lundi 15 janvier 2024

UN MEURTRE AU BOUT DU MONDE marque le retour des créateurs de The OA

Ce qui suit ne contient pas de spoilers !


Darby Hart, une jeune hackeuse, est invitée par le milliardaire Andy Ronson à une retraite en Islande après la parution de son livre où elle revient sur l'enquête qu'elle a menée six ans auparavant pour débusquer un tueur en série en compagnie de Bill Farrah, devenu depuis un artiste contemporain sous le nom de "Fangs". Dans le jet privé qui l'emmène à l'hôtel luxueux de Ronson, Darby fait la connaissance des autres invités : un cinéaste, une astronaute, un roboticien, un ancien prisonnier politique écologiste, un homme d'affaires, une poétesse, une urbaniste futuriste...


A leur arrivée, ils découvrent les installations high-tech de l'endroit où ils vont séjourner pendant une semaine, loin de tout. Darby espère rencontrer la femme de Ronson, Lee Andersen, une ancienne hackeuse comme elle, et désormais mère de Zoomer, le fils d'Andy. Le soir venu, ils s'attablent pour un dîner et découvrent le but de cette réunion : imaginer des solutions pour l'avenir qui s'annonce sombre à cause du désastre environnemental. Surprise : Bill "Fangs" Farrah se joint aux invités !


Après le repas, Darby va frapper à la porte de son ami mais entend à l'intérieur de la chambre des bruits curieux. Elle sort de l'hôtel et assiste à l'agonie de Bill. Sian Cruise, l'astronaute, déclare peur après son décès par overdose et le lendemain une ambulance vient prendre le corps. Darby, cependant, ne croit pas à cette version des faits et suspecte un meurtre. La seule qui la soutient, discrètement, est Lee dont la jeune femme découvre qu'elle a eu une liaison avec Bill qui est le père biologique de Zoomer...
 

Et si Lee aide Darby à enquêter sans que Andy ne s'en aperçoive (mais cela lui échappe-t-il pour autant ?), c'est parce qu'elle prévoyait de quitter son mari, réclamant la garde exclusive de son fils. De quoi en faire le principal suspect du meurtre... Jusqu'à ce qu'un autre invité succombe à une crise cardiaque après que Darby l'ait surpris en train d'envoyer des messages lumineux en morse au loin et n'apprenne son amitié avec Bill...


Les investigations de Darby vont l'amener à s'allier à Sian Cruise avant qu'à son tour, celle-ci ne soit providentiellement éliminée... Comme elle l'avait fait six ans avant, Darby persévère dans son enquête jusqu'à l'obsession, au mépris du danger. La vérité sur ces meurtres confondra un assassin inattendu...
 

En 2019, Netflix annonçait ne pas renouveler pour une troisième saison la série The OA, créée, écrite et réalisée par Brit Marling et Zal Batmanglij, qui avait prévu une histoire en cinq actes. Un vrai crève-coeur pour les fans dont je faisais partie et que je considérai comme le show le plus insensé produit depuis le début des années 2000.

Alors quand Disney a révélé produire pour la chaine FX la nouvelle série du tandem Marling-Batmanglij, évidemment, ce fut avec impatience que je me mis à attendre la mise en ligne de A Murder at the End of the World (soit "Un meurtre à la Fin du Monde", qui traduit littéralement est beaucoup plus signifiant que "au bout du monde") fin 2023.
 

Ce qui frappe d'entrée de jeu, c'est le dispositif classique de la série : il s'agit d'un whodunnit ?, un format policier remis au goût du jour par Rian Johnson via ses deux films pour Netflix, Knives Out, et sa série Poker Face sur Peacock (et en France sur MyTF1 désormais). Une succession de meurtres a lieu dans un espace-temps limité et un détective (amateur ou non) se met en quête du coupable, à ses risques et périls. On est donc loin (a priori) en termes d'écriture et d'audaces narratives, de The OA. Mais ça ne veut pas dire que Marling et Batmanglij ont choisi la facilité et ne livre pas un show renversant.

D'abord, on note que, comme dans The OA, le récit se déroule sur deux époques : au temps présent, on suit donc Darby Hart, jeune hackeuse britannique, dans cette retraite en Islande où elle se demande pourquoi Andy Ronson, un milliardaire de la tech, l'a invitée (à moins que ce ne soit son épouse, Lee, elle-même ancienne pirate informatique), au milieu de sommités dans leur domaine (une astronaute, une urbaniste, un roboticien, etc.). Dans le passé, six ans auparavant, on suit Darby, à peine sortie de l'adolescence, assistant son père médecin-légiste sur des scènes de crime horribles, et passionnée par les "cold cases", échangeant sur Internet avec Bill Farrah, lui aussi féru d'affaires  non élucidées, sur un sérial killer obsédé par les bijoux en argent.


A partir de là, on croit, naïvement, que les deux histoires vont se répondre et peut-être même converger (par exemple en intégrant le sérial killer du passé parmi les invités de Ronson). Mais ce serait trop simple et pour tout dire convenu. Non, en vérité, ce qui s'est passé il y a six ans a bien un impact sur le présent dans la mesure où les investigations menées par Darby et Bill ont eu raison de leur couple mais surtout sur Darby qui va être à nouveau plongée dans une affaire d'homicide et se laisser déborder par ses obsessions.

