EN ATTENDANT QUE LE VENT TOURNE est un récit complet écrit et dessiné par Blaise Guinin, mis en couleurs par Robin Guinin, publié en 2011 par Casterman.
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C'est l'été, le temps des vacances pour les enfants. Trois gamins, Pierrot (le narrateur, un blondinet timide mais futé), Florentin (un rouquin à lunettes entreprenant) et Xavier (la casquette toujours sur son crâne nu et au tempérament vindicatif), décident de construire une cabane dans un arbre.
Lorsque Xavier doit s'absenter pour passer une semaine chez son père, divorcé de sa mère, Florentin et Pierrot commencent leur ouvrage sans lui.
Quand Xavier découvre que ses copains ne l'ont pas attendu et que la cabane est achevée, il la détruit par dépit. Pierrot et Florentin se demandent qui a pu commettre ce méfait lorsque les jumeaux Brossard et la petite Lucie débarquent sur les lieux pour récupérer les planches pour bâtir une cabane de leur côté.
Il est paraît clair que ces derniers sont responsables et les trois amis entreprennent de se venger. Ils s'en prennent d'abord à Lucie en la surprenant quand elle est seule. Mais même quand la vérité éclate sur l'identité du coupable, la situation continue à dégénérer... Jusqu'à la tragédie ?
Le comble pour une histoire bâtie autour d'un mensonge est que ses auteurs semblent mentir eux-mêmes au lecteur en lui promettant dès la première page que le dénouement sera dramatique. En attendant que le vent tourne, même s'il n'est pas par ailleurs dénué de qualités, est un récit qui illustre parfaitement cela : promettre beaucoup (trop) sans tout tenir.
Cet album de 132 pages aborde son sujet avec adresse : Blaise Guinin qui a écrit et dessiné cette histoire, aidé par son frère Robin aux couleurs, met en place avec efficacité son intrigue et ses protagonistes. On lui sait gré de mettre en scène des enfants en évitant toute mièvrerie, au contraire il montre parfaitement à quel point ces gamins font preuve de volonté pour le meilleur - construire une cabane - et le pire - s'obstiner à se venger en voulant la mort de leurs ennemis.
La situation est exposée de telle manière que le lecteur en sait plus que les personnages. Nous savons donc que les coupables ne sont pas ceux désignés par les circonstances et par le véritable responsable lui-même. A mesure que les choses s'aggravent, nous en mesurons le caractère à la fois dérisoire et dramatique. La cruauté, la bêtise des deux camps adverses (avec d'un côté l'entêtement du groupe des trois garçons à en découdre sans lésiner sur les moyens, et de l'autre l'attitude frustre et provocatrice des jumeaux), mais aussi la figure de l'innocence prise entre ces deux feux (incarnée par Lucie), la naissance de l'amour et la difficulté à en faire l'aveu, le pardon sans poids face à l'esprit de vengeance, tous ces éléments forment un ensemble de scènes, une palette d'émotions, très forte, très prenante.
Seulement voilà, quand on arrive au terme de ce récit, on a la désagréable sensation que Blaise Guinin s'est joué de nous. En soi, rien de bien grave : bien des histoires s'appuient sur la mystification, mais l'intérêt de ce type de procédé narratif réside dans le fait qu'on l'ignore jusqu'à la fin. Or, ici, on nous promet un drame... Devant, à l'évidence, l'auteur a reculé, peut-être pour ne pas produire une bande dessinée dont la résolution aurait été trop terrible. C'est plus embêtant car cela s'appuie sur un suspense dans les dernières pages qui met mal à l'aise et aboutit à un dénouement semblable à un texte qu'on aurait corrigé pour ne froisser la sensibilité de personne.
C'est dommage car ce qui aurait pu être une BD dérangeante et poignante ne parvient qu'à être une production plus mineure, comme si son auteur avait eu peur de sa propre ambition. Frustrant.
NB : En vérité, des interférences éditoriales ont pesé sur l'écriture de l'histoire - précision utile et nécessaire à apporter a posteriori, et qui m'a été communiquée par Robin Guinin (voir le commentaire qu'il a laissé à la suite de cette critique).
NB : En vérité, des interférences éditoriales ont pesé sur l'écriture de l'histoire - précision utile et nécessaire à apporter a posteriori, et qui m'a été communiquée par Robin Guinin (voir le commentaire qu'il a laissé à la suite de cette critique).
Visuellement, le dessin de Blaise Guinin séduit par sa simplicité mais aussi par ses qualités évocatrices. L'action n'est pas précisément située, ce village, sa montagne, sa forêt, deviennent du coup des décors universels (même si les prénoms et noms des personnages indiquent qu'on est quand même en France).
L'économie de traits n'empêche pas les acteurs de l'histoire d'être expressifs, avec des visages et des attitudes très justes. Et le découpage, lui aussi minimaliste, avec une moyenne de trois cases par planche, est bien pensé, avec de belles compositions, de valeurs de plans variées.
Que Robin Guinin soit crédité en couverture n'est pas usurpé car la qualité de sa colorisation est déterminante dans l'album : il utilise une palette nuancée, à la fois très lumineuse, délicate, et qui précise bien l'écoulement du temps, les ambiances, dans un cadre bucolique magnifiquement valorisé ainsi. Sans lui, il est indiscutable que cette bande dessinée n'aurait pas cette attractivité.
On peut donc déplorer que l'éditeur n'ait pas laissé son auteur raconter l'histoire telle qu'il l'avait prévue (en menaçant de façon consternante de ne pas la publier !). A cause de cet interventionnisme, ce récit complet demeure un ouvrage habile mais qui aurait pu (du) aller plus loin encore. On le finit un peu insatisfait malgré d'indéniables atouts : un étrange sentiment en vérité.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe suis Robin, le coloriste de l'album.
Je tiens tout d'abord à vous remercier pour ce bel article détaillé et nuancé.
Et je vais vous faire une petite révélation, ayant été aux premières loges pour toutes les étapes de l'écriture du scénario de mon frère :
Sous sa forme initiale, le dénouement de l'album avait été imaginé -nettement plus- tragique. Et ce n'est pas l'auteur qui a reculé, manquant d'audace ou de suite dans les idées, mais l'éditeur, qui a incité Blaise à changer la fin pour quelque chose de plus léger qui collerait mieux avec l'étiquette "tout public". C'était ça... ou ne pas être édité (ou être édité par une maison moins prestigieuse et moins bien diffusée que Casterman).
Bienvenue dans le monde -tragique et impitoyable- de l'édition !
Merci pour avoir lu ma modeste critique. Et pour m'avoir dévoilé les coulisses de votre album : c'est très instructif.
RépondreSupprimerIl est vrai qu'en simple lecteur, l'histoire et son développement m'avaient intrigué. A la lumière de vos explications, cela prend un sens nouveau qui nuance mon avis - je saurai rectifier mon texte en conséquence afin que tous ceux qui auront envie de lire votre BD soit au courant de la pression éditoriale subie par votre frère. La manoeuvre de Casterman est en vérité assez consternante.
Malgré mes réserves, je continuerai à surveiller votre travail car il m'a quand même procuré une lecture agréable avec un album par ailleurs fort bien réalisé.