vendredi 2 janvier 2015

Critique 549 : DAREDEVIL, VOLUME 1 - DEVIL AT BAY, de Mark Waid, Chris Samnee et Peter Krause


DAREDEVIL : DEVIL AT BAY est le premier volume de la nouvelle série régulière écrite par Mark Waid. Il rassemble les épisodes 1 à 5, dessinés par Chris Samnee, et 0.1, dessiné par Peter Krause (ce dernier ayant été publié initialement sous forme digitale entre Daredevil #36, du précédent volume, et Daredevil #1, du présent volume), et publiés en 2014 par Marvel Comics.
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 (Extraits de DAREDEVIL #1.
Textes de Mark Waid, dessins de Chris Samnee.)

- DEVIL AT BAY (# 1-5. Dessiné par Chris Samnee.) Après avoir révélé publiquement sa double identité et été radié du barreau de New York, Matt Murdock alias Daredevil part s'installer avec sa compagne Kirsten McDuffie à San Francisco  (où il avait vécu quelques aventures autrefois).
En sauvant la fille de la députée-maire de la ville, Charlotte Hastert, l'avocat-justicier peut rouvrir un cabinet juridique associé à Kirsten McDuffie. Il lui reste maintenant à gagner le soutien de la police et il accepte alors d'affronter the Shroud (le Suaire), un autre héros masqué, aux méthodes expéditives, qui veut détrôner le caïd local, une vieille connaissance de Daredevil : le Hibou.
(Extraits de DAREDEVIL #4.)

Les deux hommes scellent une alliance mais entre l'attitude musclée du Shroud et les plans du Hibou (qui veut s'emparer d'une source d'information dernier cri), DD se trouve avec deux cas difficiles à gérer...
Par ailleurs, qu'est-il advenu de Foggy Nelson, atteint d'un cancer avant l'exil de Matt Murdock, et que tout le monde pense mort depuis ?

- ROAD WARRIOR (# 0.1. Dessiné par Peter Krause.) Alors qu'il part en avion pour San Francisco avec Kirsten McDuffie, Matt Murdock se lance à la poursuite d'un passager suspect, lors d'une escale effectuée à cause de conditions de vol délicates. L'individu est poursuivi par d'étranges motards et doué de pouvoirs métamorphes. Daredevil va découvrir que le Penseur Fou est impliqué dans cette histoire...

Le dénouement (la révélation par Matt Murdock lui-même qu'il était bien Daredevil et sa déchéance comme avocat, associé à sa réconciliation avec Kirsten McDuffie et l'état de santé précaire de Foggy Nelson) du précédent volume, qui a compté 36 épisodes, ne laissait guère de doute sur l'avenir de la série Daredevil et Marvel a donc décidé de la relancer à partir d'un nouveau n° 1. Ce qui est plus surprenant, c'est que d'habitude ce genre d'opération s'accompagne d'un changement d'équipe créative.

Mais, pour le plus grand bonheur des fans des épisodes précédents, Mark Waid et Chris Samnee sont toujours aux commandes du titre (même si l'annonce de leur départ vient d'être officialisé pour le printemps 2015, avec un ultime arc qui débutera au #13).

Le déménagement de son héros et l'effet commercial associé à une renumérotation justifiaient, selon son scénariste, ce relaunch : les arguments sont un peu artificiels, mais si la série a pu gagner quelques nouveaux lecteurs au passage, soit. De toute façon, l'intérêt est ailleurs.

Curieusement, autant le dire tout de suite et franchement, l'intrigue de ce premier arc sur la Côte Ouest n'a rien d'extraordinaire : déjà la fin des aventures new-yorkaises de DD marquait une baisse de régime après le vrai climax qui avait vu le héros retrouver son pire ennemi, Bullseye. Le récit suivant avec les Fils du Serpent, la Légion des Monstres, manquait de nerf et seul le coup de théâtre final (le fameux "outing" de Matt Murdock) avait permis à Mark Waid d'en sortir par le haut.
Ici, Daredevil affronte le Suaire, un second couteau aux origines très inspirées de celles de Batman, et recroise le Hibou, mais l'enjeu de leurs batailles peine à enthousiasmer (même si le sort du Hibou peut préparer à un futur développement).

