lundi 9 février 2015

Critique 569 : VACANCES SANS HISTOIRES, de Franquin, commenté par José-Louis Bocquet et Serge Honorez


VACANCES SANS HISTOIRES est un récit complet écrit et dessiné par André Franquin, publié en 1957 par Dupuis. Cette histoire courte (22 pages) est parue initialement dans le Journal de Spirou durant onze semaines, à partir du n° 1023, après Le Voyageur du Mésozoïque.
Cet album propose dans sa première partie la version restaurée de ce récit, dont les couleurs ont été refaites par Frédéric Jannin, d'après les indications laissées par Franquin, avec des planches reformatées conformément à la parution dans le Journal de Spirou. Dans sa seconde partie, l'ouvrage propose une introduction sur la genèse de l'histoire, puis en vis-à-vis les planches originales en noir et blanc et un commentaire sur leur réalisation et le contenu de l'histoire, plus, en fin de volume, des illustrations rares ou inédites.
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Après avoir menacé de ne plus écrire pour le Journal de Spirou parce qu'il était mécontent de son traitement de personnage par Franquin, Fantasio part en vacances avec son ami Spirou, l'écureuil Spip et le Marsupilami, dans le Sud de la France, au volant de leur Turbotraction.
Malheureusement pour eux, un roi du pétrole, le cheikh Ibn-Mah-Zoud, est déjà sur place : ce fou du volant confond sa propre Turbotraction avec celle des héros et va semer la panique sur la côte, au péril de sa vie et de tous ceux qui croisent sa route...

Vacances sans histoires est à l'origine une des histoires de complément de la série Spirou et Fantasio, écrite et dessinée par Franquin. C'est surtout la dernière qu'il réalisera entièrement seul. Il enchaînera avec un autre récit bref, La Foire aux Gangsters, où il sera pour la première fois assisté par Jidéhem aux décors. Puis, il se lancera dans Le Prisonnier du Bouddha, co-écrit avec Greg, nouvelle histoire longue depuis Le Voyageur du Mésozoïque.
 La première page de Vacances sans histoires,
recolorisée par Frédéric Jannin, d'après les indications de Franquin,
et remontée telle qu'à sa publication originelle dans le Journal de Spirou.
La même première page, en noir et blanc, 
reproduite d'après l'originale de Franquin.

Voilà un ouvrage dont le prix découragera nombre d'admirateurs de Franquin en particulier et de fans de Spirou et Fantasio en général - 24 Euros quand même. Mais c'est aussi un document qui s'adresse spécialement à des collectionneurs aisés - comme ce n'est pas mon cas, je remercie la bibliothèque municipale de se l'être procuré.

Depuis quelque temps, les éditions Dupuis ont lancé cette collection dîte "Version Originale", qui permet donc aux chanceux et curieux de relire des histoires de l'âge d'or de l'école de Marcinelle dans des albums restaurés et augmentés de commentaires  rédigés par des experts.

Dans le cas présent, il s'agit de se replonger dans un récit qui, sans être un grand classique, marqua les esprits des "Spiroutistes", et ce, pour de multiples raisons. 

D'abord, il s'agit de la dernière histoire que Franquin écrivit et dessina entièrement seul, sans l'aide d'un co-scénariste ou d'un ou plusieurs assistants pour la partie graphique. Il est bon de noter que Vacances sans histoires a été attaché, en album, au tome 11 de la série, Le Gorille a bonne mine, alors qu'elle a été produite à la suite du tome 13, Le Voyageur du Mésozoïque : une curieuse chronologie.

En 1957, Franquin est un auteur "surbooké" puisqu'en plus d'animer Spirou et Fantasio, il livre pour le Journal de Spirou des couvertures hebdomadaires, où il doit trouver un gag mettant en valeur un des titres publiés à l'intérieur (pour le n° 1023, dans lequel démarre Vacances sans histoires, il représente ainsi Fantasio en troubadour annonçant le dénouement du Sire de Montrésor, une aventure de Johan et Pirlouit). Il s'occupe aussi de la rubrique sur l'automobile, Starter ; on commence à croiser de plus en plus souvent Gaston dans les pages de la revue ; sans compter d'autres illustrations occasionnelles.
Franquin ne savait pas dire "non" à Charles Dupuis qui exploitait son artiste vedette sans le ménager. A cette même époque d'ailleurs, une brouille concernant les émoluments de l'auteur entraînera ce dernier à claquer la porte et proposer ses services chez le concurrent, le Journal de Tintin, publié par les éditions Le Lombard : cela aboutira à la création de Modeste et Pompon en une page hebdomadaire (pour laquelle Greg et Goscinny, mais aussi Peyo et Tibet, lui fourniront des gags). Le froid entre Dupuis et Franquin sera de courte durée mais le dessinateur respectera son double engagement jusqu'en 1959, accumulant ainsi une charge de travail déjà considérable.

Dans ce contexte, lire un récit intitulé Vacances sans histoires de la part d'un Franquin aussi débordé ne manque pas d'ironie.

Ensuite, l'intérêt d'un tel ouvrage, c'est donc de découvrir les coulisses de la réalisation dudit récit. Dupuis, avec la collaboration active et attentive d'Isabelle Franquin, la fille du génie, n'a pas fait les choses à moitié. 

