lundi 1 septembre 2014

Critique 501 : JOHAN ET PIRLOUIT, TOME 8 - LE SIRE DE MONTRESOR, de Peyo


JOHAN ET PIRLOUIT : LE SIRE DE MONTRESOR est le 8ème tome (et la 14ème histoire) de la série, écrit et dessiné par Peyo, publié en 1960 par Dupuis.
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Pirlouit reçoit en cadeau du baron de Brusy un faucon mais le rapace a un caractère excentrique puisqu'il est végétarien ! Johan en rigole mais son ami est déterminé à dresser l'oiseau pour la chasse. C'est ainsi qu'ils vont près d'une forêt mais le faucon échappe à la vigilance de Pirlouit. Peu après, un homme apparaît, en haillons, et s'enfuit en voyant Johan qui, alors, entend les appels au secours de son ami.
L'écuyer pousse ses recherches et atteint une chaumière dévastée par une bagarre : l'aubergiste lui explique alors que des soldats et des manants se sont battus, et ces derniers sont repartis avec un un petit prisonnier que Johan identifie comme étant Pirlouit.
Apprenant que son compagnon a été emmené au château du seigneur de Courtecorne, Johan s'y rend mais il est jeté dans un cachot. Pourtant, surprise : le lendemain matin, il est libéré et conduit auprès de messire de Montrésor, véritable maître des lieux. 
En vérité, la population a pris Pirlouit pour le seigneur et celui-ci profite de la situation. Mais sa volonté d'arrêter d'assommer les manants à coups d'impôts dérange les notables qui décident de réinstaller Courtecorne sur le trône.
Mais qu'est-il arrivé au vrai sire de Montrésor ? Une triste affaire : devenu seigneur à l'âge de 4 ans, il a été placé sous la tutelle de Courtecorne qui le retint prisonnier quand on tenta de le déposséder. Jusqu'à ce que Montrésor s'évade il y a quelques jours... 

Fort de la réussite et du succès du tome précédent (La flèche noire, critique 490), Peyo n'a pas perdu de temps pour enchaîner. Il livre en 1957 au Journal de Spirou une courte histoire de deux planches, Les mille écus, paru dans le n° 1000 de l'hebdomadaire, puis à partir du n° 1004 commence un nouveau récit en plusieurs épisodes, Le Sire de Montrésor. L'histoire sera publiée en album en 1960.

Pierre Culliford veut prouver qu'il peut développer des intrigues plus complexes et il est conscient que le potentiel du personnage de Pirlouit est un des moyens pour y parvenir : ce mix entre sa confiance de narrateur et la fantaisie de son lutin vont lui permettre de concrétiser ses ambitions.

L'intrigue repose sur une imposture, un procédé efficace, pleinement exploité ici, et qui évoque de grands classiques des films de cape et d'épée (on pense au Prisonnier de Zenda, réalisé par Richard Thorpe en 1952). Et quel meilleur véhicule pour éprouver ce récit que Pirlouit qui est le vrai moteur du projet : dès le début, il entraîne le lecteur dans une course folle où son esprit rusé, sa vivacité, donnent du mouvement et de l'humour. Il faut le voir accéder à d'innombrables clés qu'il a lui-même enfermées dans de multiples coffres, comme des poupées russes, afin de piocher dans ses (maigres) économies. Il en profite alors pour arnaquer le bon Roi puis, enfin, nous découvrons la raison de son agitation depuis 3 pages : il a reçu en cadeau un faucon. Mais l'oiseau n'est bon qu'à chasser des légumes ! La séquence est menée tambour-battant, et s'achève à la planche 5 avec un gag très efficace.

La suite est du même calibre : Peyo a le génie pour mêler ses deux héros à des affaires avec lesquelles ils n'ont aucun lien, et le faucon va être l'instrument pour les entraîner dans une aventure pleine de manipulation, de malentendus, de péripéties, au suspense implacable.
Pour cela, il s'appuie aussi sur la personnalité de ses créatures dont il affine la caractérisation et aboutir à des scènes équivoques concernant leur relation, ce qui confère au récit plusieurs niveaux de lecture. 
Par exemple, hiérarchiquement, Pirlouit est au service de Johan (lui-même aux ordres du Roi), même si leur amitié assouplit ce rapport de domination et que le tempérament farceur et têtu du lutin ne laisse guère de répit à l'écuyer. Partant de ça, Peyo met en scène leurs retrouvailles, après que Pirlouit ait disparu, enlevé par des manants, de manière à ce que le lutin, assis dans le trône du sire de Montrésor et profitant de la méprise de ceux qui l'y ont installé, oblige Johan à s'agenouiller devant lui, à la fois pour montrer son autorité sur un écuyer devant un seigneur mais aussi pour ne pas risquer d'être démasqué. Si la plaisanterie de Pirlouit est aussitôt après, une fois qu'ils sont seuls, pardonné par Johan, elle révèle le peu de scrupules du lutin et comment en position de force il s'amuse de ce retournement de situation. C'est savoureux.

Toutefois, Peyo n'oublie pas la vocation de sa bande dessinée et si Pirlouit joue le seigneur sans se gêner, il est rapidement montré en train de reprocher à la garde rapproché du royaume son appât du gain aux dépens de la population, abusivement taxée (ce qui reste d'actualité...), et plus encore, il joue un rôle déterminant pour démasquer ceux qui ont incarcéré Enguerran de Montrésor. En fait, le pouvoir plait à Pirlouit mais seulement si son exercice le préserve des ennuis, quand il comprend que son imposture risque de lui coûter cher, il redevient un bon justicier, désireux de punir les vilains mais aussi de rétablir dans son bon droit le maître véritable et lésé de la région.
Tout cela est finement écrit, avec des rebondissements échevelés (la fuite de Johan et Pirlouit) ou comiques (Pirlouit découvre l'aspect peu séduisant de la promise de celui dont il a usurpé l'identité), aboutissant à un climax intense (avec le vrai Montrésor qui tombe à nouveau dans le griffes de Courtecorne, puis l'intervention du bon Roi). La dernière page assure encore un gag très drôle.

Les dessins de Peyo sont toujours un enchantement, et son art de la composition des plans est fabuleuse. 
En examinant son découpage, on remarquera qu'il répète plusieurs fois le même dispositif : sa page échelonne quatre bandes de trois cases chacune, mais pour aérer ce qui serait un classique "gaufrier", il remplace régulièrement (sur la première ou quatrième bande le plus souvent), deux cases par une seule, un plan donc plus large qui aère l'ensemble, permet de donner plus de place pour le décor (extérieur ou intérieur).
La cadrage est organique chez Peyo et ne doit jamais être prisonnier d'une formule mais au contraire optimiser la visualisation d'une scène : ainsi, il s'autorise des plans privilégiant le gag dans sa partie la plus spectaculaire et cela conduit à de vrais "morceaux de bravoure", comme aux pages 35 (deux bandes mais six cases verticales en plan fixe) puis 36 (une cascade de Pirlouit montée comme un plan-séquence, ce qui permet d'apprécier son caractère périlleux, dynamique et facétieux, s'achevant sur un contrechamp des méchants auxquels il vient ainsi d'échapper).
Le flux de lecture chez Peyo est d'une fluidité extraordinaire et associé à son écriture quasiment en continuité permanente, elle procure au lecteur la sensation de suivre l'aventure en direct, sans interruption. La qualité des décors, la variété des physionomies des personnages, complètent cette immersion.

Assurément, un des sommets du run de l'auteur sur sa série pour cet album inventif, maîtrisé et passionnant autant que malicieux.

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