mercredi 15 avril 2015

Critique 606 : ASTERIX, TOMES 23 & 24 - OBELIX ET COMPAGNIE & ASTERIX CHEZ LES BELGES, de René Goscinny et Albert Uderzo


ASTERIX : OBELIX ET COMPAGNIE est le 23ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Albert Uderzo, publié en 1976 par Dargaud.
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César est excédé et cherche une solution pour définitivement faire plier les irréductibles gaulois, pour cela il demande conseil à ses sénateurs. Mais c'est d'un jeune diplômé qu'il reçoit une idée.
Saugrenus est donc envoyé au camp de Babaorum et il convainc Obélix, qu'il rencontre dans la forêt, de lui livrer des menhirs contre rétribution, lui promettant d'en faire l'homme le plus important de son village grâce à ce contrat.
La réussite d'Obélix, qui emploie à tour de bras des assistants dans sa carrière et pour chasser des sangliers à sa place, aiguise les ambitions de ses voisins, qui se lancent à leur tour dans ce commerce, mais précipite aussi sa brouille avec Astérix et même son petit chien Idéfix.
Toutefois, le plan de Saugrenus montre vite ses limites : le stock de menhirs achetés à prix d'or ruine César et l'encombre, puis provoque une révolte des tailleurs de pierre romains.
Astérix, avec l'aide de Panoramix, va alors s'employer à raisonner tout le monde car Saugrenus refuse désormais tout nouvel achat...
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ASTERIX CHEZ LES BELGES est le 24ème tome de la série, écrit (pour la dernière fois) par René Goscinny et dessiné par Albert Uderzo, publié en 1979 par Dargaud.
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La relève de légionnaires arrive au camp de Laudanum, mais les nouveaux soldats désarçonnent Astérix et Obélix quand ils en rencontrent un dans la forêt : en effet, celui-ci est content d'être affecté dans la région après une campagne douloureuse en Belgique dont les guerriers ont été qualifiés de plus braves des résistants par César !
En apprenant cela, le sang du chef Abraracourcix ne fait qu'un tour et décide, contre l'avis du conseil du village, de partir vérifier si ces belges font de si bons adversaires. Astérix et Obélix le suivent et font ainsi la connaissance de Gueuselambix et ses troupes.
Pour départager les deux peuples, il est convenu de détruire un maximum de camps romains dans le plat pays afin que César révise ou non son jugement. Mais la compétition aboutit à un match nul. Néanmoins, les dégâts sont assez considérables pour le légat Volfgangamadéus prévienne César de la situation et que celui décide d'aller raisonner tous ces barbares, belges et celtes : des romain revanchards, voilà de quoi réconcilier les rivaux !

Ainsi donc, avec ces deux tomes, prenait fin l'ère Goscinny : le décès, aussi absurde (dans ces circonstances) que triste (pour la bande dessinée, et en particulier les séries qu'il écrivait), du scénariste allait porter un coup particulièrement rude à Astérix, peut-être son titre favori, en tout cas le plus populaire, et à son partenaire Uderzo, qui restera inconsolable et hésitera longtemps à entretenir la flamme.

Que reste-t-il du chant du cygne de Goscinny sur Astérix ?

A dire vrai, au risque de paraître sévère, pas grand-chose de bon. Pour un peu, on pourrait croire que l'auteur, même s'il avait vécu plus longtemps, avait fait le tour de la question ; on voit en tout cas mal ce qu'il aurait pu raconter de plus, et surtout de meilleur. Et le meilleur était déjà derrière lui avec Astérix.

Ni Obélix et compagnie ni Astérix et les belges n'ajoutent quoi que ce soit à la légende de la série ni au prestige de son scénariste : les deux histoires sont moyennes, pour ne pas dire médiocres. La magie n'opère plus, la mécanique tourne dans le vide, ne subsiste que des formules répétitives, un humour de moins en moins opérant. Déjà, à cette époque, on remarque à quel point le titre est devenu moins une BD qu'un concept, une machine à cash qui se contente du minimum pour exister, forte d'un lectorat plus que conséquent et acquis à sa cause au point d'acheter chaque nouvel album sans plus regarder ce qu'il propose. C'est assez triste en vérité.

Prenons Obélix et compagnie : l'argument est minimaliste mais prometteur. Un jeune ambitieux propose à César un plan délirant pour (encore) monter les irréductibles gaulois les uns contre les autres et, ce faisant, précipiter leur chute face à l'empire romain. On a déjà vu ça à de nombreuse s reprises dans la série et le burlesque assumé de la situation de départ suscite un sourire aimable, bienveillant : c'est tellement absurde que c'est rigolo.

