vendredi 5 juin 2009

Critique 56 : MARVEL 1985, de Mark Millar et Tommy Lee Edwards



Marvel 1985 (titre original de cette mini-série) est un récit complet en six épisodes, initialement publiée en 2008, écrit par Mark Millar et dessiné par Tommy Lee Edwards. A l'origine, elle devait être illustré comme un roman-photo, avec des clichés, des collages, mais ce type de production, coûteuse et au résultat inégal, a été rapidement abandonnée par l'éditeur et l'auteur pour devenir une bande dessinée plus classique dans la forme.
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Un adolescent, Toby Goodman, a récemment commencé la lecture de la maxi-série Guerres Secrètes. Ses parents ont divorcé et il a peu d'amis, en dehors du vendeur de comics chez qui il s'approvisionne.
En accompagnant son père jusqu'à la maison de Clyde Wincham (un ami d'enfance de Jerry Goodman), Toby fait la connaissance du nouveau proprétaire, qui veut faire de cette demeure un hôtel ou une maison de repos. Cet homme veut se débarrasser d'une impressionnante collection de bandes dessinées, qui appartenait à Clyde, et l'offre à Toby et son père - mais celui-ci lui conseille plutôt de la revendre au comic-shop car elle vaut une fortune. Le jeune garçon en observant la batisse croit alors reconnaître Crâne Rouge (l'ennemi de Captain America) derrière une fenêtre, mais préfére se taire.
Toby garde son secret jusqu'à ce que, le soir venu, chez sa mère, il voit à la télévision une photographie prise en ville par un amateur du Vautour (adversaire de Spider-man). Dans la nuit, Toby décide de retourner à la maison des Wyncham et surprend une conversation animée entre le Dr Fatalis et l'Homme-Taupe
.
Fatalis sent la présence de l'intrus et envoie les créatures de l'Homme-Taupe à sa poursuite. Toby s'enfuit dans les bois jusqu'à ce qu'il heurte Hulk.
Hulk révèle à Toby qu'il traque le Fléau (ennemi des X-Men), transporté dans ce monde comme lui par une force inconnue. Le Fléau surgit justement et saute sur Hulk. Terrifié par ce choc de titans, Toby s'éloigne en courant.
Pendant ce temps, Jerry Goodman, le père de Toby, rend visite à Clyde Wyncham
dans une maison de repos : son ami d'enfance n'est plus qu'un légume, cloué sur une chaise roulante. Lorsque son père quitte l'endroit, Toby l'attend dehors et lui explique ce qu'il a découvert à la maison des Wyncham. Jerry répond à son fils qu'il ne doit plus aller là-bas et ne parler à personne de ce qu'il a vu.
De retour chez sa mère, Toby apprend que son beau-père est pressenti pour un job en Angleterre, ce qui les obligerait à déménager : cette perspective n'enchante pas le garçon qui monte dans sa chambre.
Dehors, l'Homme aux échasses
traverse la ville tandis que l'Homme-Sable et Electro agressent mortellement l'infirmière de Wyncham et son compagnon chez eux. Ces meurtres annoncent la prise de la ville par les super-vilains et la panique qui s'ensuit. Toby et son père tentent de s'échapper à bord du van de ce dernier sur le toit duquel atterrit le Lézard. Ailleurs, MODOK pousse plusieurs habitants à se noyer et le monstre Fing Fang Foom dévaste le port voisin tandis que l'armée commence à évacuer ls civils.
Après que son père ait fait demi-tour pour aller récupérer son ex-femme, Toby choisit de retourner à la maison des Wyncham, où il découvre un portail conduisant à l'univers Marvel. Le Piégeur
le surprend et le garçon n'a d'autre choix que de traverser ce passage interdimensionnel... Il atterrit alors au beau milieu d'une rue de New York City et interpèle les badauds : "Appelez les Vengeurs. C'est une urgence."
Le Piègeur poursuit Toby dans l'univers Marvel mais celui-ci lui échappe en montant dans un taxi. Le garçon se rend au Manoir des Vengeurs
mais il est congédié par le majordome Jarviss. Sans se décourager, Toby va au Baxter building où résident les 4 Fantastiques, mais ceux-ci sont absents. Finalement, il décide d'aller au siège du "Daily Bugle" pour y rencontrer Peter Parker dont il connaît l'identité secrète (Spider-man). Sur le toit de l'immeuble du journal, Toby est déséquilibré par une mouette et ne doit son salut qu'à l'intervention du Tisseur, qui consent alors à écouter son histoire.
