mardi 4 février 2014

Critique 401 : AQUAMAN, VOLUME 1 - THE TRENCH, de Geoff Johns, Ivan Reis et Joe Prado


AQUAMAN, volume 1 : The Trench rassemble les épisodes 1 à 6 de la série écrite par Geoff Johns et dessinée par Ivan Reis (#1-5) et Joe Prado (#6), publiés par DC Comics en 2012.
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Trois histoires au programme :
- The Trench (#1-4). Au fond des mers, d'affreuses créatures affamées s'en prennent à des pêcheurs puis attaquent la côte de Beachrock, tout prés de là où vivent Aquaman et sa compagne Mera, dans les environs de Boston. Bien que le super-héros soit raillé par la population locale, considéré comme un mythomane (à cause des origines atlantes) et parce qu'il a des pouvoirs sujets à la moquerie (mais surtout méconnus), il n'hésite pas à venir en aide aux autorités car il est aussi à moitié terrien (par son père). Après avoir repoussé les assauts des monstres, il décide d'aller les débusquer dans leur antre sous-marine et va y faire une terrible découverte avec Mera...
- Lost (#5). La capture d'un des monstres marins a permis à la Navy de mettre la main sur un étrange artefact mais qui s'est mis à émettre un son puissant et désagréable. Aquaman se rend au labo de l'armée lorsque des hommes armés attaquent l'endroit pour s'emparer de la relique. Le héros les poursuit et en provoquant le crash de leur hélicoptère, échoue dans le désert. Privé d'eau, Aquaman est sujet à des hallucinations puis remet la main sur l'artefact qui le prévient d'un grand danger contre Atlantis - un message périmé puisque la cité a été détruite dans des circonstances non élucidées...
- Deserted (#6). En l'absence d'Aquaman, Mera se rend à Amnesty Bay, le village voisin du phare où elle vit avec son compagnon, pour y acheter de quoi nourrir le chien qu'ils ont recueilli après l'attaque des monstres. Elle doit faire face à un commerçant goujat puis intervient contre un forcené. Mais c'est surtout l'occasion d'apprendre que la jeune femme a d'abord rencontré Aquaman, 5 ans avant, avec pour mission de le tuer et, en refusant de le faire, elle a été bannie de son peuple...

Fin 2011, après la saga Flashpoint, DC Comics choisit de "rebooter" toutes ses séries (même si, dans les faits, les titres le plus populaires, comme Batman ou Green Lantern sont plus légèrement remaniés). L'opération "New 52" aboutit au lancement de 52 titres, relookés et repensés. Geoff Johns, promu directeur artistique de cette refonte (même s'il était déjà l'auteur vedette de la firme depuis longtemps) entreprend d'écrire de nouvelles aventures consacrées à Aquaman, ressuscité au terme de la saga Blackest Night puis sur le devant de la scène dans la maxi-série qui a suivi, Brightest Day. Il retrouve le dessinateur brésilien Ivan Reis (qui a participé à Green Lantern, Blackest Night et Brightest Day) pour l'occasion. Résultat : le personnage obtient un succès comme il n'en a jamais connu, talonnant Justice League et Batman (et dépassant les scores de plusieurs séries Avengers ou Spider-Man chez Marvel) !
Le scénariste, qui adore revamper des personnages, en réinventant au besoin leurs origines, et fort de son succès sur Green Lantern (devenu une des locomotives de DC, devant Superman ou Wonder Woman), a les coudées franches. Il écrit donc ces premiers épisodes comme si le lecteur ne savait rien d'Aquaman et séme quelques éléments mixant la continuité historique du personnage avec une approche plus dynamique.

Johns est un conteur habile et efficace mais pas très subtil, et ces défauts et qualités sont particulièrement remarquables dans ces épisodes. Le point positif réside dans le fait qu'il écrit finalement moins une série sur Aquaman seul que sur le héros métisse (mi-humain, mi-atlante, élevé seul par son père et ayant choisi de vivre à la surface pour en protéger les habitants plutôt que d'être le dirigeant d'un royaume en ruines) et sa compagne Mera. Cela permet à Arthur Curry de se/nous confier ses états d'âme, ses choix, et au scénariste de disposer d'un contrepoint féminin fort, dont le caractère est aussi bien, si j'ose dire, trempé (sinon plus) que son protagoniste masculin. D'elle, on ne sait rien, ou pas grand-chose mais elle marque les esprits en étant traité comme l'égale du héros.
Et puis, à côté de cela, Johns multiplie les astuces artificielles, parfois risibles (l'adoption d'un chien, ou le rôle du professeur Shin, qui fut l'ami du père d'Aquaman et qui est obsédé par Atlantis).  Les méchantes créatures aux dents acérées sont également plus moches qu'effrayantes, et leur secret est vite résolu (et leur sort vite expédié). Johns laisse planer un doute sur le fait qu'elles sont peut-être liés au passé d'Aquaman, d'Atlantis, tout comme il fait allusion brièvement à la véritable origine de Mera, mais on doit se contenter de ces suggestions.
Enfin, le scénariste use d'une autre béquille narrative un peu grotesque avec des apparitions fantomatique du père d'Arthur Curry ou d'un messager atlante, qui lui prodiguent tour à tour des conseils pleins de bon sens sur la vie ou des alertes périmées sur le sort d'Atlantis. Pas très fin là encore, encore moins original. 

