mercredi 2 décembre 2009

Critique 115 : PLANETARY, VOLUME 1 - ALL OVER THE WORLD AND OTHER STORIES, de Warren Ellis et John Cassaday


PLANETARY : ALL OVER THE WORLD AND OTHER STORIES rassemble les 6 premiers épisodes et le prologue de la série, créée et écrite par Warren Ellis et dessinée par John Cassaday, publiés en 1998-1999 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
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Commençons par planter le décor et présenter les acteurs.
Qui en sont les héros ?

- Jakita Wagner est l'archétype de la "femme forte", aussi bien par le caractère que par les capacités physiques. C'est la meneuse affichée de l'équipe, comme en témoigne sa langue bien pendue (elle évoque en cela Jenny Sparks, la chef d'Authority).
- The Drummer (Le Batteur) est un mélange de geek, de hippie et de fan de rock, dont le pouvoir lui permet de communiquer avec les machines (on notera que physiquement John Cassaday, le dessinateur de la série, lui a donné son visage).
- Elijah Snow est recruté au début de la série. Comme son nom le suggère, il a un pouvoir thermique. Toujours vêtu de blanc, il est comme Jenny Sparks d'Authority né le 1er janvier 1900. Personnage mystérieux et ambigu, il prendra une importance croissante dans l'orientation de Planetary (Cassaday a révélé s'être inspiré d'Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese, pour son apparence).
- Ambrose Chase, capable de manipuler des champs de force, a été tué en mission - ce qui explique l'engagement de Snow.
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Au coeur d'un désert, Jakita Wagner rencontre le seul client d'une roulotte métallique faisant office de bistrot, Elijah Snow, pour qu'il rejoigne une mystérieuse organisation appelée Planetary, moyennant un salaire annuel d'un million de dollars. 
Après avoir accepté cette offre, Snow fait la connaissance du Drummer, acolyte de Jakita, capable de communiquer avec les machines. Ils se rendent tous les trois sur différents théâtres de phénomènes extraordinaires. 
C'est ainsi qu'ils retrouvent le Dr Axel Brass (avatar de Doc Savage), explorent une île où gisent les cadavres de monstres, croisent la route du fantôme d'un policier honk-kongais, découvrent l'épave d'un vaisseau inter-dimensionnel, et enquêtent sur quatre astronautes disparus et mais apparemment toujours actifs depuis un accident cosmique (référence explicite aux Fantastic Four) qui se posent depuis comme les concurrents de Planetary pour la possession des secrets du monde.

L'idée centrale de la série créée par Warren Ellis était de constituer son propre univers mais basé sur des archétypes de super-héros, de justiciers de pulp-fiction et de science-fiction, et de personnages issus de toutes les formes possibles de la culture de masse, évoluant dans un monde où l'équipe de Planetary enquête sur eux et tous sont en définitive liés. La proposition initiale du scénariste tenait en ces mots : "A quoi ressemblerait l'aboutissement d'un siècle d'histoire de super-héros dans le monde contemporain du Wildstorm Universe? Et si on pouvait rénover tout cela ?"

Les quatre citations aux Eisner Award pour Planetary consacrent la réussite de sa collaboration avec l'artiste John Cassaday, crédité comme véritable co-créateur de la série.

Ce premier recueil, justement intitulé en v.f. Tout autour du monde et autres histoires, car on y voyage beaucoup dans l'espace, le temps et qu'on y découvre une grande variété de récits, comporte six chapitres tout à fait représentatifs de cette production mais, plus important encore, fournit un aperçu consistant des merveilleux mondes conçus par Ellis et Cassaday.

Dans ces six premiers épisodes, nous avons en effet droit à un retour sur la conquête spatiale entre russes et américains en passant par une relecture des films de monstres façon Godzilla (avec le deuxième volet), de fantômes de flics vengeurs (troisième volet), de justiciers du golden age (premier et cinquième volets, où le personnage du Dr Axel Brass est une citation de Doc Savage, qui va hanter durablement la série) et d'un clin d'oeil à Hulk (dans le prologue Printemps Nucléaire...) et Captain Marvel (la mésaventure de Jim Wilder dans Havres étranges)... 

Ces récits fonctionnent parfaitement individuellement mais, au bout du compte, forment la trame subtile d'une mythologie débutante et palpitante. C'est cela qui est le plus excitant avec Planetary. Chaque histoire est pleine d'imagination et jubilatoire, mais elles servent toutes à la composition d'un ensorcelant puzzle. Pièce après pièce, nous devinons qu'une entreprise plus vaste est en marche. 

John Cassaday illustre chacun des six épisodes ainsi que le prélude de 8 pages. Ses personnages possèdent tous une forte présence visuelle, avec des attitudes, des expressions naturelles. Cette sobriété facilite l'immersion du lecteur dans un récit complexe et fantaisiste. 

L'artiste parvient à donner une esthétique immédiatement mémorable à tous les concepts de l'histoire, même les plus extravagants (comme ce flocon de neige figurant un espace multi-dimensionnel). La conception graphique de la série contribue à lui conférer une grande puissance et même une authentique poésie. Cela compense l'impression que les planches paraissent parfois un peu statiques, même si certaines séquences (comme les fusillades dans un Hong Kong aux rues désertes) sont formidablement dynamiques.

Auteur fécond mais parfois expéditif et frustrant, Warren Ellis s'est, pour Planetary, donner le temps de développer ses idées : il s'agit à l'évidence d'un projet longuement mûri et méticuleusement écrit dès le premier épisode. Les trois héros vont de découvertes en découvertes, toutes plus surprenantes et magiques les unes que les autres. Lorsqu'ils agissent, ils se servent de leurs capacités merveilleuses avec mesure mais efficacité, aucun de leurs combats ne prend beaucoup de place mais est traité avec le maximum d'intensité, la narration va à l'essentiel.

Le plaisir de la lecture est augmenté par une intrigue complexe et jubilatoire, invitant à un voyage au long cours durant lequel Warren Ellis s'amuse visiblement à donner sa version de grands mythes fondateurs des comics de super-héros et de la pop-culture en général, avec des protagonistes aux caractères bien trempés comme il sait si bien les écrire. La démarche évoque celle d'Alan Moore avec The League of Extraordinary Gentlemen où il s'agit d'assimiler dans un univers original des personnages inspirés ou directement issus de diverses sources littéraires, la différence étant que Moore puise dans les textes du XVIIIème-XIXème siècle alors qu'Ellis est un contemporain et un futuriste.

Cette saga est exigeante, réclamant de la patience mais promettant en contrepartie un trip exaltant comme en attestent des indices parcimonieusement semés dans ces premiers chapitres. Soutenue par une imagerie exceptionnellement belle et inventive, cette aventure d'archéologues très spéciaux produit un émerveillement puissant et durable, qui rend ses lecteurs impatients de découvrir, comme les héros, la suite.  

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