jeudi 21 mai 2015

Critique 622 : LUCKY LUKE, TOMES 12 & 15 - LES COUSINS DALTON & L'EVASION DES DALTON, de René Goscinny et Morris


LUCKY LUKE : LES COUSINS DALTON est le 12ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1958 par Dupuis.
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Pour venger la mort de leurs cousins (Bob, Grat, Bill et Emmet, pendus   - à la fin du tome 6 : Hors-la-loi), Joe, William, Jack et Averell Dalton recherchent Lucky Luke qu'ils tiennent pour responsable.
Mais le cowboy les ridiculise et les quatre malfrats se retirent pour s'entraîner afin d'éliminer leur adversaire. Pour cela, ils attaquent, sans succès, une diligence puis une ferme isolée.
Afin de les surveiller, Lucky Luke scelle une alliance avec ses ennemis et les conduit sur des coups préparés à l'avance pour épargner les civils. Mais quand ils découvrent la tromperie, le sang des Dalton ne fait qu'un tour et, le cowboy leur ayant aussi faussé compagnie, ils se séparent pour le retrouver et le supprimer dans un des quatre pueblos voisins...
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LUCKY LUKE : L'EVASION DES DALTON est le 15ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1960 par Dupuis.

Les quatre frères Dalton s'évadent de la prison avec le projet de se débarrasser de Lucky Luke qui les a fait incarcérer (à la fin du tome 12 : Les Cousins Dalton).
Leur plan est simple et diabolique : il s'agit de faire passer le cowboy pour un criminel en signant leurs méfaits de son nom et en affichant des avis de recherche à son encontre.
Le résultat ne se fait pas attendre : tout le monde a peur de Lucky Luke ! Mais ce dernier est malin : il se rend aux Dalton et accepte de devenir leur homme de main. Ainsi il peut les avoir à l'oeil et déjouer leurs attaques jusqu'à ce qu'il leur échappe et les attire dans un piège...

Avec ces deux albums, on accède à tout un pan de la mythologie de la série puisque les personnages des Dalton y font leur véritable entrée (après avoir figuré fugacement dans le tome 11 : Lucky Luke contre Joss Jamon). A cette nuance près qu'il s'agit des cousins Dalton et non des véritables Dalton, morts à la fin du tome 6 (Hors-la-loi).

La mort de Bob, Grat, Bill et Emmet avait valu à Morris ses premiers ennuis avec la censure de l'époque. Que Goscinny soit le responsable de la co-création de leurs cousins imaginaires n'a rien d'étonnant quand on connaît le goût du scénariste pour détourner les figures du passé. Mais savait-il seulement alors qu'il avait inventé les méchants les plus iconiques et les plus drôles de la série de Morris (à tel point qu'on croit souvent qu'ils ne sont effectivement présents que dans 21 tomes sur 42) ?

Ce qui est certain, c'est que le scénariste leur donne tout de suite la vedette puisqu'ils apparaissent dans pas moins de 43 planches sur les 44 que compte l'album et éclipse largement Lucky Luke dans l'histoire !

Leur popularité sera immédiate et vaudra à Morris et aux éditions Dupuis un abondant courrier de lecteurs pour réclamer leur retour, qui n'aura lieu que 3 albums et 2 ans plus tard (une éternité !). Mais il faut admettre que ce sont des seconds rôles en or, aussi bêtes que méchants, et qui inspireront même une chanson pour Joe Dassin.

Leur première aventure n'est pourtant pas renversante, l'intrigue, alignant les gags avec une régularité un peu trop mécanique et une absence totale de suspense, ne sert qu'à souligner que leur stupidité et par conséquent l'évidente supériorité de Lucky Luke, plus flegmatique que jamais. Ce qui fonctionne le mieux, et ne cessera jamais d'être perfectionné par Goscinny par la suite, c'est ce contraste entre le calme légèrement vaniteux du cowboy et les plans aussi absurdes qu'amusants des Dalton.

On voit déjà les progrès dans ce domaine avec L'évasion des Dalton, qui dispose de ressorts dramatiques plus subtils : l'idée des gredins de faire passer Lucky Luke pour un criminel est finalement ingénieuse et obtient un réel succès, qui met en difficulté le héros, alors obligé de répliquer de manière aussi astucieuse (et non pas en s'appuyant uniquement sur ses talents de tireur ou en toisant avec arrogance ses ennemis).
Une scène témoigne du plus grand raffinement comique atteint par Goscinny, dans laquelle Lucky Luke arrive dans une ville où il est pris pour un complice des Dalton et arrêté. Il proteste alors en expliquant qu'il traque justement les bandits mais le shérif et la population préfère le pendre. Lucky Luke prétend alors être effectivement un ami des Dalton qui viendront le venger s'il est lynché. Le shérif choisit alors de le laisser repartir par crainte de ces représailles.

Morris illustre ces deux épisodes avec son efficacité coutumière : son style évolue peu, voire pas du tout durant cette période où il enchaîne les albums à un rythme aussi soutenu que les histoires qu'il met en images.

Son trait est plus délié, souple, mais déjà très fin et nerveux : il lui suffit de peu pour camper un personnage, capter une attitude, croquer une expression, situer un décor, et ce sentiment de facilité participe au plaisir de le lire. Tout paraît évident, spontané, simple à ce dessinateur qui "tient" ses protagonistes, cet univers, comme un vétéran - alors qu'il n'a pas encore atteint sa plénitude !

Avec une moyenne de 8 à 10 plans par planche, le découpage donne une sensation de vitesse grisante : Morris traduit visuellement chaque gag, produit des ambiances, gère le tempo, avec une maîtrise épatante. C'est peut-être au fond ce que j'ai toujours le plus admiré chez lui, cette capacité à servir le script tout en le bonifiant sans avoir l'air d'y toucher, sans effort apparent. Or c'est quand le lecteur ne s'aperçoit plus du labeur d'un artiste que ce dernier est le plus fort : il rend tout ce qu'il fait naturel, fluide.

Tout cela dégage une fraîcheur, un pep's irrésistibles, plus d'un demi-siècle après sa parution.   

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