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Un théâtre de papier...
13 Avril 1964. Le voleur Parker quitte son hôtel. Un homme discret et quelconque le prend en filature. Parker le piège et après l'avoir désarmé alors qu'il avait dégainé un couteau à cran d'arrêt, il le tue. Mais il regrette son geste car, après lui avoir fait les poches, il n'en sait pas beaucoup plus sinon que son suiveur s'appelait Howard Owen.
Les dangers d'une filature...
Quelques jours avant, Parker se reposait sur une plage de Miami en compagnie d'une jolie blonde quand il a reçu un coup de téléphone de Joe Sheer qui avait obtenu son numéro par un certain Paulus. Sheer sollicitait Parker pour un casse, la spécialité de notre homme, qui accepta de se déplacer même s'il n'avait pas actuellement besoin d'argent mais parce qu'il commençait à s'ennuyer.
A Jersey City, Parker fait donc connaissance avec Edgars que lui présente Paulus. Même s'il est d'abord réticent à travailler avec un amateur, le fait que des complices comme Grofield et Wycza, des hommes en qui il a toute confiance, incite à réfléchir à un coup d'envergure. En effet, il s'agit de voler une ville entière de 2 600 habitants, Copper Canyon, où est exploitée une mine, avec sa banque, sa bijouterie et ses commerces, en coupant tous ses moyens de communication avec l'extérieur et en neutralisant son poste de police et sa caserne de pompiers.
Pour remplir cette mission, à la fois insensée et excitante, Parker rassemble une douzaine d'hommes et élabore un plan parfait.
Vraiment parfait ? Sauf que Parker a raison de ne pas aimer travailler avec des amateurs, qui ont toujours quelque chose à cacher...
A Jersey City, Parker fait donc connaissance avec Edgars que lui présente Paulus. Même s'il est d'abord réticent à travailler avec un amateur, le fait que des complices comme Grofield et Wycza, des hommes en qui il a toute confiance, incite à réfléchir à un coup d'envergure. En effet, il s'agit de voler une ville entière de 2 600 habitants, Copper Canyon, où est exploitée une mine, avec sa banque, sa bijouterie et ses commerces, en coupant tous ses moyens de communication avec l'extérieur et en neutralisant son poste de police et sa caserne de pompiers.
Pour remplir cette mission, à la fois insensée et excitante, Parker rassemble une douzaine d'hommes et élabore un plan parfait.
Vraiment parfait ? Sauf que Parker a raison de ne pas aimer travailler avec des amateurs, qui ont toujours quelque chose à cacher...
Un gang aguerri...
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Qui serait assez fou pour piller une ville entière ?
En choisissant The Score pour son troisième opus (d'une collection qui devrait en compter cinq plus un one-shot plus bref), Darwyn Cooke a résolument opté pour un matériau moins ambitieux, comme s'il refusait la surenchère dans la sophistication formelle, voulait revenir aux basiques, et faire apprécier le simple plaisir d'une histoire de gangsters face à un casse délirant. Autrement dit, Cooke a jeté son dévolu sur un roman dont l'intérêt est d'abord l'histoire plutôt que les personnages.
Cette décision pourra en décevoir certains, surtout après le feu d'artifices que fut The Outfit, avec ses astuces esthétiques et dramaturgiques. Mais il était aussi sans doute temps d'avancer et de creuser une autre piste, en montrant Parker à l'oeuvre, détaché de sa confrontation avec l'Organisation, ses cadres. En même temps, Cooke pouvait distribuer d'autres cartes, The Score fournissant une galerie de seconds rôles étoffant l'entourage de Parker - même s'il s'agit davantage de figurants, d'hommes de mains : comme par un mouvement de balancier, après avoir été présenté comme un franc-tireur face à un syndicat criminel tout puissant, cette histoire montre Parker comme chef de bande, à son tour comme le cadre d'une équipe, dirigeant une affaire, des associés. Le desperado est devenu un patron à son tour.
Mais il doit négocier un projet fou puisqu'en une nuit, sa fine équipe doit détrousser un patelin entier - projet qui plus est amené sur un plateau par un amateur dont on découvrira que les motivations ne sont pas que liés à l'argent.
Ce qui sidère avec Cooke, et ce troisième tome, c'est finalement à quel point l'artiste et son personnage se ressemblent (presque) : comme Parker, celui qui signe ses dessins de son prénom, Darwyn, oeuvre avec un professionnalisme et une efficacité sans faille.
