samedi 1 mars 2014

Critique 419 : NEXUS OMNIBUS VOLUME 2, de Mike Baron et Steve Rude


NEXUS Omnibus, Volume 2 rassemble les épisodes 12 à 25 de la série co-créée par Mike Baron (scénariste) et Steve Rude (dessinateur), publiés à l'origine en 1985-86 par First Comics, et réédités par Dark Horse en 2013.
Un tel volume est toujours compliqué à critiquer. Le mieux serait sans doute de laisser passer plusieurs semaines, voire des mois, pour le digérer et en tirer une analyse pertinente et consistante, à la mesure du contenu.
Pourtant il serait malvenu de se plaindre d'une telle édition car Dark Horse permet en republiant ces épisodes de découvrir une série magnifique, et par ailleurs inabordable financièrement dans sa version album "Archives" (deux fois moins de pages mais au minimum deux fois plus cher, y compris en occasion). Certains esprits chagrins râleront sur les dimensions plus réduites de ces Omnibus, qui ne rendent peut-être pas toujours justice au dessin minutieux de Steve Rude, mais pas besoin non plus de se munir d'une loupe pour apprécier ces pages.

Le premier volume nous présentait cet étonnant héros qu'est Nexus, bourreau cosmique résidant dans un futur lointain aux confins de l'univers, avec en arrière-plan une virulente critique du régime soviétique. Ses aventures étaient à la fois dépaysantes, excentriques, drôles, sombres. La galerie de personnages était également très originale, avec une collection de seconds rôles très bien campés. Mike Baron avait mis en place une fresque à la fois très distrayante, entraînante, et aussi profonde, ambiguë, une série qui était à la fois un hommage aux bandes dessinées de science-fiction des années 50 et une réflexion acérée sur les dérives morales et politiques de l'époque où NEXUS était publié, dans les années 80.

Il fallait transformer l'essai et ces 14 nouveaux chapitres y parviennent globalement. 
Horatio Hellpop, fils d'un haut gradé de l'empire galactique Sov, responsable d'un génocide, et qui a perdu sa mère dans des circonstances bizarres lors de la fuite de ses parents, est devenu l'exécuteur d'une force extra-terrestre très puissante qui lui confère des pouvoirs redoutables. Sa cible : des auteurs de massacres, en fuite ou ayant profité de leurs exactions pour conquérir le contrôle de leur Etat.
En contrepartie, Horatio/Nexus doit composer avec de terribles rêves qui lui indiquent ceux qu'il doit punir et le poids de ces exécutions, même si elles sont justifiées. Il doit aussi se méfier du pouvoir central du Web, le gouvernement issu de la Terre, qui aimerait le contrôler ou lui ravir ses capacités. Il tombera ainsi momentanément dans les griffes d'Ursula Imada, une ambassadrice-espionne, qui aura deux enfants de lui.
Il peut néanmoins compter sur des alliés : d'abord la population de la lune Ylum, son repaire où il recueille les réfugiés des régimes qu'il a fait chuter ; Judah Maccabee, un guerrier, et son père ; et surtout Sundra Peale, la femme qu'il aime, ex-agent d'Ursula.

Nexus est tellement harassé psychologiquement par sa tâche qu'il décide de subir une opération lui permettant de ne plus être harcelé par ses rêves. Il se laisse alors aller en compagnie douteuse. Les Sov comptent en profiter pour se débarrasser de lui et un de leurs tueurs s'infiltre au sein de la communauté d'Ylum pour le tuer, tandis que le Web veut expérimenter de nouvelles sources d'énergie pour alimenter les planètes de son système, sans être certain que la procédure soit sécurisée.
Horatio se reprend lorsque, au péril de sa vie, Sundra découvre la source de ses pouvoirs de Nexus (incarnée par le Merk, une créature tapie au coeur d'Ylum). Il peut alors entreprendre à la fois de protéger à nouveau son territoire mais aussi négocier avec son "créateur" le droit de mener sa profession sans être son jouet.
Le répit sera de courte durée car Ursula resurgit et Horatio découvre sa paternité, puis Steve Leberq, le fils de Sutta (tué par Nexus dans le volume 1), un pirate allié aux Sovs, le défie. Enfin, l'exécution du général Loomis laisse trois orphelines déterminées à se venger du bourreau d'Ylum...
Comme je le disais en ouverture, dresser une critique complète d'un tel foisonnement d'intrigues, de personnages, n'est pas chose aisée, surtout à chaud. On ne peut qu'en parler de manière partielle et partiale en évoquant les moments forts ou plus faibles ressentis pendant la lecture.
La lecture justement de ces 14 épisodes est d'une grande facilité et procure un vrai plaisir. Il n'y a pas de quoi être impressionné devant ces 400 et quelques pages qui sont faciles d'accès (même s'il est plus prudent de s'être d'abord plongé dans le premier Omnibus), très efficaces, riches en action, en situations variées et accrocheuses, avec des développements très ingénieux.
Mike Baron conduit son récit avec soin et ingéniosité, il ne se contente pas de livrer un simple space opera avec des batailles spectaculaires, des ennemis hauts en couleurs, dans des décors exotiques. Il invite le lecteur à s'interroger sur la condition atypique de son héros au moment où lui-même est en pleine crise existentielle. A partir de là, il ose la comédie, avec une satire de la fin de la vie d'Elvis Presley lorsque Horatio devient oisif, obèse et toxicomane. Puis, rappelé à l'ordre par Alpha et Beth, ses deux amis imaginaires (qui sont en réalité les messagers du Merk), il se ressaisit et on assiste au retour de Nexus, prêt à en découdre. Là encore le scénariste s'amuse avec nous qui savons qu'un traître est tout proche du héros, et il laisse planer le doute jusqu'au bout sur le fait qu'Horatio va le démasquer.