Ce traumatisme fondateur rappelle aussi celui de Prairie, l'héroïne de The OA, prise en otage par un savant fou qu'elle a réussi à fuir sans pour autant oublier les autres cobayes qu'il détenait. Mais Marling et Batmanglij ont inversé les cadres : la captivité de Prairie avait lieu dans le passé et dans une maison isolée tandis que son présent se déroulait dans une ville de province alors qu'ici Darby a passé sa jeunesse dans le Midwest et se retrouve six ans plus tard coupée du monde au fin fond de l'Islande, dans un hôtel pris au piège dans un tempête de neige. Mêmes motifs mais inversés.

En revanche, la dimension fantastique qui existait dans The OA a été gommée de Un Meurtre au Bout du Monde. On peut interpréter ça de bien des façons mais les auteurs ne se sont pas épanchés en explications. Peut-être ont-ils préféré revenir avec un produit plus carré, moins vertigineux, pour rassurer une major comme Disney (quand bien même la série est diffusée sur FX, une chaîne plus modeste donc plus susceptible d'héberger une série moins conventionnelle).

Néanmoins, encore une fois, ne pas croire que la relative banalité du format revient à faire une série convenue. Ici, Marling et Batmanglij ont certes délaissé le fantastique mais ont investi la technologie, le futurisme. Si, avant de suivre les sept épisodes du show, vous étiez encore optimiste sur l'Intelligence Artificielle, après ce ne sera plus le cas. Cette avancée révolutionnera sans doute favorablement certains champs, mais elle aboutit à une dérive et, dans la série, à une menace glaçante. Sans rien déflorer du coupable et de ses motivations, on peut dire que l'outil que représente l'AI est comme tous les instruments : mal ouvragé, mal réfléchi, il devient tout le contraire d'un bénéfice pour son créateur et utilisateur.

La clé du mystère se loge dans une page du livre qu'a tiré Darby de l'aventure partagée dans le passé avec Bill Farrah qui pensait la figure du tueur en série comme un programme défaillant. Cette indication d'abord cryptique oriente le dénouement de manière dramatique et très originale et le coupable se révélera dans un twist tragique. C'est certes moins vertigineux que The OA (mais comment pourrait-il en être autrement ?), pas moins bouleversant.

La galerie des personnages permet une fois encore d'apprécier l'écriture ciselée de Marling et Batmanglij, qui réussissent à camper des individus variés, originaux, ayant tous une personnalité unique, marquée. Vous aurez rarement l'occasion de savourer une distribution d'ensemble aussi riche, en identifiant rapidement qui est qui alors que les épisodes continuent d'entretenir un suspense tendu. 

La réalisation, partagée en les deux créateurs (qui se relaient d'un épisode à l'autre), fait preuve d'une cohérence esthétique époustouflante, exploitant les décors magistralement. Qu'on soit sur la route avec Darby et Bill dans le passé ou dans cet hôtel, version moderne de l'Overlook Hotel de The Shining, avec sa forme sphérique, comme une boucle spatio-temporelle, véritable bocal dans lequel s'agitent impuissants les protagonistes, l'expérience est immersive. Et lorsque les personnages sortent pour s'aventurer, à l'occasion d'une randonnée, d'une filature, d'une investigation clandestine, dans la blancheur immaculée et inhospitalière de l'Islande, la fascination et l'effroi se disputent notre attention.

Brit Marling s'est réservée un rôle mais secondaire en incarnant Lee Andersen à laquelle elle prête son côté éthérée, forte et fragile à la fois. Clive Owen joue Andy Ronson avec un mélange de froideur et de rage éruptive tout à fait spectaculaire. Alice Braga se distingue aussi dans la peau de l'astronaute Sian Cruise tandis que Harris Dickinson interprète parfaitement Bill comme s'il avait traversé les années intact.

Pour être Darby, leur héroïne, les auteurs ont misé sur l'excellente Emma Corrin. Depuis qu'on l'a découverte en Diana Spencer dans The Crown (saison 4), la comédienne anglaise choisit méticuleusement ses projets en veillant à ne pas s'enfermer dans une partition mais en privilégiant les rôles forts. Ainsi, était-elle remarquable dans L'Amant de Lady Chatterley en 2022, et elle l'est encore ici dans la peau de cette hackeuse qui mène l'enquête dans un contexte particulièrement périlleux - au point qu'on se demande si, au début, elle ne se raconte pas une histoire, peut-être par pulsion morbide...

Emma Corrin s'est ouverte récemment sur la possibilité d'une saison 2 d'Un Meutre au bout du monde, même si, de leur côté, Brit Marling et Zal Batmanglij n'ont pas renoncé à finir The OA en convainquant un nouveau producteur-diffuseur. Quoiqu'il en soit, on sera heureux de retrouver les uns et les autres (même si j'avoue que la complétion de The OA serait un cadeau idéal). Ce qui est certain, c'est que je continuerai à suivre de près Emma Corrin et le prochain effort du duo Marling-Batmanglij.

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