Comme Parker, Cooke vise l'économie de moyens, dose ses effets, privilégie la simplicité, et affiche une aisance presque insolente pour aboutir à ce livre. Il relate avec clarté et fluidité la préparation du casse (pourtant d'abord considéré comme de la science-fiction, mais dont la difficulté motive Parker comme un défi à relever), son déroulement, puis quand il dérape et que le gang doit alors composer avec l'imprévu (imprévu qui est là encore présenté comme un défi supplémentaire, une motivation en bonus). L'histoire ne s'arrête pas là : tout le dernier chapitre montre l'après, quand les braqueurs doivent rester terrer dans leur planque alors que la traque menée par la police est lancée, que la tension gagne ces hommes contraints de se cacher, qu'il faut composer avec les plus impatients (quitte à prendre des mesures extrêmes et dramatiques), et enfin, une fois la voie libre, le butin partagé, le groupe dispersé, la manière dont Parker clôt son aventure (fidèle à lui-même, on ne sait jamais s'il va tuer le dernier témoin ou l'épargner pour son plaisir personnel).
Cette maîtrise dans la narration et l'élégance formelle de son illustration sont toujours aussi impressionnantes, comme si Cooke écrivait et dessinait cela sans difficulté.
Même si, donc, cette fois, en plus d'être plus court que les deux précédents tomes (une vingtaine de pages en moins), The Score est plus "story-driven" (conduit par l'histoire) que "character-driven" (conduit par les personnages), il réserve quand même une surprise de taille puisque Parker est quasiment éclipsé par un autre acteur. Acteur, c'est d'ailleurs le mot qui convient puisqu'il s'agit d'Alan Grofield : déjà présent dans The Outfit, ce voleur qui se rêve en comédien, à la fois charmeur et cabotin, est l'opposé de Parker. Il dispose d'un physique avantageux et d'un caractère fantasque qui en fait le complèment idéal à cette lame de couteau taciturne et violente qu'est Parker. Cooke souligne ce contraste avec une gourmandise évidente, confirmant qu'il a choisi d'adapter ce roman en grande partie pour pouvoir à nouveau animer le personnage de Grofield, pour lequel il s'est inspiré de Burt Lancaster (confidences faîtes au site www.violentworldofparker.com dans une interview passionnante et très longue où il évoque la série, les titres déjà réalisés, les prochains en projet, ses références cinématographiques et bédestiques). Cela donne une légèreté, un humour irrésistible à The Score, et permet au passage à Cooke des séquences magnifiques, décalées (comme lorsqu'il parle de la musique avec laquelle Grofied accompagne ses actions - voir la planche ci-dessous - ou quand il s'envoie en l'air avec une responsable de la téléphonie de Copper Canyon - qu'il finira par emmener avec lui en fuyant - , ce qui a le don d'exaspérer - au bas mot - Parker).
Comme il est impossible de ne pas être séduit par Grofield, il est vain de ne pas succomber au swing de The Score, qui est un livre qu'on ne peut littéralement plus lâcher une fois qu'on l'a commencé. Qu'importe alors, en vérité, qu'il soit moins sophistiqué, renversant, ou plus linéaire, classique, que The Hunter ou The Outfit, c'est un "page-turner" imparable, divertissant, euphorisant. Et si on peut en sortir un peu frustré, c'est sans doute la meilleure preuve de sa réussite. Quand on en veut plus, n'est-ce pas le signe qu'on a été complètement happé ?
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La partie strictement graphique de The Score réserve une autre surprise (que ne révèle pas les scans de planches que j'ai pu trouvés et avec lesquels j'ai illustrés cet article) puisqu'en plus du noir et blanc, Cooke a abandonné le bleu qui les accompagnés par de l'orange. C'est de prime abord déroutant là encore, mais cela se justifie par le fait que la majeure partie de l'action se déroule en journée, dans une région ensoleillée, et où la chaleur joue un rôle important (notamment sur les nerfs des protagonistes). Les effets qui en sont tirés sont intelligemment exploités, notamment quand la situation dégénère et qu'une série d'explosions va illuminer le théâtre des opérations (je reste allusif pour ne pas gâcher la surprise...).
Par ailleurs, encore plus que dans les deux tomes précédents, le lecteur pourra se régaler avec la représentation des années 50 que livre Cooke : on s'y croirait tant la précision avec laquelle il dessine les accessoires, les véhicules, les vêtements, les décors d'époque est impressionnante de réalisme.
Un détail par-ci (le réveil Travelux), une référence cinéphile par-là (l'affiche du film Un monde fou, fou, fou de Stanley Kramer - qui raconte comment un gangster avant de mourir révèle à un groupe de personnes qu'il a caché un magot, déclenchant une folle course-poursuite), le nom d'une compagnie de téléphone, les imprimés sur les rideaux, les stations-services Ekonomee... Et aussi bien sûr les somptueuses tenues et coiffures des femmes !
Jean, la maîtresse d'Edgars.
Mais tout cela ne serait que joli si ce n'était pas surtout si bien conduit dans l'art séquentiel. Si vous ignorez qu'il s'agit d'une adaptation d'un roman, c'est impossible de le deviner, la transposition étant si raffinée, subtile qu'elle est indécelable. Ce n'est pas un roman mis en images, mais une vraie bande dessinée dont l'auteur exploite parfaitement le langage qui lui est propre. Pas de pavé de texte indigeste, pas de dialogue ampoulé, d'attitude forcée, mais une fluidité diabolique pour passer de l'action au dialogue, pour ménager le tempo entre nervosité et calme : magistral comme une leçon de storytelling prodiguée par un grand maître.