Baron ne néglige pas non plus les personnages secondaires à qui il donne du temps et de l'espace, comme dans le cas de Sundra Peale (sur le passé de laquelle on en apprend plus, et qui tient un rôle crucial dans l'information de Nexus par rapport à la source de son pouvoir) ou Judah Maccabee (qui a droit à un épisode entier, dans lequel toute la force comique et l'attitude philosophe du personnage sont mises en valeur). Ces autres protagonistes, contrairement à beaucoup de séries, ne sont pas dépendants du héros, ils le complètent, l'assistent, mais ont aussi leur vie propre, leurs propres problèmes à régler, ils peuvent très bien ne pas apparaître pendant plusieurs épisodes d'affilée, tout en sachant qu'ils sont à l'oeuvre ailleurs, peut-être en prévision d'autres aventures auxquelles sera mêlé Nexus.
A travers eux, Baron souligne aussi que l'environnement d'Horatio est une composante à part entière de ses actions, qu'il doit en subir les conséquences comme lorsque Tyrone, le président d'Ylum, s'emploie à bâtir une démocratie, à régler le problème des réfugiés ou de diriger la défense de ce territoire quand il est la cible des Sovs (et que Nexus, privé temporairement de ses pouvoirs, doit s'absenter pour satisfaire aux exigences du Merk afin de les récupérer).

Esthétiquement, NEXUS est aussi une magnifique réussite car elle dispose d'un exceptionnel artiste avec Steve Rude. A cette époque, le dessinateur étaient très influencé par le classicisme d'Andrew Loomis (dont le nom inspira celui du général et de ses filles qui apparaissent dans les derniers épisodes de ce volume) et de Russ Manning (dont la série Magnus Robot Fighter est LA référence de la série).
La beauté sans âge de ses personnages, qui échappent à tous les stéréotypes (des hommes athlétiques sans être sculpturaux, des femmes élégantes sans être racoleuses, des aliens aux morphologies variées mais référentielles), et le soin insensé apporté à la représentation des décors (intérieurs comme extérieurs), des objets, des vêtements, des véhicules, sont impressionnants. C'est une des rares fois où le talent du "Dude" est pleinement exploité sans faire de l'ombre au script.

Steve Rude découpe ses pages avec inventivité, ses compositions sont parfois savantes (avec l'usage de plongées/contre-plongées audacieuses, des ombres et lumières tour à tour franches et suggestives, des enchaînements séquentiels d'une fluidité sophistiquée), mais toujours au service d'une grande lisibilité et avec le souci de stimuler le lecteur, d'enrichir le scénario. Il est aussi aidé par la colorisation de plus en plus élaborée de Les Dorscheid, qui fait le choix de teintes pastels pour favoriser justement l'harmonie de planches.

Ce mélange de raffinement et de méticulosité font de NEXUS un titre visuellement au-dessus du lot, même près de trente ans après. On n'a jamais ce sentiment de bande dessinée old-school, surannée : c'est riche sans être lourd, copieux sans être indigeste.

Le bémol qu'on pourra exprimer envers ce volume 2, c'est que l'effet de surprise a disparu, et que le déroulement des épisodes est parfois plus inégal, les moments forts sont intenses, ceux plus calmes sont aussi plus creux. Sans parler des back-up issues qui accompagnent chaque chapitre : quand il s'agit de revenir sur le passé de Sundra Peale, passe encore (grâce aux dessins d'Eric Shanower, l'encreur de Rude, avant qu'il ne cède la place à John Nyberg, aussi excellent), mais j'avoue qu'ensuite j'ai zappé rapidement les aventures de Clonezone, le comique à tête de crocodile. Il y a aussi le faux pas de l'épisode dessiné par Keith Giffen, qui intervient au beau milieu d'une saga, et qui n'est ni beau ni intéressant.
Mais ces menues réserves ne doivent pas diminuer le sentiment très positif produit par l'ensemble de cette collection. Vivement donc le volume 3 !

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