Mais bon, comme je l'ai dit, Johns est habile : il sait indéniablement écrire une histoire et la dérouler sans ennuyer le lecteur (un premier arc rapide de 4 épisodes plus deux stand-alone), avec un bon équilibre entre intimisme et grand spectacle, dialogues et baston. C'est efficace à défaut d'être novateur. 
Il est évident que la première mission de Johns est de poser son personnage et de redorer son blason, de lui donner une certaine majesté à la fois pour le lecteur mais aussi par rapport aux figurants de ses histoires pour qui il n'est qu'un sujet de blagues. De ce côté-là, c'est réussi : Aquaman apparaît comme un héros misant moins sur des stratégies affutées que sur sa force - quand il s'enfonce dans les bas-fonds pour débusquer des monstres, il ne réfléchit pas à un plan avant, ne pense pas à l'échec, et n'hésite pas à se débarrasser de l'adversaire (Mera est à peine plus modérée, elle est juste plus prudente, soucieuse de son compagnon plus que des hommes).
C'est là toute la contradiction entre ce héros capable d'encaisser en les quolibets des terriens mais qui fonce tête baissée dans le repaire d'une bande de monstres qui ont réussi à le malmener sérieusement, entre un bon samaritain envers des gens qui le méprisent volontiers et un justicier qui va tuer des dizaines de créatures sans chercher d'alternative alors qu'il se proclame souverain des océans

Le cinquième épisode n'a pas grand intérêt : on croit que Johns va exploiter les faiblesses physiologiques de Aquaman mais non - il s'agit plutôt de préparer le terrain pour de futurs épisodes dans lesquels des artefacts atlantes et la vérité sur la déchéance du royaume sous-marin seront au centre du récit.

Le dernier épisode se concentre sur Mera mais ne vaut que pour ses deux premières pages, elles aussi préparant une intrigue postérieure. En revanche, la ballade en ville de la belle rousse, ses actions et les prises de conscience auxquelles elles aboutissent sont risibles de naïveté. 

Les réserves, nombreuses et diverses, que soulèvent le scénario plombent donc cette relance, mais par bonheur, la série bénéficie des dessins d'un exceptionnel artiste, le brésilien Ivan Reis (encré par Joe Prado, qui est aussi son agent, et qui le suppléé même sur le dernier chapitre). 
Tout ce que rate Johns, Reis le rattrape en quelque sorte ou en tout cas, l'améliore. Il sait donner une allure folle à Aquaman comme en témoigne sa première apparition, de plein pied, en contre plongée, sur une page entière, armée de son trident (au design impressionnant). Contrairement à beaucoup de héros DC, il n'a pas subi un redesign poussé, et les éléments qui ont été modifiés l'ont été avec succès.
L'attitude et la gestuelle du personnage, son expressivité, toutes en retenue, traduisent sa volonté et son assurance. Lorsqu'il passe à l'action, c'est un héros sûr de sa force, économe dans ses mouvements, qui dégage de la puissance et de la fluidité. Les dessins préparatoires visibles à la fin de l'album témoignent du souci des détails de Reis en ce sens (avec des indications sur la chevelure ondoyante comme une vague, le col Mao qui souligne le port du cou, les gants évoquant des ailerons, la côte de maille scintillante, etc) : des bonus instructifs.
Ivan Reis signe des planches sur lesquelles ont peut s'attarder, avec un vrai luxe de détails visant à un réalisme poussé, dans la ligne des héritiers de Neal Adams (d'Alan Davis à Bryan Hitch). Les décors extérieurs sont identifiables immédiatement, les intérieurs fournis, et du coup les séquences sous-marines, où il y a moins d'informations visuelles, passent sans problème.
Le seul bémol concerne ses monstres qui ne sont pas bien terrifiants (comme ses zombies dans Blackest Night), mais Reis compense cette faiblesse par l'intensité de ses scènes de combat, toujours très bien mises en scène, l'intelligence avec laquelle il parvient à traduire des ambiances (comme lorsque Aquaman est perdu dans le désert et s'affaiblit), ou encore (surtout !) la beauté renversante et altière de Mera, qu'il arrive à rendre à al fois sexy, redoutable, hautaine et compatissante (quel dommage alors qu'il n'ait réalisé que les layouts de l'épisode 6, finalisé par Joe Prado, dont la gaucherie pour les proportions et les expressions ne rendent pas justice à la flamboyante héroïne).

Pour résumer, on peut dire que ce premier tome tient principalement grâce à son dessinateur. Le scénariste, lui, a démarré bien trop sagement pour impressionner. C'est moyen. Mais le recueil suivant promet davantage, avec un casting plus fourni, une intrigue plus dense. Il faut donc accepter cette déception avant un deuxième acte plus accrocheur et accompli...

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