mardi 2 septembre 2014

Critique 502 : JOHAN ET PIRLOUIT, TOME 9 - LA FLÛTE A SIX SCHTROUMPFS, de Peyo


JOHAN ET PIRLOUIT : LA FLÛTE A SIX SCHTROUMPFS est le 9ème tome (et la 16ème histoire) de la série, écrit et dessiné par Peyo, publié en 1960 par Dupuis.
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Pirlouit met les nerfs de toute la cour à rude épreuve en jouant sans cesse de la musique et en chantant, mais le bon Roi et Johan restent cléments en le laissant faire, espérant sans doute qu'il finira par se rendre compte soit de son absence de talent, soit du calvaire qu'il fait subir à son auditoire.
La situation manque pourtant de peu d'empirer quand un marchand d'instruments de musique passe par là, averti que Pirlouit serait intéressé par ce qu'il vend. Le Roi et Johan réussissent in extremis à le faire partir avant que le lutin ne le rencontre. Mais dans la précipitation, le marchand oublie dans la cour du château une flûte, que récupère le Roi. Celui-ci décide de s'en débarrasser en la jetant dans le feu de sa cheminée.
Mais la flûte ne brûle pas et Pirlouit la trouve. Il ne tarde pas à découvrir que l'instrument est enchanté car dès qu'il souffle dedans, son auditeur ne peut s'empêcher de danser, jusqu'à l'épuisement ! 
La perte de la flûte magique par le marchand parvient jusqu'aux oreilles de Mathieu Torchesac, un malhonnête qui veut la voler pour escroquer les baillis, usuriers et orfèvres. Avec ce magot, il compte s'allier au seigneur de la Mortaille pour soulever une armée et s'emparer du trône.
Pour Johan et Pirlouit, retrouver ce fâcheux va s'avérer difficile et, une fois, fait périlleux car comment résister au pouvoir de la flûte à six trous ? Pour leur ami, l'enchanteur Homnibus, un seul recours possible : les Schtroumpfs, des créatures magiques, vivant cachés dans le Pays Maudit, qui confectionnent justement des instruments magiques et pistent aussi justement Torchesac...

C'est en 1957 que Peyo commence dans Le Journal de Spirou la parution de la nouvelle aventure de Johan et Pirlouit, initialement intitulée La Flûte à six trous. Personne, à commencer par l'auteur, ne sait encore que ce projet va changer le cours de la série, en en signant le début de la fin, et la carrière de son créateur, promise à une popularité hors normes.

Pour cette histoire, Peyo a obtenu de Dupuis de dépasser le format standard, de 44 à 60 planches. Mais le véritable évènement, c'est l'apparition à la planche 37 des petits Schtroumpfs (après leur entrée en scène 19 planches plus tôt). Pour expliquer comment la flûte à six trous possède la capacité magique de faire danser quiconque en écoute le son, l'auteur imagine, plutôt qu'un(e) sorcier(e) ces petits être à la peau bleu, qui fabriquent ce genre d'instruments, dans le Pays Maudit où ils habitent tout en se mêlant aux hommes sans que ceux-ci le sachent (seuls de rares initiés, comme l'enchanteur Homnibus, connaissent leur existence et le moyen de les rencontrer).

Pour peu qu'on soit informé sur l'oeuvre de Peyo ou celle de Franquin, l'explication de l'origine du drôle de nom de ces créatures est une anecdote bien connue : Peyo dinait avec le couple Franquin et en demandant la salière, l'appela la "schtroumpf". Franquin lui la tendit en répondant "tiens, voilà ton schtroumpf !". La soirée continua ainsi en langage schtroumpf.
Leur couleur fut trouvée par Nine, la femme et collaboratrice de Peyo, après plusieurs essais (le vert ayant été écarté car se fondant trop dans les décors forestiers souvent utilisés pour la série, le rouge fut jugé trop voyant, et le rose trop proche de la peau humaine).

