4 AVENTURES DE SPIROU... ET FANTASIO est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Franquin, publié en 1950 par Dupuis.
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- Spirou et les plans du robot (14 pages). Le savant Samovar s'est blessé lors de sa dernière expérience. Les journaux annoncent son transfert dans un hôpital, ce qui inquiètent Spirou et Fantasio, soucieux que les plans d'un robot construit par le scientifique ne tombent entre de mauvaises mains. Leurs craintes sont fondées car des bandits organisent l'enlèvement de Samovar...
- Spirou sur le ring (20 pages). Les exploits de Spirou lui valent l'admiration des gamins mais l'un d'eux, le teigneux Poildur, défie le héros en lui proposant un combat de boxe. Avec l'aide de Fantasio, il s'entraîne tandis que son adversaire, qui veut s'assurer la victoire, terrorise les gosses pour qu'ils le soutiennent. Le match a lieu, mais le complice de Poildur fait tout pour faciliter la partie à ce dernier, quitte à tricher...
- Spirou fait du cheval (7 pages). Fantasio rend visite à Spirou pour l'inviter à une randonnée équestre. Une superbe monture attend le premier tandis que son ami a droit à un canasson à l'humeur très fantasque, ce qui va provoquer divers incidents durant le parcours...
- Spirou chez les Pygmées (21 pages). Spirou entraîne Spip à la campagne pour un pique-nique quand ils tombent nez à nez avec un léopard. Le fauve le suit jusque chez lui où il est grassement nourri. Spirou se renseigne auprès du zoo pour savoir si l'animal ne s'en est pas échappé, puis cherche à le confier au bureau des objets perdus. Fantasio remarque alors dans le journal que la bête appartient à l'empereur de Lilipanga, domicilié non loin. Cet homme est en fait un colon blanc qui règne sur une île au large des côtes du Congo mais dont les indigènes se livrent à une guerre insoluble. Spirou et Fantasio suivent l'empereur là-bas et vont tâcher de remédier à cette situation...
C'est en 1946 qu'André Franquin hérita de Spirou et Fantasio, dont Joseph "Jijé" Gillain n'avait plus le temps de s'occuper, et ces 4 Aventures rassemblées dans cet album, le premier publié par Dupuis, permettent donc de découvrir les premiers efforts de celui qui fera du groom le héros populaire qu'il est encore aujourd'hui.
En examinant attentivement quelques signatures dans des coins de cases, on peut noter que Franquin a commencé son oeuvre en 1947 et achèvera ces épisodes en 1949, mais durant ce temps, il va déjà affirmer son style, en se détachant de l'influence de Jijé, qui l'a formé.
Les quatre récits sont d'un intérêt inégal : Franquin développe réellement des intrigues pour Les plans du robot et Chez les Pygmées, quand pour Sur le ring et Spirou fait du cheval, il se contente de broder sur un argument. Néanmoins, quelle que soit la construction, on note déjà que l'auteur déroule des séquences, en n'hésitant pas à en exploiter les ressorts comiques quand ils l'inspirent, plus qu'il ne développe de véritables scénarios très aboutis : comme il l'a souvent avoué ensuite, jusqu'à ce qu'il collabore avec Greg (à partir du Prisonnier du Bouddha, tome 14), et encore avec beaucoup de liberté, Franquin improvisait ses histoires, les écrivait au fur et à mesure, au fil des planches, et c'était à la fois une méthode qui lui offrait de l'espace mais aussi générait beaucoup d'appréhension (cela finira même par le bloquer à la fin de son run, quand la lassitude le gagnera et qu'il ne pourra plus gérer plusieurs séries à la fois).