Cependant, Jerry Goodman retrouve son ex-femme qu'il sauve d'une rencontre avec Wendigo
. Ils prennent la fuite ensemble lorsqu'ils voient, dominant la ville, la silhouette gigantesque de Galactus en train d'assembler son convertisseur cosmique pour dévorer la Terre. La situation semble désespérée lorsque, enfin, Toby réapparaît avec à sa suite une cohorte des plus grands super-héros de l'univers Marvel - Vengeurs, FF, X-Men. L'affrontement éclate entre les justiciers et leurs ennemis puis se concentre sur Galactus. C'est aors que le père de Toby sait comment en finir avant qu'il ne soit trop tard. Rejoignant Clyde, protégé par Electro et Crâne Rouge, il est avéré que l'ami de Jerry Goodman est en vérité un mutant surpuissant, le premier de ce monde, responsable de l'apparition des super-vilains dans cette dimension.
Plusieurs années auparavant, lors d'une nuit dramatique, il a été frappé par sa mère - qui visait, en fait, Jerry - alors qu'il avait attiré devant leur demeure la population locale, morts comme vivants, grâce à ses pouvoirs naissants. Profondèment affecté, aussi bien physiquement que mentalement, Clyde a invoqué ces personnages de l'univers Marvel pour se venger de la négligence avec laquelle on le traîtait depuis. Crâne Rouge, pressentant que l'intervention de Jerry pourrait tout bouleverser, l'abat mais provoque ainsi le réveil de Clyde qui renvoie toutes les créatures de fiction qu'il a appelées. Captain America
décide d'emmener Clyde dans l'univers Marvel, où il sera correctement pris en charge, mais aussi le père de Toby, à la demande du garçon.
20 ans après, Toby achève la rédaction de ce récit. Et son père se réveille dans un hôpital dans l'univers Marvel : il n'est donc pas mort mais a été plongé dans le coma et soigné par le Dr. Blake (alter ego de Thor). L'infirmière Jane Foster, dont Jerry était amoureux quand il lisait des comics dans son enfance, accepte son invitation à prendre un café lorsqu'il sortira. Puis, seul, il remercie son fils pour lui avoir offert cette seconde vie. Que reste-t-il à dire, sinon la formule chère à Stan Lee : "Excelsior".

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Pour tout fan de comics, qui était en âge d'en lire à l'époque, 1986 fut une année mémorable, un peu comme ceux qui virent les premiers pas de l'homme sur la lune en 1969 ou qui découvrirent la musique punk en 1977. Songez qu'alors parurent l'oeuvre-clé de Frank Miller, The Dark Knight Returns, et le chef-d'oeuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons, Watchmen !
C'est sans doute d'abord pour témoigner de l'importance de ce tournant historique survenu en 1986 que Mark Millar a d'abord conçu cette mini-série. Quand il écrivit Wanted, il en fit déjà l'année où les super-vilains prirent le contrôle du monde, comme un symbole du moment où les comics devinrent plus sombres, plus adultes.
Mais, plus humblement, 1985 est d'abord un réjouissant divertissement, davantage qu'une réflexion sur le genre : c'est en le considérant sous cet angle qu'on prend certainement le plus de plaisir à le lire.
En l'état, 1985 est une sorte de variation et de prolongement fantasmatique à Guerres secrètes, la saga publiée par Marvel à cette époque et qui mettait en scène les plus grands héros et vilains au coeur d'une lutte orchestrée par une entité extraterrestre surpuissante, le Beyonder. Aujourd'hui, les "event comics" constituent la norme, un crossover chassant l'autre, au risque de lasser le fan le plus indulgent et ne proposant pas toujours des idées aussi excitantes que celle à la base de Secret wars. Millar a lui-même "sacrifié" à ce genre dans le genre récemment en écrivant Civil War - et il a pu mesurer l'effort que cela demandait, et les compromis qu'un auteur devait accepter dans ce genre de mission. Or, c'est un scénariste qui n'est jamais meilleur que lorsqu'il rédige un projet pour une durée limitée, comm il l'a prouvé avec Wanted, Ultimates ou actuellement Old man Logan. Dans ces conditions, 1985, si elle présentait tous les aspects de l'entreprise qui énerverait encore plus ceux qui le conspuent, avait aussi toutes les chances de ravir ses aficionados.
