mardi 6 février 2024

OLD : retour (presque) parfait pour M. Night Shyamalan


Sur le point de divorcer, Gary et Prisca Cappa emmènent leurs deux enfants, Maddox et Trent, en vacances dans un complexe hôtelier luxueux sous les tropiques. Trent, sur place, devient ami avec le neveu du directeur, Idlib, qui l'initie aux messages codés. En quête d'une sortie surprenante, les Cappa se voient conseiller la visite d'une crique abritant une plage privée.
 

D'autres résidents de l'hôtel les accompagnent : Charles, un chirurgien ; sa mère, Agnes ; sa femme Chrystal ; leur fille, Kara ; les époux Carmichael, Jarin et Patricia. Sur place ils trouvent Sedan, un rappeur qui scrute la mer. 


Peu après, Trent découvre le corps de la fiancée de Sedan. Charles l'accuse de l'avoir assassiné et veut aller prévenir les autorités. Mais après s'être engouffré dans une galerie, il perd connaissance. Quand il se réveille, il est à nouveau sur la plage. Des événements incompréhensibles et inquiétants se succèdent : Maddox, Trent et Kara vieillissent et deviennent des adolescents, Agnes meurt de vieillesse, Prisca perd connaissance, Sedan saigne du nez, Charles perd la tête...


Comme pour The Killer, récemment adapté par David Fincher, Pierre Oscar Levy et Frederik Peeters ont dû être drôlement surpris il y a trois ans quand M. Night Shyamalan, le réalisateur de Sixième Sens et Incassable, a acheté les droits de leur roman graphique Château de sable pour en faire son nouveau film. Même si le cinéaste a perdu de sa superbe depuis ses tonitruants débuts, il a su se réinventer dans des productions au budget plus modeste et attirer un nouveau public (le film a coûté moins de 20M $ et en a rapporté plus de 90 !).



Que se passe-t-il donc sur cette plage où le temps passe plus vite et accélère le vieillissement mais aussi détériore la santé des plus fragiles ? Tant que Shyamalan reste le plus fidèle possible à la BD de Levy et Peeters, Old est fascinant et tordu, digne de ses meilleurs longs métrages. On attend bien sûr le twist final dont il s'est fait le spécialiste tout en espérant qu'il ne se prendra pas les pieds dans le tapis. Enfin... On l'attend sans l'attendre car le roman graphique se dispensait d'expliquer le mystère de cette crique et c'était tout aussi bien.


Mais Shyamalan n'a pas résisté et c'est dommage. Il nous impose une sorte de happy end inutile et maladroit, dont je ne vous dirai rien mais qui, pour ma part, m'a paru aussi superflu que raté. Ce n'est pas un bon twist, en tout cas pas aussi bon que ce que le cinéaste a pu inventer dans Le Village (à mon sens, son chef d'oeuvre, même si ce film est rarement cité) - surtout il ne vous sidère pas puisqu'il veut surtout expliquer les événements et non surprendre le spectateur avec une idée inattendue.

Avant cela, pourtant, M. Night Shyamalan fait de Old une oeuvre fascinante, envoûtante. Sa mise en scène privilégie les mouvements de caméra latéraux, allant et venant de droite à gauche et de gauche à droite, d'un personnage à un autre. Parfois le cadre prend de la hauteur et en plongée nous montre les protagonistes dans ce décor étroit comme si la mer d'un côté et les parois rocheuses de la crique enfermaient les héros et que le spectateur les examinait comme des rats de laboratoire. Parfois, encore, le cadre saisit les personnages en contre-plongée, nous faisant alors croire qu'ils dominent la situation.

D'un point de vue strictement formel, Old a tout de l'exercice de style : Shyamalan exploite au maximum ce décor d'abord paradisiaque puis cauchemardesque et dans le même plan réussit à lier deux événements aussi sidérants que la découverte d'un cadavre et deux adolescents qui, la scène avant, étaient encore enfants. Le trouble qui en résulte est suffisamment puissant pour créer un malaise durable.

Le lieu de l'action, sa théâtralité, donne au réalisateur l'occasion de filmer les corps comme il aime à le faire, en en révélant la sensualité et la fragilité. Par exemple, Maddox devient une ado aux formes pulpeuses que trahit son visage angélique : elle est déjà une femme mais avec des traits qui ne correspondent pas complétement à son nouvel âge. Chrystal a d'abord tout d'une bimbo avec sa ligne de top model et son maquillage trop prononcé mais ensuite on découvre qu'elle souffre d'hypocalcémie, ce qui la condamne dans les tourments de cette intrigue à une mort particulièrement horrible (que Shyamalan filme à la manière d'une scène d'épouvante, un peu grand-guignol). 

Une mise au point floue indique quand un autre personnage commence à perdre la vue. Le son qui se coupe quand un autre perd l'audition. Un décadrage subtil quand un autre encore bascule dans la folie. Même dans le moment le plus scabreux de l'histoire, où deux enfants font l'amour sans presque s'en rendre compte, Shyamalan fait preuve d'inventivité en restant très près d'eux, suggérant plus qu'il ne montre car le vrai choc interviendra ensuite.

Shyamalan est un scénariste qui sait ménager ses effets et il distille les révélations avec un sens du tempo infaillible. Il peut aussi s'appuyer sur des acteurs qui, sans être des stars comme celles qu'il avait devant son objectif à ses débuts, sont tous de solides comédiens, parfaitement choisis : de Gael Garcia Bernal à Rufus Sewell (terrifiant) en passant par Vicky Krieps ou Abby Lee Kershaw. Je retiendrai surtout Aaron Pierre qui donne à Sedan une dimension tragique intense.

Et puis il y a les trois acteurs les plus jeunes : pour les besoins de l'intrigue, il a fallu trois interprètes pour camper Maddox, Trent et Kara apparaissent à divers âges (entre 6 et 16 ans, puis adultes pour Maddox et Trent dans la dernière partie). Luca Faustino Rodriguez est excellent en petit garçon espiègle (alors joué par Nolan River) qui devient un ado affrontant des épreuves dramatiques, tout comme Eliza Scanlen fabuleuse en gamine confrontée à une puberté extraordinaire. Mais surtout il y a Thomasin McKenzie, qui incarne Maddox avec un mélange de candeur, de détermination et de féminité précoce de manière tout à fait sensationnelle : ce n'est pas la première fois que je le dis mais cette jeune actrice est vraiment incroyable de nuance dans son jeu et de présence à l'image.

Quel dommage que M. Night Shyamalan n'ait pas su arrêter le film au bon moment. Sans ce petit trop, il signait une série B magistrale, dont le mystère aurait laissé le spectateur s'interroger longtemps, hanté par cette plage mortelle. Mais que cela ne vous décourage pas de regarder Old : c'est quand même un opus très recommandable et puis, surtout, ensuite lisez Château de sable de Levy et Peeters.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire