dimanche 1 janvier 2012

Critique 300 : THE COMPLETE CLASSIC ADVENTURES OF ZORRO, d'Alex Toth

The Complete Classic Adventures of Zorro rassemble 16 épisodes de l'adaptation de la série télévisée produite par Disney, écrits et dessinés par Alex Toth en 1959, réédités en 2001 par Image Comics.
La couverture (non colorisée) du volume 1
de l'édition Eclipse Comics.




Les quatre premières pages
du premier épisode :
Presenting Señor Zorro.

Né en 1929, Alex Toth reste encore aujourd'hui un génie méconnu, malgré une carrière d'une grande richesse, le respect de ses pairs et l'admiration de ses fans. Mort à 77 ans à sa table de dessin (!), son "tort" aura sûrement été de ne pas être associé à un personnage ou une série, qui lui aurait permis d'être identifié plus facilement. A cet égard, son run sur Zorro est une exception notable et c'est une des raisons qui font que l'acquisition de cet album est indispensable.

Dans la préface de cet ouvrage, Howard Chaykin résume parfaitement le "cas" Alex Toth : de la même génération que d'autres artistes mythiques, comme Joe Kubert, Carmine Infantino, ou Gil Kane, cet auteur complet était considéré comme le meilleur de tous, aussi bien loué par de fameux prédécesseurs comme Milton Caniff et Noel Sickles que copié par une foule de graphistes postérieurs (de David Mazzucchelli à Chris Samnee en passant par David Aja, Gabriel Hardman, Cliff Chiang, Michael Lark, Stuart ImmonenDarwyn Cooke et j'en oublie). "L'artiste des artistes" en somme, comme les experts le surnomment.

Toth s'est illustré dans tous les genres : il a dessiné des westerns, des récits de guerre, d'horreur, des histoires romantiques. Il n'appréciait guère les super-héros même s'il a touché à des icones DC (Flash, Green Lantern...) ou Marvel (X-Men, première génération), et il a dans les années 60-70 activement participé à leurs designs pour les studios d'animation Hanna-Barbera (avec des séries comme Super Friends, Space Ghost...). On lui doit d'ailleurs les graphismes du dessin animé Scooby-Doo.

Mais Alex Toth, quoiqu'ayant produit massivement, n'a pas la renommée de Jack Kirby (concepteur d'innombrables personnages, des Fantastic Four aux New Gods en passant par Captain America), Steve Ditko (Spider-Man), Bob Kane (Batman), Will Eisner (The Spirit), Alex Raymond (Flash Gordon), Milton Caniff (Terry et les Pirates), Joe Schuster (Superman)... En revanche, sa science du design et du storytelling en fait l'égal de toutes ces légendes. Et ses épisodes de Zorro en apportent la preuve.
Guy Williams, l'interprète de Zorro/Don Diego
De La Vega dans la série télé.

The Complete Classic Adventures of Zorro est l'adaptation en bande dessinée de la sére télévisée produite par Disney à la fin des années 50, avec Guy Williams dans le rôle du "Renard" et de son alter ego Don Diego De La Vega. Cet album rassemble 16 épisodes au format variable (entre une vingtaine et une dizaine de pages,  dont une aventure en deux parties - The Ghost Of The Mission).








A l'époque, Alex Toth accepte ce travail alors qu'il s'est installé à Los Angeles : il a 30 ans et déjà de nombreuses contributions dans divers registres à son actif. Parfois, il réalise des planches sans même être crédité ! Mais déjà il s'est essayé à des adaptations en comics de productions cinéma et télé et son professionalisme est reconnu : sa technique est plus que parfaite, quand bien même il ne s'entend pas avec les coloristes qu'on lui impose (il préfère d'ailleurs le noir et blanc, et effectuera lui-même, quelquefois, ses colorisations), il est ponctuel et surtout il sait ce qui convient pour passer d'un média à l'autre - ainsi quand il recevra les premiers scripts de Zorro, il impose à l'éditeur des coupes importantes dans les descriptions et les dialogues, qu'il juge trop abondants. Résultat : une narration d'une redoutable efficacité avec un découpage sobre (avec un usage régulier du "gaufrier" - 6 cases d'égale valeur sur trois bandes par planche) mais où chaque plan est à la fois une véritable épure et un modèle de composition.

L'adaptation respecte la matériau d'origine : on y retrouve les standards hérités de l'oeuvre de Johnston McCulley, créée en 1919, avec un Zorro plus rusé que batailleur (peu de duels à l'épée en vérité, mais mis en scène avec swing), Don Diego faussement emprunté quand il est accusé par le Capitaine Monastario ou complice avec ce sympathique lourdaud de Sergent Garcia, des señoritas d'une classe folle, le tout situé dans la Californie de la première moitié du XIXème siècle quand les espagnols tenaient la province et que Los Angeles n'était encore qu'un pueblo sous la coupe de riches propriétaires terriens et de militaires.
C'est un régal à lire - que dis-je ? A dévorer tant on est pris par ces courts récits où le souffle de l'aventure se marie parfaitement avec l'humour bon enfant de Disney.

Le trait de Toth (dont Hugo Pratt s'est considérablement inspiré pour Corto Maltese, après avoir mûri dans l'ombre de Caniff) se distingue par son économie : jamais chez lui on ne trouve une ligne en trop mais ses personnages sont toujours expressifs, leur gestuelle toujours naturelle, les décors soignés.
Maître du clair-obscur, il tire les meilleurs effets d'à-plats d'un noir profond qui donnent des contrastes saisissants à ses images, valorisent les valeurs d'un plan aussi bien dans des cadres étroits que des plans larges, et suggèrent le mouvement admirablement (en jouant sur la poussière produite par une chevauchée par exemple ou par l'enchaînement subtil des vignettes avec des entrées et des sorties de personnages d'une fluidité si aboutie qu'elles sont quasiment imperceptibles).
Par ailleurs, la réédition par Image Comics bénéficie de l'addition des nuances de gris par Raymond Fehrenbach telles que les avaient indiquées Toth : ce bonus esthétique donne un cachet magnifique aux dessins sans les altérer.

Le storytelling selon Toth ressemble à la danse selon Fred Astaire : tout paraît étonnamement simple, évident, mais exprime une réflexion d'une intelligence infaillible sur la manière de raconter/chorégraphier des séquences. Toute sa vie, il ne cessera ainsi d'affuter cette méthode du "less is more", gommant de plus en plus tout ce qui freine la lisibilité et le rythme de la lecture.
*
Lire Alex Toth, c'est à la fois un plaisir car c'est immédiatement accessible, c'est beau et c'est instructif : on a souvent le sentiment en tournant les pages d'apprendre comment faire une bonne bande dessinée sans aucune esbrouffe, en restant dans un classicisme chic, intemporel, indémodable. Si Eisner a fait exploser les barrières de l'art séquentiel, alors Toth a certainement été celui qui a su le mieux en exploiter les contraintes académiques, en acceptant les limites pour mieux en exposer les charmes. 

Un comic-book magique par un des plus grands artistes américains du XXème siècle !

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