mercredi 5 février 2014

Critique 409 : DAREDEVIL BY MARK WAID, VOLUME 5, de Mark Waid et Chris Samnee


DAREDEVIL BY MARK WAID, VOLUME 5 rassemble les épisodes 22 à 27 de la série écrite par Mark Waid, publiés en 2013 par Marvel. Le dessins sont signés par Chris Samnee.
 
 
 
"Ikari. Japanese for 'Fury'."
(Daredevil #25)
 
Ce cinquième recueil des épisodes de Daredevil écrits par Mark Waid commence par les retrouvailles musclés entre le héros et le Superior Spider-Man (rappelons cet effet que, désormais, le corps de Peter Parker est l'hôte de l'esprit du Dr Octopus) : ce dernier, sollicité par Kirsten McDuffie (l'assistante du procureur, qui a eu une liaison avec Matt Murdock et pense qu'il représente désormais en tant que Daredevil un danger pour lui-même et la société), veut infliger une correction à son collègue lorsqu'ils sont surpris par Stiltman (l'Homme aux échasses) en train d'attaquer un hélicoptère.
Après avoir neutralisé le vilain et avoir convenu du malentendu de leur affrontement, les deux justiciers se séparent. Matt Murdock entreprend de se réconcilier avec Foggy Nelson, qui l'a viré de leur cabinet d'avocats pour les mêmes raisons que Kirsten McDuffie l'a rejeté. C'est alors que Foggy confie à son ami son douloureux secret : il souffre d'un cancer.

En un chapitre, Mark Waid a réussi à retourner le lecteur : 20 pages après le début de l'épisode, plein d'action, il accable Daredevil et le lecteur avec une révélation terriblement poignante. Tout l'arc qui va suivre va être marqué par ce coup de théâtre et les conséquences sur la vie d'homme et de héros de Matt Murdock. Si cela frappe autant les esprits, c'est que la maladie éprouve un des tandems les plus anciens de l'univers Marvel, quiconque est fan de Daredevil ne peut qu'être touché par le tourment qui touche les deux personnages et par la manière dont Mark Waid choisit de ne pas tricher avec ce ressort dramatique.
Le scénariste ne se sert pas du cancer à la légère, il l'utilise pour traiter de la fidélité et de la loyauté entre les deux amis mais aussi pour désigner les limites à la fantaisie propre aux comics de super-héros : ainsi, l'épisode 26 est enrichi d'une "back-up story" de 8 pages où Foggy, à l'hôpital, accepte pour un médecin de parler à des enfants également atteints du même mal. Ils écrivent et dessinent un comic-book mettant en scène les Avengers contre un monstre symbolisant le cancer et dont ils viennent à bout. Foggy croit alors que ces gamins croient que les super-héros peuvent vaincre ce qui les affligent avant de comprendre qu'ils ne sont pas si naïfs et cherchent surtout par ce biais à composer avec leurs maladies.
Waid ne prouve pas seulement ici qu'il a le don, rare, d'écrire des histoires avec humanité et émotion, au-delà des clichés sur la violence et la sexualité que véhiculent nombre de comics, il nous dit que le monde des super-héros tel qu'il le conçoit, s'il a sa part d'irréalité, parle aussi et surtout des personnages qui les entourent et qui sont vulnérables. Et si les seconds rôles peuvent souffrir et mourir, alors les héros ne sont pas non plus à l'abri.

Par ailleurs, ces six nouveaux épisodes forment aussi une conclusion aux deux premières années du run de Mark Waid, la fin d'un premier acte en quelque sorte. Il était implicitement dit dans le précédent recueil que les ennuis subis par Daredevil depuis une vingtaine d'épisodes s'inscrivaient dans une trame plus globale, une manoeuvre orchestrée par un adversaire unique et mystérieux, qui s'était servi de Klaw, de la profanation du cimetière où reposait "Battlin' " Jack Murdock par l'Homme-Taupe, de Coyote pour pousser le héros dans ses derniers retranchements. Son association avec Foggy et sa relation avec Kirsten en ont fait également les frais.
Un nouvel ennemi se dresse devant Daredevil, encore plus redoutable puisqu'il s'avère posséder les mêmes pouvoirs que lui : Ikari (Furie en japonais), dont l'aspect évoque le premier costume de DD et qui se présente à lui en portant le peignoir de boxeur de son père. Il va infliger au justicier une correction terrible, aussi humiliante et douloureuse physiquement qu'éprouvante psychologiquement, lui promettant de le tuer mais sans préciser où et surtout quand. Murdock, déjà ébranlé par ses combats précédents, la maladie de Foggy, sa rupture avec Kirsten, cède à la panique et doit demander de l'aide à plusieurs de ses amis (en premier, celle de Hank Pym/Ant-Man, mais aussi celles, plus ponctuelles, de Black Widow, Iron Fist, Superior Spider-Man). Il pourra ainsi remonter jusqu'au cerveau de l'affaire, découvrant alors qu'il s'agit d'un de ses plus vieux et rancuniers ennemis.

