jeudi 14 décembre 2023

MASTERPIECE #1, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Masterpiece marque les retrouvailles de Brian Michael Bendis et Alex Maleev. Ce sont aussi mes retrouvailles avec eux, ce duo qui m'a tant plu par le passé. Et cerise sur le gâteau, c'est un creator-owned, publié par Dark Horse Comics, qui est désormais la nouvelle maison du scénariste. S'il est encore trop trop pour savoir s'il s'agira effectivement d'un chef d'oeuvre, c'est déjà entraînant.


Emma est une brillante étudiante que le FBI vient arrêter en plein cours. Elle est conduite chez Zero Preston, un richissime producteur de films qui lui apprend que ses parents étaient de redoutables voleurs l'ayant dépouillé d'un milliard de dollars. Mais il ne souhaite pas se venger d'eux mais de quelqu'un d'autre. Et compte sur Emma pour l'aider...


Quatre après Event Leviathan chez DC Comics, Brian Michael Bendis renoue donc avec son complice Alex Maleev pour cette création originale. Il s'est passé beaucoup de choses depuis leur précédente collaboration.


Souvenez-vous : en 2017, Bendis surprenait tout le monde en quittant Marvel dont il avait été l'architecte principal depuis le début des années 2000, aussi bien dans l'univers classique que dans la gamme Ultimate de l'éditeur. Et pour passer chez DC qui lui offrait d'écrire le titre de ses rêves : Superman.


Mais l'aventure a tourné court : sans démériter, Bendis a animé les aventures de Superman dans ses deux séries pendant un an et demi, puis un changement de direction chez Warner, propriétaire de DC, a tout bouleversé. Pour résumer, un vaste plan social a abouti à une vague de licenciements et à la rupture de contrats d'exclusivité pour nombre d'auteurs, parmi lesquels se trouvait Bendis.

Transféré sur Justice League, le scénariste n'y aura pas fait long feu et encore moins preuve d'inspiration. Son imprint, Wonder Comics, au sein duquel on suivait Young Justice, Wonder Twins, Dial H for Hero, Naomi, fut supprimé dans la foulée. DC ne retint pas plus longtemps Bendis qui trouva vite refuge chez Dark Horse où il transféra ses propriétés (Scarlet, The United States of Murder Inc., Powers, Pearl, Cover).

Et depuis ? Pas grand-chose. Celui qui fut un temps le maître du monde chez Marvel continuait de produire mais ses projets passaient sous le radar des critiques et du public. Qui a lu The Ones (dessiné par Jacob Edgar) ? Bendis était-il fini ?

Je l'avoue, même moi qui fut un grand fan, je me suis progressivement désintéressé de ce qu'il écrivait. Je juge son passage chez DC globalement passable (son run sur Superman est le plus intéressant, mais celui sur Action Comics a vite sombré, Event Leviathan et sa suite sont pénibles, Young Justice quelconque, et ses creator-owned très inégaux). Je n'ai jamais compris son départ de chez Marvel (où Fantastic Four lui tendait les bras et où de toute façon on lui proposait ce qu'il voulait).

Tandis que Mark Millar a fait fortune en vendant son label à Netflix et en passant récemment de Image Comcis à Dark Horse lui aussi, Bendis semblait s'être perdu. Jusqu'à l'annonce de Masterpiece et sa réunion avec Maleev.

Ce premier épisode (sur six) nous présente Emma, une jeune fille qui n'a jamais connu ses parents, et qui apprend qu'ils étaient les plus grands voleurs du monde. Une de leurs victimes enlève Emma mais a renoncé à se venger de ses géniteurs, estimant même que ce fut un honneur d'être leur cible. En revanche, il croit que Emma a hérité des talents familiaux et donc peut l'aider à s'en prendre à quelqu'un d'autre.

C'est immédiatement prenant et le rythme est soutenu, on ne s'ennuie pas une minute. Les dialogues sont un régal, Bendis n'a pas perdu la main de ce côté. L'héroïne a du répondant tout en étant légitimement surprise. L'équilibre entre l'extraordinaire (la révélation sur ses parents, le projet de Zero Preston) et l'ordinaire (elle est vexée que Gleason, qui s'occupe d'elle, lui ait menti tout ce temps, ses relations avec Lawrence Ferra, son meilleur ami, son trouble face à cet inconnu qui neutralise des agents du FBI qui la surveille et qui lui demande de la suivre si elle ne veut pas être l'instrument de Preston éternellement) est parfait.

Et puis comment ne pas attendre quelque chose de spécial de Maleev ? Voilà un artiste constamment en mouvement, et sa complicité avec Bendis a fait des miracles par le passé (sur Daredevil ou Scarlet). Sauf que pour l'artiste aussi, c'est un retour à quitte ou double. On n'a pas lu des planches dessinées par lui depuis un bail, il gagne sa vie en produisant des commissions art qu'il poste avant sur Twitter (et qui prouve qu'il a conservé intact son talent, notamment d'aquarelliste).

Maleev, ici, confirme l'évolution de son style entamé depuis des années, vers plus de simplicité. Ceux qui n'aimeront pas pointeront du doigt des décors parfois légers, un découpage très classique. Mais moi, j'aime beaucoup ce que je considère comme une épure. Il va à l'essentiel et certains plans sont d'une beauté implacable.

Le dessinateur n'a pas le trait le plus dynamique du monde, la scène d'affrontement entre l'inconnu à la canne et les agents du FBI semble se dérouler au ralenti. Tout a un côté un peu figé, comme si Maleev soignait surtout l'image qui allait résumer au mieux ce que le script lui donne. Mais encore une fois, ce n'est pas commun, ça ne ressemble à personne d'autre, c'est immédiatement identifiable. Et cet aspect finalement très théâtral(isé) a quelque chose de fascinant dans sa manière de fixer le moment et de capter l'attention.

Si je n'ai pas caché ma déception sur la tournure de la carrière de Bendis et ma frustration vis-à-vis de celle de Maleev, tout en en voulant pour la façon cavalière qu'a eu DC de les traiter, c'est un vrai plaisir de lire Masterpiece, de les retrouver, et pour quelque chose de qualité. Vite la suite !

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