dimanche 4 février 2024

THE CURSE : coup de génie ou grand n'importe quoi ?


Whitney Siegel, architecte, et son mari Asher, promoteur, filment le pilote de leur émission de télé-réalité dans laquelle ils conçoivent des habitats éco-responsables à Española au NOuveau-Mexique. Soucieux d'intégrer la communauté amérindienne à leur projet, ils tentent de rassurer les locaux que leur ville ne va pas s'embourgeoiser. Mais quand ils sont interviewés par la journaliste Monica Pérez au sujet des parents de Whitney, considérés comme des marchands de sommeil, Asher s'agace et, pour éviter que cela ne figure dans le reportage, il promet des infos compromettantes sur la commission des jeux, ayant auparavant travaillé dans un casino de la région.


Alors qu'il tourne une scène en extérieur avec le producteur du show, Dougie Shecter, son ami d'enfance, Asher accepte à contrecoeur de donner de l'argent à Sala, une fillette marchande ambulante. N'ayant pas de monnaie sur lui, il propose d'aller en faire dans un commerce voisin mais la fillette se vexe et lui lance un sort. Peu après, Dougie montre les réactions d'un panel de téléspectateurs aux Siegel qui révèle que Asher n'est pas apprécié, contrairement à Whitney. Il pense que c'est là la conséquence du sort que lui a lancé Sala.


Le tournage reprend car la chaîne a commandé une saison entière du show. Mais les ennuis s'accumulent : Dougie, dont la femme a été tué dans un accident de la route alors qu'il roulait en état d'ivresse, n'a pas le moral et pour se détendre fait des farces de mauvais goût à Asher qui, pour chasser le mauvais oeil, loge Sala, sa soeur et leur père dans une maison à ses frais ; Whitney voit un couple intéressé par un de leurs habitats se désister et doit les remplacer par des acteurs amateurs du coin puis doit composer avec la visite surprise de ses parents sur le plateau.

 

Asher réunit des documents accablants sur le casino et les transmet à Monica Pérez. Whitney convainc difficilement son amie, l'artiste amérindienne Cara Duppont, de décorer ses maisons avec ses oeuvres mais ne se rend pas compte qu'elle se moque de sa manie de ne surtout pas vouloir choquer les locaux. Asher prend des cours de comédie pour paraître plus sympathique à l'écran avant de se fâcher avec le professeur tandis que Dougie se met à fréquenter Cara en veillant à ne pas sombrer de nouveau dans la boisson.


Toutefois des tensions apparaissent dans le couple Siegel après que Whitney ait confié face caméra ses différences d'ambition avec celles de Asher, en ayant profité au passage pour changer le titre de l'émission à son avantage. Lorsque Asher l'apprend, il confie à Dougie l'histoire de la malédiction dont il se croit victime et ne reçoit en retour que moquerie de la part de son ami. Asher lui adresse une remarque blessante au sujet de sa femme et Dougie le maudit à son tour.


Malgré ces difficultés, les Siegel mettent boîte les épisodes de la saison de leur show. Mais alors qu'il est mis à l'antenne, une ultime mésaventure les attend...


Six ans après le formidable et déjà très atypique Maniac (toujours dispo sur Netflix), c'est peu de dire que j'attendais avec curiosité la nouvelle mini-série à laquelle Emma Stone avait dit "oui". L'actrice oscarisée revient actuellement en force sous le feu des projecteurs avec le nouveau film qu'elle a tourné sous la direction de Yorgos Lanthimos, Pauvres Créatures, qui pourrait lui valoir une nouvelle statuette, et elle vient de rafler le Golden Globe de la meilleure actrice dans une série comique pour The Curse justement.


La série, diffusée sur Showtime et dispo sur Paramount +, a reçu un accueil élogieux de la critique et Christopher Nolan lui-même s'est fendu de commentaires dithyrambiques à son propos et concernant la performance de Stone. De quoi alimenter le buzz. Mais, pour ma part, je suis encore bien en peine pour me prononcer sur la qualité réelle de ces dix épisodes, oscillant entre le jamais-vu et le foutage de gueule.
  

La manière la plus simple d'aborder The Curse serait de dire qu'il s'agit d'une satire de la télé-réalité et notamment des émissions sur l'immobilier, comme on en voit des deux côtés de l'Atlantique (les productions de Stéphane Plaza par exemple). Certes les époux Siegel ne sont pas des agents immobiliers : Whitney est une architecte et son mari Asher une sorte de promoteur, mais dans les grandes lignes, ça ne change pas grand-chose, ils font leur beurre sur le concept d'habitat éco-responsable avec des "maisons passives" qu'ils veulent construire dans une ville moyenne du Nouveau-Mexique, en prétendant se soucier de la communauté amérindienne qui craint une gentrification de leur quartier.


A leur image, la série ne dévoile pas son jeu - sont-ils vraiment des individus si attentionnés ? Ou des opportunistes d'abord occupés à convaincre une chaîne de télé de commander une saison entière ? - et cela installe un malaise qui est très intense et durable à la fois. Plusieurs épisodes dépassent les 60' et la mise en scène étire les scènes pour souligner le décalage entre l'obsession de faire bonne figure des Siegel et le fait que les locaux se moquent ouvertement d'eux, de leur culture woke, de leurs préventions. Whitney doit composer avec des parents marchands de sommeil qui financent ses lubies écolos et Asher renoue avec Dougie, le producteur-réalisateur de l'émission, qu'il a connu plus jeune et dont il a subi le harcèlement. Dougie lui-même n'est pas un type très fiable puisqu'il boit plus que de raison alors qu'il a perdu sa femme dans un accident de la route en conduisant ivre et qu'il continue à humilier Asher (bientôt avec la complicité de Whitney).