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Pour Les plans du robot, Franquin poursuit en fait une histoire amorcée par Robert "Rob-Vel" Velter avec le savant fou Samovar, l'archétype du scientifique multi-cartes qui mène aussi bien des recherches sur l'atome (une terreur issue en droite ligne des bombardements américains sur le Japon à la fin de la seconde guerre mondiale, et qui hantera Franquin durant toute sa carrière) que dans la robotique. A partir de ces éléments (la convalescence de Samovar et l'invention de ses robots), l'auteur tire une course-poursuite haletante dans laquelle Spirou va affronter un groupe de bandits souhaitant dominer le monde grâce aux robots en kidnappant Samovar.
Le génie de Franquin s'exprime par des pages très denses (souvent d'une quinzaine de cases) avec des automobiles (dont il était un fabuleux dessinateur) se pourchassant à une allure folle, évitant ou pas tous les obstacles. On est en pleine "slapstick comedy", avec des enchaînements délirants mais d'une fluidité ébouriffante, directement emprunté au cinéma muet et surtout au dessin animé, puisque Franquin a brièvement travaillé dans l'animation, vouait une grande admiration aux films de Walt Disney et suivit même Jijé avec Morris aux Etats-Unis en 1948 pour tenter l'aventure américaine (mais, casanier, il sera le premier à en revenir).
Bien qu'il ait toujours eu du mal à s'attacher au personnage de Spirou, qu'il considérait comme une "coquille vide", Franquin se contredit dans son oeuvre en en faisant un héros qui ne tient pas en place et agit pour éviter des catastrophes. C'est lui la vraie vedette, Fantasio n'est qu'un sidekick qui se greffe aux aventures et c'est alors un partenaire bien différent psychologiquement de ce qu'il deviendra ensuite (recommandant sans cesse la prudence à Spirou, doté d'un caractère frivole, mais cependant totalement repensé par rapport à la création de Jijé qui en avait fait un zazou extraordinairement laid). Idem pour Spip, qui n'est pas encore un écureuil paresseux et râleur mais le compagnon domestique de Spirou, qui porte son calot, lui sert de guetteur.
Visuellement le trait de Franquin est aussi très différent : c'est encore l'élève de Jijé avec ce tracé rond, fin, des perspectives bien définies, un art consommé pour tirer au maximum parti d'une suite de petites vignettes dans lesquelles il arrive à faire rentrer un ou plusieurs personnages, un décor, tout en veillant toujours à la lisibilité de la composition et à des enchaînements très découpées, dignes d'un storyboard de cartoon.
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Spirou sur le ring date de 48 et, pour ceux qui ont lu (si ce n'est pas fait, corrigez vite cette lacune) Le Journal d'un Ingénu, ce petit récit a été une inspiration manifeste pour Emile Bravo (et aussi pour Al Séverin, dans l'album Spirou sous le manteau). Fantasio y joue encore l'assistant du héros, l'entraînant pour un match de boxe accepté à la suite d'un défi lancé par un gosse cruel et brutal nommé Poildur.
Si l'idée tient sur un timbre-poste, Franquin s'en sert pour resituer Spirou socialement : on devine que le groom aventurier a été lui aussi un de ces gamins bruxellois de condition modeste avant d'être chasseur au "Moustic-Hôtel" (puisque c'est en observant les adolescents qui servaient sur les paquebots dans leurs tenues rouges que Rob-Vel, son créateur, l'imagina).
De même, si Poildur est un garçon antipathique, Franquin ne peut s'empêcher de le sauver à la fin, et cela préfigure d'autres personnages futurs, adversaires de Spirou plus bêtes que méchants (tel Zorglub).
L'histoire défile très rapidement, en deux actes : d'abord, l'entraînement de Spirou, mis en parallèle avec les méfaits de Poildur, puis le combat entre Spirou et Poildur, durant lequel les tricheries de ce dernier et de son complice suscitent la révolte des supporters du héros, menée par P'tit Maurice.