Revisiter les évènements de 1985 via la plume de Millar, c'est comme profiter d'un plaisir d'initié, de pure nostalgie. C'est un peu l'équivalent d'Alice aux pays des merveilles dans le monde des super-héros, et à travers l'expérience que va vivre Toby Goodman, nous retraversons le miroir...
Dans 1985, les personnages du Marvel Universe investissent notre monde, cet endroit où ils n'existent que dans des revues. Ce récit développe un des thèmes les plus présents dans l'oeuvre récente de Millar : le bouleversement par un fait extraordinaire de la vie d'un adolescent, à l'âge où de profonds changements s'opèrent déjà en lui. Wanted montrait comment le héros était durablement affecté par le fait que son père l'ait abondonné. Kick-Ass met en scène un autre garçon qui décide de devenir un justicier masqué. Dans 1985, l'initiation de Toby ressemble à celle d'un conte, avec sa maison perdue dans les bois, où ont élu domicile des malfrats et dont l'apparition va chambouler toute son existence - et celle du monde qui l'entoure.
Cette intrusion d'un monde dans un autre est décrite sur un mid-tempo par Millar, qui prend tout son temps pour restituer l'atmosphère d'une petite ville côtière américaine afin de mieux nous faire ressentir le choc que va représenter l'irruption des super-vilains dans ce contexte ensuite. De la part d'un auteur réputé pour son sens du spectaculaire, cette introduction surprend - et déjouera sans doute les avis tout faits de ceux qui le dénigrent en se plaignant du systématisme de ses recettes narratives.
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Millar procède par touches, ce qui donne aux images - magnifiques d'expressivité, dans un style contrasté, tranchant avec les codes esthétiques classiques des comics - de Tommy Lee Edwards une grande force évocatrice : entr'apercevoir Crâne Rouge tel un spectre ou un mirage, put-être, derrière une fenêtre, ou assister à cette scène où l'Homme-Taupe offre à Toby et son père des comics, en ironisant sur l'existence des super-héros, donnent une saveur jubilatoire et un réalisme troublant au récit.
L'autre grande et belle trouvaille de ce livre, on la doit à Edwards lorsqu’au cours d'un basculement de l'histoire, quand Toby atterrit dans l'univers Marvel, le graphisme change pour un dessin au trait plus épuré, aux couleurs plus pâles et lumineuses, stigmatisant ce monde de fiction où les lignes morales et visuelles sont plus franches.
Encore une fois, on ne peut que reconnaître la chance incroyable qu'a Millar de profiter d'artistes de ce calibre, car Tommy Lee Edwards livre des planches extraordinaires. Il fait de la demeure des Wyncham l'archétype de la maison hantée, l'antre du mal, le coeur du drame ; de la première apparition du Vautour une image comme prise sur le vif qui vous saute au visage ; de la présence de Galactus un vrai morceau d'anthologie.
Cette façon de nous présenter les évènements toujours à hauteur d'homme rend chaque situation impressionnante et m'a personnellement rappelé la méthode avec laquelle des cinéastes comme Spielberg dans La Guerre des Mondes ou M. Night Shyamalan dans Signes rendaient compte de faits terrifiants sans oublier qu'ils touchaient des êtres ordinaires.
On ne peut que se réjouir que l'idée originelle pour illustrer 1985 à la façon d'un roman-photo ait été abandonnée au profit d'une illustration peut-être plus conventionnelle mais permettant d'apprécier un talent comme celui de Edwards.
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Alors si on peut trouver que Millar expédie un peu son dénouement, il n'en reste pas moins que 1985 est un mini-série tout à fait accomplie et atypique, visiblement très personnelle, comme une confession du scénariste sur son amour pour le genre, et plus globalement pour le média. C'est presqu'une synthèse tant il a convoqué des figures qui lui sont chères - la réaction d'un individu normal dans des circonstances anormales, le passage à l'âge adulte via l'épreuve de la perte d'un parent, la fascination pour les surhommes, l'influence de la lecture de récits imaginaires sur la réalité...
C'est en tout cas un bel hommage, écrit avec affection, admirablement dessiné, et aussi plaisant pour le fan que motivant pour le profane. Un vrai coup de coeur.

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