Et puis donc il y a cette malédiction qui donne son titre à la série. Il s'agit en fait d'une blague de gamine qui a vu ça sur TikTok mais qui prend des proportions insensées auprès de Asher qui se croit vraiment envoûté quand il constate que des ennuis minent le tournage puis sa vie de couple. Rien, jusqu'au bout, ne lui fera croire le contraire. Et le téléspectateur en vient à douter quand, dans l'ultime épisode, franchement surréaliste, le pauvre Asher se retrouve dans une situation absolument grotesque et dramatique à la fois (bien entendu, je ne vais pas vous la révéler : il faut le voir pour le croire).

Il y a donc dans The Curse d'indéniables qualités, au niveau de la narration et de la réalisation. On peut même penser que si la série avait été intégralement tournée comme un faux documentaire (un "mockumentaire"), l'effet aurait été encore plus déstabilisant. Mais cela aurait sans doute exclu du csting une actrice aussi célèbre qu'Emma Stone alors que Nathan Fielder et Benny Safdie (à la fois acteurs, scénaristes et metteurs en scènes sur cette affaire) sont moins connus et donc plus aptes à se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas (soit ici un promoteur et un réal de télé-réalité).

Mais je dois avouer que je ne suis pas complètement rentré dans le délire concocté par Fielder et Safdie. D'abord parce que j'ai trouvé tout cela excessivement long. Dix épisodes de 50' en moyenne, sans vrai rythme, avec ce sentiment de malaise constant, savamment entretenu, c'est souvent laborieux. Les héros n'ont vraiment rien d'attachant, à aucun moment : soit il passe pour de pauvres cons, soit ils sont de vrais cons. Odieux ou stupides, les suivre pendant tout ce temps s'avère pénible, lassant.

Ensuite, si donc la dimension satirique est bien là, il est évident qu'elle ne suffit pas à définir la série. Mais alors de quoi cause exactement The Curse ? Nolan, dans ses compliments, explique qu'il a aimé la série parce qu'il n'a rien vu d'aussi inattendu, original et dérangeant depuis Twin Peaks. Mais Twin Peaks avait pour lui un cadre, le polar, qui permettait au téléspectateur, même le plus perplexe, de s'accrocher, avec la promesse (même illusoire) de la résolution du meurtre de Laura Palmer. Dans The Curse, il n'y a aucun cadre équivalent et c'est là où ça m'a perdu.

Il est question de comédie, sauf que je n'ai jamais ri durant ces dix épisodes (sinon au dernier, mais plus parce que la situation me sidérait que parce que c'était simplement drôle). Dans la comédie italienne par exemple, on n'hésitait pas à rire de personnages pathétiques, de situations scabreuses, mais les Siegel, Dougie et ceux qui les entourent provoquent plus de gêne que de rire. On a ce sentiment tenace et embarrassant que les auteurs ont voulu à la fois divertir et commenter le divertissement même, d'où cette impression d'assister à un spectacle trop prétentieux pour ce qu'il est, comme si la comédie ne lui suffisait pas. 

Ce métatexte est gonflant à force et si, effectivement, comme le dit Nolan, ça fait de The Curse un show vraiment singulier, ça en fait aussi, à mon avis, un objet un peu snob, un peu trop malin, pour être honnête, à l'image en fait de ce qu'il veut dénoncer (soit une certaine superficialité, mais aussi une peur de froisser certaines communautés). Pas sûr que ce message soit le bon au moment où, en vérité, la vraie transgression, c'est non pas d'avancer masquer pour dénoncer mais bien, comme le disait Cabu en évoquant son travail pour "Charlie Hebdo", de mettre une bonne baffe à la bien-pensance pour dire qu'on n'en a pas peur, qu'on ne se couchera pas devant elle. 

En vérité, The Curse n'est pas assez méchant, pas assez franc : c'est une série qui se veut insolente mais qui est trop maniériste pour être vraiment offensive, agressive. Et son dénouement, justement, ressemble trop à un terme farfelu, comme si les auteurs avaient surtout trouvé la dernière idée saugrenue à ajouter à l'ensemble plutôt que d'assumer un final où les masques seraient tombés et auraient révélé et la nature de la série et de ses personnages.

Entendons-nous bien : je n'ai rien contre la comédie sourire en coin telle que semblent l'apprécier Fielder et Safdie. En revanche, j'ai un vrai problème avec le fait qu'on prenne le téléspectateur de haut, comme si les créateurs voulaient lui faire sentir que leur série est trop intelligente, trop subtile pour lui. Et c'est bien ce que me semble être The Curse.

Emma Stone est excellente, soit dit en passant : la façon dont elle fait ressentir la maladresse, la fébrilité constantes de son personnage, est un vrai cours magistral. Elle éclipse sans mal Fielder et Safdie, qui n'ont pas un jeu aussi raffiné que le sien. Mais je l'avais nettement préférée dans Maniac, où elle investissait un personnage et une intrigue mille fois plus riches. Je peux comprendre que le projet l'ait attiré : c'est en effet une partition totalement dingue, et elle lui donne une attractivité indéniable. Mais bon, j'ai désormais plus que jamais hâte de la découvrir dans Pauvres Créatures (car Yorgos Lanthimos l'avait fabuleusement bien dirigée dans La Favorite).

Est-ce donc de l'art ou du cochon, The Curse ? Je crois que chacun aura une réaction tranchée. Mais pour ma part, ça m'a laissé sur le bas-côté.

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