Franquin déploie des trésors d'inventivité pour mettre cela en images de la manière la plus vivante et efficace possible, toujours en s'appuyant sur un découpage très rigoureux, avec des pages qui comptent fréquemment une quinzaine de cases. Mais il s'autorise aussi des plans plus larges, admirablement composés et fournis, des hors-champs très astucieux, des plans silhouettés jubilatoires (lorsque Spip affronte le rat de Poildur sous le ring durant le combat).
Les personnages sont extrêmement expressifs, tout en conservant la charte graphique de Jijé : Spirou a encore cette allure très fine, presque féminine, que lui avait donné Joseph Gillain, mais Franquin en revanche tient déjà son Fantasio, toujours élégant, grand et mince. Et la galerie de minots qui peuple le récit est franchement incroyable, Franquin leur donnant à chacun une incarnation distincte.
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Spirou fait du cheval est le segment le plus faible du recueil, mais pas le moins sympathique ni dénué d'intérêt. Il est bien sûr facile de sur-interpréter des pages comme ça et d'y voir des signes annonciateurs de grandes idées ultérieures, mais comment ne pas penser en voyant le cheval Plumeau que monte Spirou à une sorte d'ancêtre du Marsupilami ? Leurs comportements sont identiques, à la fois cocasses, sauvages, farceurs, bref incontrôlables.
Franquin s'amuse avec ce prétexte de sortie équestre pour mettre en scène une série de catastrophes amusantes comme l'animal de Palombie en provoquera plus tard. C'est léger certes, mais très marrant.
Et fantastiquement dessiné ! Il y a quelque chose de fascinant à étudier le découpage de Franquin : ses cases s'enchaînent avec une telle rapidité, les mouvements se décomposent avec un tel naturel, qu'on les lit d'abord puis on les relit ensuite afin de décortiquer cette mécanique si bien huilée, avec des entrées et des sorties de cadre d'un dynamisme éblouissant.
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Enfin, Spirou chez les Pygmées offre là aussi matière à spéculer sur les germes du run de Franquin. Cet épisode est lui aussi divisé en deux actes distincts : le premier permet de savourer le génie gaguesque de l'auteur à partir d'une situation absurde (la rencontre et la cohabitation de Spirou avec un léopard), le second s'inscrit dans la veine du récit d'aventures en entraînant Spirou et Fantasio dans cette Afrique des années 40, quand le Congo était encore une colonie belge et les indigènes des "sauvages" considérés avec plus ou moins d'humanisme.
En lisant ça, on ne peut que penser au futur chef d'oeuvre La Corne de Rhinocéros (tome 6), réalisé pourtant 8 ans plus tard. Franquin écrit et dessine le continent noir et ses tribus avec tendresse et ironie, comme en témoigne le dénouement du conflit qui opposent les Lilipangués et les Lilipangus. L'auteur les considère tous avec affection et bienveillance, y compris le personnage de l'empereur (qui n'a rien d'un méchant colon, le vrai affreux de l'histoire étant un trafiquant intervenant de manière très périphérique).
Fantasio gagne du galon dans ce récit en ayant plus de scènes en commun avec Spirou que dans les trois autres Aventures précédentes, prenant une part plus active dans les évènements et leur résolution : il est alors évident que Franquin a compris l'importance d'attacher à son héros un vrai partenaire pour étoffer les échanges, la dynamique même de sa bande dessinée.
Le dessin gagne aussi, un peu, en variété, car Franquin s'affranchit progressivement des gaufriers de quinze cases, se permettant même des plans verticaux, des inserts. Il se fait aussi plaisir en mettant en scène des animaux comme le léopard, un lion, un crocodile, un zèbre et des singes, dans un environnement où son imagination décorative fait merveille et fournit d'autres gags (la construction de la prison).
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C'était il y a 64 ans, et cet album, même s'il est parfois encore inégal, présentait les débuts révolutionnaires de celui qui allait faire de Spirou le rival de Tintin : les premiers pas de Franquin.
Attention : le savant fou Samovar n'a pas été créé par Rob-Vel, mais par Franquin lui-même (dans « Radar le robot »).
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