dimanche 20 avril 2014

Critique 434 : FURY - MY WAR GONE BY, VOLUME 2, de Garth Ennis et Goran Parlov


FURY : MY WAR GONE BY, VOLUME 2, rassemble les épisodes 7 à 13 de la mini-série écrite par Garth Ennis et dessinée par Goran Parlov, publiée en 2012-2013 par Marvel Comics dans la collection Max. Ce second tome conclut la saga

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# 7-9. Nous retrouvons Nick Fury en 1970. Il est envoyé au Vietnam par le sénateur Pug McCuskey pour y éliminer le chef Viet-Cong, Letrong Giap, que Fury avait déjà croisé lors de sa mission en 54 en Indochine. Le colonel est accompagné de George Hatherly, dont l'épouse attend son cinquième enfant. On a également mis à sa disposition un sniper redoutablement efficace, un certain Frank Castle...

# 10-12. 14 ans après, en 1984, Nick Fury se rend, toujours sur ordre de McCuskey, au Nicaragua pour enquêter sur les soupçons de trafic de drogue au sein d'une base américaine situé tout prés du Hondura. La CIA est elle-même dans le collimateur du Sénat qui, constatant que le conflit s'enlise, se demande si l'armée n'est pas financée par une économie parallèle. Hatherly accompagne toujours Fury et, très vite, ils comprennent qu'un des militaires du camp, l'imposant Barracuda, dirige un escadron dont il se sert effectivement pour profiter de leur alliance avec les Contras et leur mainmise sur la production de drogue. 

# 13. 1999 : c'est le bout de la piste pour les protagonistes de cette saga. George Hatherly se meurt. Shirley De Fabio en finit avec les humiliations que lui fait subir Pug McCuskey. Et Nick Fury achève l'enregistrement de ses confessions, seul dans sa chambre d'hôtel, sans avoir su (voulu) choisir entre son ami, sa maîtresse et la guerre.

Avec ces 7 nouveaux épisodes, Garth Ennis conclut dans les larmes et le sang sa fresque. Le résultat est à la hauteur du précédent tome et évoque les puissantes épopées de James Ellroy, le "chien de l'enfer" du polar américain dont le regard implacable sur l'Histoire américaine a dû inspirer le scénariste. 
Comme il l'a fait la fois d'avant, Ennis se concentre sur deux missions, à plusieurs années d'intervalle, à chaque fois en trois épisodes. Le procédé permet de voir vieillir les personnages et l'auteur n'est pas tendre avec les années qui passent pour chacun : cela se voit dans l'évolution physique (le visage raviné de Fury, la calvitie d'Hatherly, la hanche douloureuse de Shirley...) mais aussi dans la déliquescence morale (la désillusion croissante du colonel, l'affliction de son bras droit, l'humiliation de sa maîtresse, la vengeance du sénateur, et des seconds rôles signant encore plus fortement la descente aux enfers de l'Amérique : Frank Castle qui n'est pas encore le Punisher mais déjà un exécuteur méthodique ou, pire, Barracuda, soldat dévoyé, qui use de sa force et de sa position non pas pour se venger de sa condition de noir mais pour son profit personnel).

La dureté des évènements choisis et relatés par Ennis n'est égalée que par l'opinion qu'il affiche sur ses conflits et le rôle joué par les Etats-Unis : il ne montre jamais des généraux, des bureaucrates et des politiques (exception faite de McCuskey), mais s'attarde sur les hommes de terrain, sacrifiés par des chefs aux stratégies mal pensées, au matériel peu fiable, au moral entamé (et à la morale de plus en plus douteuse) - les pions de profiteurs.
Fury est le trait d'union entre les décideurs et les soldats : il n'a pas le goût des manoeuvres de couloirs comme les premiers mais reçoit d'eux ses ordres, il comprend au fil de ses missions à quel point ses actions sont dérisoires, risquées, et servent des intérêts sans noblesse. En agissant dans la clandestinité, il est habitué à l'ombre au point d'en devenir une, et s'il accepte d'être complice de faits d'armes peu reluisants au début, on voit ici qu'il y croit de moins en moins puis plus du tout (comme en témoigne son dégoût devant les exactions de Barracuda et son commando puis les explications que lui fournit McCuskey ensuite).
Comme pour les 6 premiers épisodes, une connaissance minime des conflits traversés permet de mieux en apprécier les ressorts, même si le récit est suffisamment solide et prenant pour être lu au premier degré, comme des histoires de guerre, de survie, de soldats, racontée à l'encre très noire. 

Ennis s'est aussi fait plaisir en introduisant deux personnages qu'il connaît bien : d'abord, il utilise Frank astle dans les chapitres au Vietnam. Il a écrit un long run, déjà dans la collection Max (et déjà, pour de nombreux épisodes avec Parlov aux dessins), avec cet anti-héros, et là, il le montre avant qu'il ne devienne ce justicier expéditif, mais déjà un terrible tueur professionnel, sans état d'âme. Le personnage reste en retrait, il parle peu, il est là en soutien de Fury, et la rencontre entre ces deux guerriers est savoureuse, soulignant leurs différences d'âge, d'expérience, de vision.
Puis c'est au tour de Barracuda, lui aussi apparu lors du run d'Ennis sur le Punisher, une création originale du scénariste (qui lui a consacré une mini-série aussi, toujours dessinée par Parlov), d'intervenir dans le segment situé au Nicaragua. Il prend, au propre comme au figuré, plus de place que Castle dans le cours du récit, c'est une figure sinistre, horrible, et sa confrontation avec Fury débouchera sur un règlement de comptes d'une brutalité féroce, à la mesure des atrocités commises (avec un échange de politesse bien spéciale : "Fuck the uniform. Feel Me ? - Sometimes the uniform fucks back.").

