mercredi 13 mai 2015

Critique 617 : FANTASTIC FOUR - L'INTEGRALE 1971, de Stan Lee, Archie Goodwin, John Buscema, John Romita Sr et Jack Kirby


FANTASTIC FOUR : L'INTEGRALE 1971 rassemble les épisodes 106 à 117 du premier volume de la série, écrits par Stan Lee (#106-115) et Archie Goodwin (#116-117, plus les dialogues des #115-117) et dessinés par John Buscema (avec John Romita Sr sur le #108), John Romita Sr (#106) et Jack Kirby (les pages 2 à 6 du #108), publiés en 1971 par Marvel Comics.
Ce recueil contient aussi l'épisode inédit La Menace des Néga-Men (Fantastic Four : The Lost Adventure 1), première version inachevée du #108, écrit par Stan Lee et dessiné par Jack Kirby, finalisé par Ron Frenz, publié en Avril 2008.
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L'album se compose de deux parties : 

- Fantastic Four #106-112 + Fantastic Four : The Lost Adventure 1 (Ecrits par Stan Lee, dessinés par John Romita Sr, John Buscema et Jack Kirby). Les 4 Fantastiques participent au dénouement du drame familial entre le savant Phillip Rambow et son fils Larry, transformé en une créature d'énergie pure, initialement prévue pour instaurer la paix sur Terre en détruisant les armements des grandes puissances avant que sa transformation ne dégénère.
Cependant, Red Richards/Mr Fantastic a tenté une nouvelle fois de rendre son aspect humain à Ben Grimm/la Chose, mais, là aussi, l'expérience aboutit à un résultat compliqué : l'ami du leader des FF peut effectivement choisir son apparence mais des séquelles psychologiques le rendent odieux et brutal. Il s'en prend alors à ses compagnons puis aux civils jusqu'à ce que sa route croise celle de Hulk qui manque de le tuer.
(Extrait de Fantastic Four #116.
Textes de Archie Goodwin, dessin de John Buscema.)

- Fantastic Four #113-117 (Ecrits par Stan Lee et Archie Goodwin, dessinés par John Buscema). Les dégâts causés par la Chose durant son épisode névrotique valent de nouveaux ennuis à l'équipe des Fantastiques : le propriétaire du Baxter Building veut les expulser, le maire les arrêter. Est-ce la pression qui fait alors craquer Red Richards quand il agresse sa femme Jane/la Femme Invisible, son beau-frère Johnny Storm/la Torche Humaine et Ben Grimm ?
En vérité, dans l'ombre, manoeuvre déjà le redoutable alien Mastermind, ancien champion des Eternels, une race de conquérants cosmiques déchus, désormais prêt à asservir la Terre. Contre cet adversaire Jane Richards, avertie par le Gardien Uatu et la nourrice de son fils Franklin, la sorcière Agatha Harkness, se résout à demander de l'aide auprès du Dr Fatalis.
la bataille n'a toutefois pas fait oublier à Johnny Storm son amour pour la belle Inhumaine Crystal, devenue la captive de l'alchimiste Diablo.

Il y a déjà quelque temps j'ai fait un peu de lobby auprès de la bibliothèque municipale pour qu'elle acquiert des comics américains et mes efforts ont abouti à quelques achats. Un volume de Intégrale de Iron Man, Watchmen, V pour Vendetta, quelques Marvel Deluxe d'Ultimates, Ultimate X-Men et Ultimate Spider-Man, ou ce recueil des Fantastic Four pour combler l'amateur de super-héros : c'est déjà ça, me direz-vous, mais tout ça est bien désordonné et maigre. J'ai peu d'illusions sur le fait qu'un de ces jours ces livres seront revendus lors d'un "désherbage" car ils ne sont pas souvent empruntés et les collections auxquelles ils appartiennent n'ont pas été suivies.

Pour ma part, je n'ai guère les moyens de me procurer ces Intégrales Panini Comics (même en occasion sur les sites en ligne où elles sont revendues à des prix exorbitants), souvent mal traduites et éditées (on est loin des rééditions de Urban Comics, avec un rédactionnel soigné, du beau papier, etc).

Faute de mieux donc, j'ai donc emprunté ces épisodes des Fantastic Four, un album couvrant toute l'année 1971, période charnière dans l'histoire de la série puisqu'elle vit le départ fracassant de Jack Kirby pour DC Comics : le "King" ne supportait plus de n'être crédité (et payé en conséquence) que comme simple dessinateur alors qu'il participait activement à la conception de plusieurs titres. 
Cela provoqua une sorte de schisme entre les lecteurs, dont une partie se mit à croire que Stan Lee abusait de ses collaborateurs et du public alors que Kirby (comme Steve Ditko) était le véritable auteur de ses séries.
Bien entendu, la vérité est certainement plus complexe et ambiguë à cause même de la fameuse "Marvel way", cette façon de réaliser les comics de l'éditeur où le scénariste fournissait une trame à son artiste qui procédait alors à un découpage avant que l'auteur revienne y ajouter des dialogues. Kirby, comme d'autres, hier comme aujourd'hui, a donc sans doute oeuvré souvent davantage comme un co-scénariste que comme un simple dessinateur (son influence sur les sagas cosmiques est indéniable par exemple). Mais cela ne signifie pas que Lee n'était pas un authentique storyteller, quand bien même son activité d'editor l'accapara de plus en plus au fil des années 60.