Cette autre partie de l'arc est brillamment exécuté, sur un rythme soutenu, avec des scènes d'action superbes, pleines d'intensité, qui testent vraiment les limites de la résistance de Daredevil et éprouvent les capacités de déduction du lecteur. Rétrospectivement, on repense aux assauts successifs qu'a dus repousser le héros depuis le début du run de Waid et on apprécie la solidité du plan du scénariste (qui, contrairement à certains de ses collègues, n'a pas claironné qu'il n'avait pas tout organisé sur une presque trentaine d'épisodes et du coup a réussi à mieux nous surprendre). Waid a ce savoir-faire classique mais efficace des auteurs "à l'ancienne" qui dispose ses pions sagement, fait monter la pression, et garde le meilleur pour la fin : on ne voit rien venir tant qu'il ne l'a pas décidé et on est cueilli le moment venu, avec juste ce qu'il faut d'ambiguïté (la réponse de Matt à Foggy quand celui-ci lui demande s'il a vraiment essayé d'épargner complètement son adversaire est troublante à souhait).

Ces épisodes sont tous dessinés par Chris Samnee qui produit une prestation exceptionnelle. Il est aussi à l'aise quand il s'agit d'animer des scènes intimistes entre Murdock et Nelson, grâce à son talent expressif pour traduire les émotions les plus subtiles ou plus dramatiques, que lorsqu'il doit mettre en scène les combats acrobatiques entre Daredevil et Ikari (dont le duel occupe 13 pages sur 20 du #25, entrecoupé par des flashbacks sur les leçons "à la dure" prodiguées par Stick au jeune Matt). 
Waid a travaillé avec son lot de grands artistes, mais Samnee est sans doute le partenaire avec lequel sa complicité est la plus éclatante, la plus aboutie depuis son partenariat avec Mike Wieringo (sur Fantastic Four). Samnee est un dessinateur très complet, au style plein de punch, sachant varier et doser ses effets, qui a su garder le meilleur de ses influences classiques avec des découpages modernes : il possède cette habileté qu'ont les artistes italiens, toute entière dirigée vers la manière de mieux servir le script, de le rendre plus efficace.

Rarement, comme à la lecture de ces épisodes, on a eu le sentiment que les deux facettes de la série et de son héros ont été traitées avec un tel équilibre, poussant Murdock jusqu'à ses extrêmes limites comme Daredevil, mais soulignant surtout que ce qu'il vit comme héros masqué impacte encore plus ce qu'il vit comme homme, et que ce qu'il vit comme homme l'atteint quand il se masque.

C'est une leçon de storytelling avec une profondeur émotionnelle rare ici démontrée. Waid et Samnee explorent l'autre aspect de la vie d'un super-héros, ce que cela veut dire d'être là pour des gens qui ont peur pour lui (peur pour "l'homme sans peur"), d'être à son tour désarmé autant par un adversaire particulièrement retors que par les affres de la vie. 
Les deux auteurs ont ainsi réussi à combiner le récit d'un grand défi pour Daredevil comme la description de l'homme derrière le masque du justicier. Quoi qu'ait prévu Mark Waid pour le futur (après avoir annoncé que son run actuel se terminerait au #36, en Février 2014, tout en assurant que lui et Samnee ne seraient pas loin ensuite), il a déjà réussi à produire un des meilleurs runs de la série - espérons qu'il continuera à s'occuper de "tête à cornes" encore longtemps.

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