère va prodigieusement s'enrichir, devenant plus ironique et dotant la série d'une dimension méta-textuelle passionnante, soulignant son sens de la dérision) : les Dalton sont également encombrés par cet animal (à l'exception notable de Averell qui lui voue une affection sincère, ce qui est naturel pour cet idiot gourmand qui se trouve une sorte de double). Une idée de génie donc - même si, plus tard, Morris ne saura pas empêcher ses autres scénaristes (et même Goscinny) d'employer Ran-tan-plan sans que cela soit toujours judicieux et inspiré...
Graphiquement, ses deux albums montrent aussi la formidable capacité d'adaptation de Morris pour alterner des aventures aux décors et aux castings variés : pour En remontant le Mississipi, il reproduit merveilleusement les bateaux (on a même droit à la visite guidée du "Daisy Belle"), et imagine mille trouvailles pour valoriser les rebondissements. Le talent de l'artiste pour croquer les trognes des vilains a la matière pour s'exercer et il fait de Cards Demon, Têtenfer Wilson, Explosion Harris et Pistol Pete (auquel il donne les traits de... Jacques Brel... Ou de James Coburn ?) des seconds rôles mémorables. Il exploite aussi les décors avec beaucoup de verve, tout en maintenant un découpage fourni (une moyenne de 9 à 11 plans par planche).
Pour Sur la piste des Dalton, Morris se retrouve en territoire plus familier, avec une collection de pueblos, de plaines arides, autant de décors qu'il a codifiés parfaitement, au point que tous se ressemblent mais que seul lui les dessine comme ça. On peut même dire qu'en ouvrant un album de Lucky Luke, c'est d'abord à ses cadres qu'on reconnaît la signature de Morris (et Achdé, qui l'a remplacé sur la série, n'a jamais cherché à réinterpréter cette vision : c'est aussi la limite du titre désormais, comme Astérix ou Blake et Mortimer, contrairement à Spirou et Fantasio, leurs nouveaux auteurs n'ont jamais su/pu redéfinir esthétiquement ce western).
Morris s'amuse même à glisser Jerry Spring et Pancho, les deux héros de son mentor et ami Joseph "Jijé" Gillain (Jerry Spring est d'ailleurs, avec son jean bleu et leur chemise jaune, ses cheveux noirs, le double réaliste de Lucky Luke), dans une scène au début de l'histoire.
Voilà donc deux tomes incontournables pour entamer les aventures du "poor lonesome cowboy" dans les sixties.
J'ai moi aussi lu ces histoires dans ma tendre enfance et j'apprécie ta rétro pour son côté madeleine de Proust.
RépondreSupprimerPetite remarque : le look de Pistol Pete n'aurait pas été inspiré par l'acteur James Coburn plutôt que par Jacques Brel ?
Merci pour le commentaire. Je vois qu'il y a d'autres Lucky nostalgiques, ça fait plaisir.
RépondreSupprimerPour Pistol Pete, effectivement, James Coburn semble un modèle plus crédible. J'ai essayé de trouver une confirmation sur le net, sans avoir d'info précise. J'ai dû mentionner Brel par rapport à un vieux souvenir.
Je vais en tout cas citer Coburn dans l'article. Chacun pourra choisir ainsi.