Mais Goscinny n'en fait rien : cette idée n'est pas développée sinon pour finir par admettre qu'elle est effectivement bête, vouée à l'échec, et se résoudra dans une énième séance de bourre-pifs contre une garnison de romains, après le désaveu de César. Encore une fois, les jalousies créées dans le camp gaulois sont aussi vite expédiées qu'elles sont nées : qu'importe, à la fin, nos héros auront une nouvelle fois corrigé les légionnaires et se goinfreront au clair de lune, avec leur barde écrasé sous un menhir. D'une certaine manière, toute l'inertie qui a rongé la série est alors résumée : ce que provoquent ou subissent les irréductibles ne durent que le temps d'un album, les personnages n'évoluent pas d'un iota. 

Astérix ou le refus de grandir, d'évoluer : on comprend là l'une des raisons de son succès puisqu'en lisant un titre qui ne bouge jamais vraiment, qui revient toujours à sa base (à l'image des voyages de son héros), ses fans n'ont pas non plus l'impression de vieillir, d'être dérangé dans leur confort. La paresse de l'écriture de la série rejoint en quelque sorte la paresse de beaucoup de lecteurs de BD, catégorie tellement conservatrice (et ne croyez pas que je m'épargne en disant cela : le fait d'avoir relu ces albums m'a fait mesurer à quel point, par fainéantise, je préfère parfois revenir à des classiques que tenter des découvertes).

Pour Astérix chez les belges, la logique est encore plus poussée : ce stupide concours de dévastation de camps romains en Belgique est motivé par les plus bas instincts, les plus grotesques mobiles - l'orgueil d'Abraracourcix ne vaut pas mieux que la mauvaise foi de Gueuselambix. D'ailleurs Goscinny excuse tout à ces deux chefs bouffis de vanité et aussi gras du bide que niveau humour : où sont passés les gags sur les pays visités par Astérix et Obélix, le malicieux contraste entre les caractères gaulois et étrangers ? On n'en trouve plus trace dans ce tome-là, quelques allusions rapides et sans génie sur Jacques Brel, les pommes frites, les moules rappellent à peine que l'action se déroule ailleurs qu'en Gaule - un comble !

La série n'est plus que le fantôme de ce qu'elle a été au niveau narratif, son insolence, sa drôlerie se sont évaporées au même rythme que Goscinny a réduit ses histoires à de vagues trames tellement grossièrement tissées qu'on sait dès les premières pages où cela va et comment.

Le plus dramatique dans ces échecs, c'est que, parallèlement à ce naufrage scénaristique, la partie visuelle est de plus en plus agréable. Le modelé du trait de Uderzo a atteint une authentique perfection, la capacité de l'artiste à tout dessiner, sa maîtrise technique sont éblouissantes.

Mais ce talent ne servant plus que de pseudo-récits se gâche aussi terriblement : avec l'âge, on le sait, le grand Uderzo fera appel à un véritable petit studio pour l'assister, créditant discrètement ses collaborateurs (qui ne feront jamais plus que peaufiner les crayonnés du patron, sans apporter de plus value réelle - à des lieues de ce qu'accomplirent les adjoints occasionnels ou durables comme Will ou Jidéhem chez Franquin ou même Edgar P. Jacobs et Bob De Moor avec Hergé). Pourtant, dans Obélix et compagnie comme dans Astérix chez les belges, on déjà ce sentiment de lire des albums réalisés avec le renfort de petites mains, ou alors d'un dessinateur se contentant parfois du strict minimum (comme lorsqu'il représente les décors belges - ou plutôt l'absence de décors...).

L'avant-dernière planche du tome 24 prouve pourtant la virtuosité fulgurante de Uderzo quand il signe une splendide pleine page entièrement peinte, inspirée par Bruegel l'ancien, pour une scène de banquet entre belges et celtes réconciliés. Mais comme ce morceau de bravoure paraît bien isolé, esseulé...

On ne saura jamais si Goscinny, et dans une moindre mesure Uderzo, auraient rebondi positivement après deux opus aussi décevants. En avaient-ils seulement envie avec une machine aussi bien huilée, déjà enrichie par moults produits dérivés (en premier lieu des dessins animés, eux-même peu fôlichons, puis plus tard des films live très inégaux) ? 
Astérix n'était déjà plus une simple BD depuis longtemps : elle était (et est restée) quelque chose de pire - un phénomène (de société, d'édition) : ce genre de monstres de librairie qui endort tout (ses auteurs, son public). S'il ne faut jamais condamner une BD parce qu'elle est un succès, il faut au moins des créateurs solides et audacieux pour que ce succès ne transforme pas des idées en formules et tue un titre.

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