Pourtant, les Schtroumpfs faillirent ne jamais exister, ou du moins par au-delà de cette histoire, car ils déplaisaient à Charles Dupuis, qui craignait en outre que la censure française n'approuve pas leur langage crypté. Pour le rassurer, il semble que Peyo lui ait promis qu'il ne s'agissait que d'une création fantaisiste éphémère, et d'ailleurs cet épisode ne les fait intervenir que de manière providentielle
Mais l'auteur les réutilisera pourtant dès le tome suivant (La Guerre des 7 fontaines), et le reste, comme on dit, appartient à l'Histoire... Peyo, du reste, qui se montrera ensuite très critique vis-à-vis de son run sur Johan et Pirlouit, ne restera satisfait que de ce récit.
Mais il est évident que le succès des Schtroumpfs auprès des lecteurs et le plaisir qu'avait Peyo à imaginer leurs aventures et à les dessiner ont en quelque sorte tué Johan et Pirlouit. Lorsqu'ils apparaissent, l'auteur anime en plus Poussy, au rythme d'un gag par semaine pour le journal Le Soir, et créera en 1960 Benoît Brisefer. Déjà connu pour ne pas toujours tenir ses délais, Peyo se retrouve avec quatre titres à animer et sacrifiera Johan et Pirlouit, déléguera une partie de la réalisation de Benoït Brisefer, abandonnera Poussy, et finira par ne plus se consacrer qu'aux Schtroumpfs (qui gagnent leur propre série à partir de 1959, et seront ensuite déclinés sur plusieurs supports, lui apportant la reconnaissance et la fortune).

En tant que telle, l'histoire de La Flûte à Six Schtroumpfs demeure cependant très efficace et l'augmentation de la pagination n'altère pas la qualité de l'intrigue que Peyo développe avec une impeccable maîtrise. Les petits bonhommes bleus sont certes utilisés selon le procédé du deus ex machina classique, une entité permettant de rétablir une situation compromise de manière providentielle, mais dans la mesure où ils sont en fait aussi à l'origine des problèmes rencontrés par les héros, l'équilibre est habile.
Le méchant Torchesac est un excellent adversaire dont les ruses pour posséder l'instrument magique puis l'employer de façon malhonnête jusqu'à proposer un plan d'envergure à son allié Mortaille (qui espère, comme lui, en être le seul bénéficiaire à la fin) donnent au récit un belle ampleur, qui va crescendo et rend les efforts de Johan et Pirlouit incertains.
La présence des Schtroumpfs reste modéré, tout en fournissant des dialogues à la fois surréalistes et amusants, ce n'est pas encore une facilité d'auteur comme ça le deviendra ensuite et c'est pour cela qu'ils étaient des personnages secondaires plaisants (alors que dans leur propre série, ils deviendront juste des créatures horripilantes dans des scénarios bêtifiants).

Le dessin de Peyo est un régal sans cesse renouvelé, que je redécouvre à présent. La densité de son découpage (avec des planches d'une douzaine de cases en moyenne) confère à son histoire une richesse supplémentaire, qui rassasie le lecteur mais sans jamais le noyer car à cela s'ajoute le génie de l'artiste pour la composition des plans.
Peyo est un dessinateur subtil qui sait doser ses effets, il faut savoir savourer ses images pour en apprécier la finesse : une scène comme celle où l'enchanteur Homnibus hypnotise Johan et Pirlouit est à cet égard exemplaire. En trois cases à la fin de la planche 35, on assiste en plan fixe à l'endormissement des deux héros, puis page suivante, à la première bande, les trois mêmes cases nous montrent leur réveil avant qu'un plan général occupant une grande vignette de la hauteur de deux bandes révèle le décor du Pays Maudit où ils ont été magiquement transportés. L'air de rien, nous avons été dépaysés rapidement et très efficacement au moyen de cadrages élémentaires mais qui nous cueille aussi sûrement que Johan et Pirlouit.

Un drôle d'album donc, qui a marqué les esprits, scellé le destin de la série, mais dispense toujours un divertissement haut de gamme. Dommage vraiment que Peyo ait préféré lâcher son écuyer et son lutin pour ne plus s'occuper que de ses miniatures bleues...   

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