lundi 7 juillet 2014

Critique 476 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 12 - LE GABION, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : LE GABION est le 12ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 1997 par Dupuis.
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Babette a décidé d'imposer à Jérôme des vacances en l'emmenant au baptême de sa filleule à Perros-Guirec. Mais en cours de route, la 2cv de l'hôtesse de l'air a un petit accident et le couple est obligé de s'arrêter dans un village voisin du Mont Saint-Michel pendant que le garagiste local attend les pièces de rechange. Babette et Jérôme trouvent refuge chez un vieux couple, Marcel et Gabrielle.
Le détective reçoit les confidences nocturnes de son hôte qui a vécu avec son épouse, huit ans auparavant, un terrible drame : leur fille unique, Amélie, a été violée et s'est suicidée. Le coupable a été condamné à douze ans de prison mais a bénéficié d'une sortie quatre ans avant le terme de sa peine. Depuis Gabrielle est obsédée par le projet de venger sa fille en tuant son agresseur.
Lorsque Babette trouve un moyen de locomotion pour aller au baptême de sa filleule, Jérôme choisit de rester afin d'empêcher Marcel de commettre une bêtise. Mais le violeur est bientôt retrouvé mort...

Un an après l'excellent Le coeur à droite, Alain Dodier alterne avec une aventure de Jérôme Bloche en province. L'histoire est divisée en deux actes : le premier est dédié au couple formé par son héros et sa fiancée qui voit leur voyage contrarié, puis dans le second se concentre sur la mission que s'est donné le détective.

Le résultat est en tout cas excellent et la maîtrise de la narration de Dodier brille dans cet album qui reste l'un des meilleurs de la série, désormais parfaitement aboutie. Le noeud de l'intrigue est clairement plus dramatique que dans les tomes précédents en abordant un viol et le chagrin poignant d'un couple. La situation de Marcel et Gabrielle est utilisée en écho à celle que vit Jérôme et Babette, plus jeunes, encore épargnés par les tourments de l'existence (même si le métier de Jérôme ne les a pas épargnés en sensations fortes). Ce parallèle est très bien vu, très bien exploité, avec subtilité.
Dodier, comme à son habitude mais avec désormais plus d'habilité, dispose ses pions de manière à ce que le lecteur soit impacté par les révélations des protagonistes en même temps que le héros : ainsi, à la première page de l'album, on assiste à la sortie de prison d'un jeune homme, une scène muette sobrement mise en scène avec un "gaufrier" de 8 cases, mais on ignore alors que cet ancien détenu (qu'on n'entendra jamais parler et qui ne sera ensuite plus montré que dans des plans éloignés) est au coeur de l'histoire puisqu'il s'agit du violeur d'Amélie, la fille de Marcel et Gabrielle.
A la page 2, changement de personnages, de décor et d'ambiance : Jérôme est réveillé de bon matin par Babette pour partir en vacances afin de se détendre ("Mais, Babette, j'étais détendu avant que tu me réveilles.", lui répond Jérôme).
En alternant ainsi les saynètes légères et les moments plus émouvants, Dodier fait progresser la tension de son récit jusqu'à son point culminant quand Jérôme comprend que Marcel, leur demandant, à lui et Babette, de quitter son gîte, se prépare à réaliser la vengeance réclamée par son épouse. Le scénariste éloigne ensuite Babette pour orchestrer la seconde partie de l'histoire où Jérôme prend Marcel en filature, en devant à la fois amadouer son chien Max et profiter de sa complicité (jusqu'à dormir dans sa niche pour s'abriter une nuit). L'intrigue trouve son dénouement dans un décor très original, un gabion, un abri construit sur le domaine maritime ou dans les marais côtiers par des chasseurs pour traquer le gibier d'eau : Dodier l'emploie comme un piège étonnant où se jouera une séquence au suspense haletant.
Le dénouement voit les retrouvailles de Jérôme et Babette sur un ton doux-amer qui confère à cet album une émotion unique et marque une évolution dans la série, qui devient moins humoristique et semble désormais s'adresser à des lecteurs plus adultes.

Visuellement, ce tome est également une très grande réussite : le dessin de Dodier a acquis une maturité dont la simplicité du trait ne doit pas tromper sur sa grande qualité.
L'examen du découpage permet de vérifier la densité de la narration avec une moyenne de dix cases par planche, disposées de manière certes classique mais remarquablement fluide. Une séquence comme celle qui court des pages 26 à 32, avec une longue filature menée par Jérôme, ses dialogues avec le curé, une vieille dame, sa surveillance de Marcel isolé dans le gabion, est superbe, d'une lisibilité et d'une tension épatantes.
Comme toujours, les décors sont excellemment posés et représentés, le fruit évident de minutieux repérages et de reproduction d'après nature tant ils semblent authentiques. Les personnages, familiers comme le héros, sa fiancée, ou les seconds rôles, sont tous bien campés, dotés de physiques mémorables.

Ce 12ème épisode est un sommet de la série, avec une écriture et un graphisme indiquant une sorte d'aboutissement : 12 ans après le début de ses aventures, Jérôme K. Jérôme Bloche est devenue bien plus qu'une sympathique petite série bien faite pour devenir une oeuvre solide et accomplie.  

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