Ce qui est frappant, c'est de voir la manière dont Ennis dépeint, développe le personnage de Fury, tel un homme drogué à la guerre, préférant partir au bout du monde dans un merdier prévisible plutôt que de rester avec la femme qui l'aime et qu'il aime, risquant sans hésitation la vie de son second, et en pleine descente quand il comprend que le sénateur qui l'envoie au casse-pipe s'est encore joué de lui. Fury apparaît comme un homme en fuite, suicidaire, qui préfèrerait mourir au combat (même si ses missions sont de plus en plus solitaires) que vivre tranquillement, côtoyant des amis. Il jouit de cette existence à la fois palpitante et minable, sans confort, ni attache, bien que ses convictions s'effritent, mais c'est aussi parce qu'il ne semble véritablement bien connaître et faire que ça - crapahuter en pleine jungle, tuer l'ennemi, s'enfoncer dans les ténèbres de l'horreur de la guerre. Ce n'est pas qu'un métier, c'est sa raison d'être.
Fury est un professionnel qui s'interroge d'abord sur la faisabilité des missions, la logistique. C'est seulement en cours de route ou au terme de la mission qu'il admet toute la dimension pathétique, glauque, sans gloire, de ce qu'il fait. Mais tout cela semble le maintenir en vie, au point qu'en 1984, au Nicaragua, à un âge qu'on devine déjà avancé, il demeure en excellente condition physique, et le lecteur ne craint pas qu'il se fasse tuer bêtement - mieux : il sait qu'il est encore capable d'avoir sa revanche contre Barracuda.
Mais cet aspect des choses et du personnage est contrebalancé, par Ennis, via l'usure psychologique du personnage. Si Fury n'a jamais été un soldat croyant à la noblesse des causes qu'il a servi, il ne peut plus contenir son mépris pour les politiciens ni l'abjection que lui inspire les miliaires qui profitent de la situation pour leur bénéfice personnel. En considérant aussi ce côté-là de l'histoire de son héros, et en montrant plus qu'en expliquant à quel point cela l'affecte, Ennis évite l'apologie de l'aventurier ou l'excuse de l'interventionnisme américain : l'homme et son pays se confondent, ils ont besoin de guerres pour exister, justifier leurs rôles.
De ce point de vue là aussi, cette série est particulièrement corsée et culottée puisqu'après tout Ennis la produit pour un éditeur américain qui lui prête un de ses personnages emblématiques mais en le plongeant dans les situations les moins glorieuses de l'Histoire.

Goran Parlov est toujours là pour illustrer cette saga et elle lui doit beaucoup. Le croate sert parfaitement l'âpreté du récit avec ses dessins. Le professionnalisme dont il a fait preuve pour coller au plus prés au moindre détail témoigne de son implication et de sa complicité avec le scénariste.
Ses images ne cherchent pas être séduisantes (même si, parfois, elles le sont quand même : il suffit qu'il s'attarde sur un visage, creusé par les tourments, ou pur comme celui d'une des amantes de McCuskey, pour être saisi), et son découpage reste toujours aussi sobre, avec des pages de trois ou quatre cases maximum, occupant toute la largeur de la surface, et qui donne un look très cinémascope à l'ensemble.
Cette mise en scène convient aussi bien aux séquences d'action, cadrées avec une profondeur de champ soignée, qu'avec des scènes plus intimistes, qui permettent au lecteur de savourer chaque expression des personnages.
Parlov peut sembler limité de ce point de vue mais chacune de ses cases contient à la fois beaucoup d'informations visuelles et juste ce qu'il faut pour qu'on lise l'histoire sans décrocher. Le procédé assure une fluidité exceptionnelle mais nécessite un artiste qu'il maîtrise parfaitement son sujet, la composition, l'expressivité des personnages, les détails des décors. Une séquence comme celle où Fury et Castle sont détenus dans une cellule creusée à même la terre est caractéristique : les lignes sont sommaires, mais le rendu des textures, la justesse de l'ambiance, la simplicité du découpage, tout fait qu'on y croit. A l'opposé, quand il s'agit de représenter les intérieurs de la maison de McCuskey, Parlov dessine avec minutie un mobilier réaliste et place les personnages parfaitement dans l'espace pour qu'on mesure les dimensions de l'endroit, la relation qui existe entre eux, le poids des ans, etc.
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On pouvait craindre que cette seconde partie ne soit pas aussi bonne que la première, mais il n'en est rien. Garth Ennis réussit à boucler sa fresque avec une maîtrise épatante, son regard est toujours aussi perçant. Quant à Goran Parlov, il anime ce récit avec un brio fabuleux, d'un trait nerveux et puissant.
Fury : My War Gone By est une sacrée production, un voyage au bout de l'enfer dont on sort groggy et surtout impressionné.

1 commentaire:

  1. Bravo pour votre critique très bien écrite et votre analyse que je partage mais que je n'aurais sans doute pas su exprimer aussi bien que vous.

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