Aujourd'hui, la situation semble plus apaisée, après de longues années de procédures judiciaires, qui ont permis que le nom de Jack Kirby soit mentionné à égalité avec celui de Stan Lee sur bien des séries encore produites. Et cela permet aussi que des auteurs et artistes partagent le titre de storytellers sans souci (comme, par exemple Mark Waid et Chris Samnee sur Daredevil), sans parler de nombreux auteurs qui ont su protéger leur travail grâce aux efforts de leurs prédécesseurs et d'habiles négociations avec leurs éditeurs ou en produisant des creator-owned chez des indépendants (comme c'est le cas, notamment, chez Image Comics).

Pour en revenir au contenu de ce recueil, il faut bien admettre qu'il ne s'agit pas des meilleurs chapitres des Fantastic Four. L'album a deux parties assez distinctes, avec d'abord une suite d'épisodes où l'équipe règle une intrigue en cours peu intéressante (le cas de Larry Rambow) puis doit faire face à la personnalité altérée de Ben Grimm par une expérience de Red Richards, d'un meilleur niveau. Le climax de ce premier acte a lieu avec une titanesque baston entre la Chose et Hulk (le bien nommé #112 : Combat de monstres).

Ensuite, Stan Lee lance une nouvelle aventure qui court sur 4 épisodes, avec un méchant qui remplit bien son rôle en mettant vraiment en grande difficulté les héros - au point même de les vaincre ! En passant, on assiste à l'arrivée sur le titre de Archie Goodwin (1937-1998) : alors âgé de 34 ans, il a rejoint l'écurie Marvel en 1968 après une longue collaboration avec l'éditeur Warren. Il écrit alors Iron Man, créera le personnage de Luke Cage, co-inventera (avec Marie Severin) Spider-Woman et sera même editor-in-chief de Marvel de 1976 à 1978.   

Sa contribution à Fantastic Four sera brève puisque début 72, Stan Lee reprendra son poste. D'abord là pour écrire les dialogues, Goodwin imprime quand même sa marque en donnant une énergie, un souffle, épatants à ses épisodes (qualités qu'on retrouvera quand il s'occupera de la franchise Star Wars pour Marvel), et la saga avec Mastermind (et le début de celle avec Diablo et Crystal) sont d'une prodigieuse vigueur.

Cette vigueur, on la retrouve dans les dessins de John Buscema, qui prend donc la relève de Kirby (après un fill-in de John Romita Sr). L'artiste n'aimait guère, on le sait, les super-héros, auxquels il a pourtant donné quelques grandes heures (ses passages sur Avengers, Wolverine ou Hulk en témoignent), préférant les récits d'aventures (comme Conan, dont il demeure une des signatures emblématiques.

Avec Joe Sinnott à l'encrage, sa prestation sur Fantastic Four ne déçoit donc pas et aboutit à des pages somptueuses, d'un punch incroyable, particulièrement dans la partie mettant en scène Mastermind (dont les origines donnent lieu à quasiment tout un épisode, où Buscema retrouve un univers comme il les aime, peuplé de guerriers, de monstres, d'explosions, mais aussi de sensualité).

Bien entendu, il faut composer avec un ton très mélodramatique et un tempo très soutenu, que le découpage (souvent en gaufriers de six cases) souligne : il se passe toujours quelque chose, les sentiments sont exacerbés, la théâtralité est omniprésente. Quand Ben Grimm ne devient pas fou, c'est Johnny Storm qui pleure après son célibat ou Red Richards qui se comporte comme un ahurissant macho envers son épouse Jane (soumise au possible - ah, ça, c'est sûr que les comics de cette époque feraient hurler la plus timide des féministes !).

Mais ça marche quand même ! On est emporté par ce récit déchaîné, avec ses bagarres démesurés, son emphase aujourd'hui si dérisoire : c'est le secret du plaisir qu'on prend à (re)lire de telles histoires. On ne les apprécie pas tellement pour ce qu'elle raconte, mais pour la manière dont elles racontent, le tonus des scripts, la vitalité des dessins. Cet excès et cette naïveté ont une audace finalement bien plus grande que des sagas actuelles qui veulent impressionner le chaland en le noyant sous une continuité souvent réécrite ou trop souvent citée pour ne séduire que des experts, avec un graphisme inégal (encore faut-il trouver des artistes présents sur plus de six épisodes consécutifs...).

A tel point que le bonus du recueil avec cet épisode inédit et alternatif, jamais terminé par Kirby (mais finalisé par Ron Frenz), n'apparaît que comme un document pas si important (l'histoire n'est pas bonne, les dessins pas très inspirés). 

On finit donc la lecture de ce recueil retourné : après avoir été dubitatif au début, nous voici grisés par ce grand huit plein d'émotions grandiloquentes, d'actions spectaculaires, qui file à toute allure.  

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