Cooke sait donner une respiration naturelle et régulière au récit : ainsi chaque échange, entre deux ou plusieurs personnages, est mis en scène dans un cadre particulier, ce qui le valorise, le distingue, le rend mémorable.
Pour son casting, Cooke procède de la même manière en s'amusant, ici, à donner aux membres du gang le visage de plusieurs de ses amis, dont certains sont des confrères (comme Jim Steranko, Dave Johnson, Phil Noto, Frank Tieri, Jimmy Palmiotti...). Pour l'anecdote, il a aussi avoué que les modèles de Parker étaient à la fois Jack Palance et Michel Constantin (dans le film Mise à sac).
Et par ailleurs, il sait parfaitement doser ses effets, insufflant une énergie "Kirby-esque" quand cela s'emballe, et lever le pied quand c'est nécessaire.
Darwyn Cooke a, avec les années, su crééer un style graphique unique, à la fois référencé (Bruce Timm, Jack Kirby), influencé par les films des années 50 (mélange de naturalisme et d'expresssionnisme), avec des traits simples, des espaces aérés, des poses étudiées, où la lisibilité est au coeur de son travail. Ce curieux mélange de spontanéité et de maniérisme, de modernité et de rétro, permet à ses comics d'être attrayants aussi bien pour un oeil exercé (qui savourera la maîtrise et l'exigence de l'artiste) que pour un lecteur moins expérimenté (qui trouvera dans cette simplicité de la cohérence et du dynamisme).
Cooke sait donner une respiration naturelle et régulière au récit : ainsi chaque échange, entre deux ou plusieurs personnages, est mis en scène dans un cadre particulier, ce qui le valorise, le distingue, le rend mémorable.
Pour son casting, Cooke procède de la même manière en s'amusant, ici, à donner aux membres du gang le visage de plusieurs de ses amis, dont certains sont des confrères (comme Jim Steranko, Dave Johnson, Phil Noto, Frank Tieri, Jimmy Palmiotti...). Pour l'anecdote, il a aussi avoué que les modèles de Parker étaient à la fois Jack Palance et Michel Constantin (dans le film Mise à sac).
Michel Constantin dans Mise à sac.
Darwyn Cooke a, avec les années, su crééer un style graphique unique, à la fois référencé (Bruce Timm, Jack Kirby), influencé par les films des années 50 (mélange de naturalisme et d'expresssionnisme), avec des traits simples, des espaces aérés, des poses étudiées, où la lisibilité est au coeur de son travail. Ce curieux mélange de spontanéité et de maniérisme, de modernité et de rétro, permet à ses comics d'être attrayants aussi bien pour un oeil exercé (qui savourera la maîtrise et l'exigence de l'artiste) que pour un lecteur moins expérimenté (qui trouvera dans cette simplicité de la cohérence et du dynamisme).
les bandes-son de Grofield.
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The Score, par son classicime, est en fait une mécanique d'horlogerie, une partition précise, qui est typique de Donald Westlake (c'est également vrai avec les aventures plus loufoques de son autre héros, John Dortmunder) : l'inventivité de ses intrigues, l'équilibre entre le rocambolesque et la crédibilité, tout ça forme la base d'un divertissement qui réussit à être plausible et d'une histoire sombre qui n'oublie pas d'être plaisante.
Pour être au niveau de cet auteur, Cooke a toujours sur fournir des réponses visuelles élégantes et efficaces et adapter les intrigues en leur conservant leur aspect possible à défaut d'être réaliste (mais c'est tout l'art de raconter des histoires). Bien malin qui peut en deviner le terme, et très fort celui qui peut chipoter devant une telle démonstration.
Pour être au niveau de cet auteur, Cooke a toujours sur fournir des réponses visuelles élégantes et efficaces et adapter les intrigues en leur conservant leur aspect possible à défaut d'être réaliste (mais c'est tout l'art de raconter des histoires). Bien malin qui peut en deviner le terme, et très fort celui qui peut chipoter devant une telle démonstration.
Bien entendu, l'effet de surprise a désormais disparu, et le challenge pour Cooke est de continuer à adapter ces romans tout en maintenant à ses comics un standard de qualité élevé. The Score laisse, indubitablement, un goût de trop peu parce qu'il est plus court, plus convenu, classique, linéaire...
Mais le résultat est suffisamment savoureux, soigné, palpitant pour que le plaisir l'emporte sur la déception (déception de lecteur gâté en vérité). Peu de comics possèdent autant de qualité, sont réalisés avec un tel talent.
Et l'avenir est prometteur puisque le prochain tome sera inspiré par The Handle : un casse spectaculaire sur une île... Rendez-vous l'an prochain !
Merci pour cette critique argumentée.
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