Les couleurs ont été reprises par Frédéric Jannin, l'auteur de la série Germain et nous, qui fut un des disciples de Franquin et réalisa, d'après ses scénarios, Arnest Ringard et Augraphie. L'exécution est splendide, on redécouvre réellement chaque page, telle que les avait voulues Franquin puisque Jannin s'est basé sur les indications laissées par son maître. Les teintes sont éclatantes et bénéficient des techniques de reproduction dernier cri, qui assurent un rendu évidemment bien supérieur à l'impression de l'époque et les "fantaisies" (comme les appelait Franquin) des coloristes d'alors.

L'intrigue de Vacances sans histoires en elle-même n'a rien de renversant, mais elle fut l'opportunité pour Franquin de démontrer son génie pour représenter le mouvement (un exercice dans lequel il est resté sans doute le maître absolu), et en particulier via les voitures dont il était un passionné (au moins à cette époque, puisque ensuite, à la fin des années 70-début des années 80, il jugeait l'industrie automobile avec plus de sévérité, à la lumière de ses convictions écologistes).

Le prétexte de ce récit était de procurer à Spirou et Fantasio un nouveau véhicule, Franquin estimant que la première Turbotraction (la Turbo-Rhino, apparue à la fin du tome 6, La Corne du Rhinocéros) s'était démodée. En collaboration avec le journal Risque-Tout, édité par Georges Troisfontaines, dont le siège était situé dans le même immeuble que celui des éditions Dupuis dans le centre de Bruxelles, l'artiste sollicita ses lecteurs à lui envoyer les plans pour une nouvelle voiture inspirée par les "dream cars" à l'américaine.
Un nombre phénoménal de réponses parvint au magazine et Franquin dut, avec l'aide de Géo Salmon, opérer une synthèse de tous les modèles proposés pour designer la Turbotraction II.  

Ce que ne mentionne jamais les commentaires de ce livre, c'est qu'en définitive, Franquin n'aima jamais le résultat, le jugeant trop prétentieux, et d'ailleurs Spirou et Fantasio ne roulèrent pratiquement jamais avec leur nouvel engin !

Cette omission, dans un ouvrage qui a pour ambition de détailler toute la conception, de compiler toutes les anecdotes, de Vacances sans histoires montre les limites d'un tel projet.

Il n'est pas question de discuter l'admiration (sincère) et l'érudition (authentique) de José-Louis Bocquet et Serge Honorez. Mais ne vous attendez pas non plus à des révélations spectaculaires si vous êtes déjà un tant soit peu documenté sur Franquin et son run sur Spirou et Fantasio - par exemple, si vous avez lu Et Franquin créa Lagaffe, entretiens avec Numa Sadoul, votre éducation est déjà suffisante.

Ce qui est vain, c'est l'exercice en soi de vouloir commenter chacune des 22 pages de cette histoire. On a souvent le sentiment de lire des propos convenus, rédigés pour meubler, avec l'objectif de tout contextualiser, sans que cela aboutisse à un enseignement bien captivant.

En lieu et place de ce cours autour de cette BD, n'aurait-il pas été plus intéressant de consacrer davantage de place à l'écriture même de Franquin, qui improvisait énormément tout en accomplissant le miracle de produire des aventures très solides ? 

Et quid du dessin, de la technique, des outils employés ? 
On a bien droit à quelques photos issues de la documentation personnelle de Franquin et des précisions sur l'influence tirée de ses séjours dans le Sud de la France, où vivait son mentor Jijé, en relation avec le cadre du récit. Mais rien sur la composition des plans, quasiment pas plus sur l'art du montage des vignettes - tout juste nous indique-t-on (et encore avant les commentaires page par page) que le découpage imposé par le Journal de Spirou réclamait de Franquin des pages alternativement de trois et quatre bandes (ces dernières étant en fait deux demi-planches). 
Rien non plus sur les crayons, les plumes, les pinceaux, l'encre utilisés par Franquin : c'est très frustrant quand on a sous les yeux les reproductions des planches originales en noir et blanc, où on peut examiner avec fascination l'élégance du trait, l'intelligence des enchaînements, le placement des personnages/véhicules, le soin apporté aux décors. Combien de temps cela demandait à Franquin pour produire de telles images ? Quelles étaient ses manoeuvres pour obtenir tel effet ? Tout cet aspect est absent de l'analyse, ou à peine effleuré ! 

On peut se consoler, un peu, avec les croquis à la fin de l'album qui montrent les étapes du design de la nouvelle Turbotraction, mais ces documents sont réduits au strict minimum. 

Il faut aussi souligner de nombreuses erreurs de typographie qui font tâche dans un ouvrage prétendant à l'exigence d'une étude définitive.

Si pouvoir lire les planches originales en fac-similés et disposer d'une restauration chromatique présentent des atouts indéniables et jubilatoires, cet album laisse quand même sur sa faim le lecteur auquel on a promis un livre exhaustif pour un prix aussi élevé. Tout fan ne peut que tendre les bras devant un ouvrage aussi attrayant, mais on en sort frustré par l'exercice un peu artificiel et une analyse loin d'être aussi définitive qu'attendu.

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