En revanche, le savoir-faire de Waid reste éclatant car il réussit à mener ce récit un peu décevant sur un rythme soutenu, qui le rend très agréable à lire, alternant scènes d'action punchy et caractérisations malines (la relation Matt-Kirsten a désormais une vraie saveur, et la présence de Charlotte Hastert permet de pimenter agréablement la nouvelle situation du héros).
L'autre attraction de ces épisodes, c'est justement la délocalisation de Daredevil : certes, comme nous le rappelle Waid, il a déjà opéré à San Francisco, mais il lui faut se réhabituer à cet environnement. Le scénariste se montre astucieux pour exploiter cette désorientation d'un héros pour qui le rapport à l'espace est une composante à part entière.
En outre, si DD quitte une position troublée à New York, il n'arrive pas en terrain conquis à "Frisco" où sa présence n'est guère appréciée par la police, l'oppose immédiatement au Suaire, et le remet face au Hibou. Concernant ce dernier, Waid n'hésite pas à s'en servir comme d'un méchant "gérable" par Daredevil, ce qui, du coup, renvoie de Murdock l'image d'un homme à la limite de la suffisance envers certains de ses adversaires (et je suis prêt à parier que Waid va utiliser cet aspect de sa personnalité pour revenir sur le déni dont semble faire preuve le personnage sur sa condition mentale, après toutes les épreuves qu'il a traversées). C'est en tout cas bien vu et très dynamisant.

L'arc est bref (4 épisodes) et le 5ème chapitre revient sur ce qui s'est passé avec Foggy Nelson depuis les événements de New York : on avait laissé le partenaire de Murdock en train de lutter contre le cancer (l'occasion, très inspirée, de rappeler que les super-héros, s'ils peuvent vaincre des super-vilains, ne terrassent pas les maladies aussi facilement). Waid suggère d'abord que le personnage est mort, puis dévoile sa ruse et l'explicite dans cet épisode.
La mise en scène de la disparition de Nelson est à la fois ingénieuse et spectaculaire, avec l'intervention d'Ant-Man (Hank Pym, déjà présent dans plusieurs épisodes du précédent volume) et d'une nouvelle version du méchant Leap-Frog. Néanmoins, Waid ne nous rend pas Foggy en bien meilleure santé et, là aussi, on peut raisonnablement penser qu'il s'en servira comme d'un ressort dramatique jusqu'à la fin de son run (mais il l'écrit avec assez de mesure pour éviter tout effet racoleur).

Enfin, le recueil se termine par une curiosité puisqu'il s'agit d'un épisode de 44 pages, illustré par Peter Krause (dessinateur associé à la série Irredeemable de Waid, parue chez Boom !). Il s'agit de la version papier d'un récit initialement conçue et diffusée pour les supports digitaux comme les tablettes.
L'histoire se situe entre la fin du volume précédent et le début de celui-ci, proposant une aventure qu'a eu DD durant le trajet New York-San Francisco. Et ce n'est pas bien fameux : l'intrigue est tout à fait dispensable avec un argument et un méchant (le Penseur Fou) décevants. 
De plus (surtout !), on peut constater à quel point le reformatage d'un webcomic pour la version papier aboutit à une narration bâtarde, au rythme poussif, avec un découpage calamiteux. La prestation de Krause n'est d'ailleurs pas à la hauteur : c'est un dessinateur de bon niveau, mais là, son travail est indigent, avec des finitions bâclées, un encrage très faible.

Mais cela ne saurait diminuer l'excellente prestation graphique de Chris Samnee sur ses épisodes. L'artiste se sera vraiment affirmé en héritant des dessins de Daredevil, y gagnant autant en assurance qu'en popularité.
Ses découpages ont acquis une énergie irrésistible, avec des compositions parfois sophistiquées mais d'une grande beauté et toujours lisibles (comme en témoignent les extraits que j'ai associés à ma critique). On sent un garçon en pleine confiance, appréciant visiblement ses personnages et cherchant sans cesse à bonifier le contenu du script (au point d'ailleurs qu'il est dorénavant crédité comme "storyteller" à part égale avec Mark Waid dans les singles issues).
On pourra chipoter en lui reprochant parfois de ne plus représenter autant les décors qu'auparavant, mais le soin qu'il met à installer les ambiances, à rendre les protagonistes expressifs, à les animer dans des pages pleines de swing balaient cette réserve. Le rendu est d'une efficacité imparable.

Ce nouveau départ ne comble pas totalement mais ces nouveaux épisodes produisent une authentique jubilation, qui donne envie de connaître la suite. La combinaison d'un conteur aguerri comme Waid, la jeunesse inspirée de Samnee et le potentiel du nouveau statu quo du héros est plus que prometteuse : suivez donc, vous aussi, l'homme sans peur à San Francisco, le voyage en vaut la peine. 

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