Mark Millar et Pepe Larraz concluent ici leur event, Big Game, avec non pas un double mais un triple épisode, soit soixante pages de BD. Et putain, quel final ! Ne cherchez pas, ni chez DC ni chez Marvel, c'est celui-ci, le meilleur event que vous lirez, que vous ayez lu depuis des lustres, celui qui est le plus réjouissant, le plus spectaculaire, le plus maîtrisé.
Diabolos le sorcier envoyé à notre époque par Morax avec son armée pour conquérir la Terre rencontre Wesley Gibson et sa Fraternité. Ils conviennent d'une alliance plutôt que perdre chacun leurs hommes dans une guerre. Hit Girl, elle, observe la scène et entend bien contrarier ce qui est en train de se jouer...
Les events et moi, comme qui dirait, ça fait deux. Je n'ai jamais vraiment apprécié ces grandes sagas et encore moins depuis qu'elles se sont multipliées. Il y eût un temps où on y avait droit une fois par an, mais désormais les éditeurs, Marvel en premier lieu, les enchaîne volontiers au cours d'une même année.
On peut admettre la logique commerciale derrière tout ça : si le marché des comics ne se porte pas très bien (et que les gros éditeurs ne font pas d'effort pour attirer de nouveaux lecteurs, entre une continuité écrasante et des prix élevés pour les revues comme les recueils), les events sont des sortes de rendez-vous fédérateurs où les fans peuvent, dans une même histoire, trouver une majorité de personnages qu'ils apprécient.
Mais cela ne suffit pas à faire de bonnes histoires. Réfléchissez au nombre de fois où vous avez lu un event et, en le terminant, vous avez été frustrés par son postulat, son développement, son dénouement, voire les trois à la fois. C'est comme un tour de manège : on savoure sur le moment, mais qu'en reste-t-il une fois qu'il est fini ? Pas grand-chose souvent si ce n'est une ivresse provisoire.
Pour ma part, il y a surtout deux points qui le fâchent avec les events : le premier, c'est que ces histoires coupent des séries dans leur élan. Les mensuels doivent suivre une intrigue générale alors qu'elles traitaient les leurs. Et ça, franchement, c'est horripilant. Surtout quand une série doit composer avec un event alors qu'elle n'a que quelques mois d'existence.
Le second point qui m'agace, c'est, le comble, le manque de répercussions sensibles sur l'univers partagé. Il se passe des choses énormes dans l'event, mais ensuite c'est comme si la vie reprenait sans que cela ait eu un véritable impact sur les personnages, leur environnement. On voit des villes ravagées par des batailles dantesques et le mois suivant, les immeubles sont à nouveau debout, comme les héros qui ne paraissent jamais traumatisés par ces crises.
On en est arrivé à un stade où les events semblent se dérouler dans une sorte de bulle, un peu comme au début de la série Crossover de Donny Cates et Geoff Shaw avant que ladite bulle n'éclate et ne bouleverse le monde (mais même Donny Cates n'a pas su exploiter cette idée pourtant brillante). A quoi bon alors ?
Quand Mark Millar a annoncé Big Game et a même précisé que cet event concernerait tout ce qu'il avait écrit depuis vingt ans en creator-owned, je me suis sérieusement demandé pourquoi. Pourquoi succombait-il à son tour à la tentation, lui le scénariste de Civil War (première du nom et dernier véritable event Marvel à avoir un succès hors normes) ? Et puis je me suis demandé : comment ? Comment allait-il écrire une histoire qui impliquerait des héros d'époque et de styles si différents ?
Lorsque Millar a ensuite déclaré que Pepe Larraz dessinerait Big Game, forcément, le projet a pris une envergure nouvelle. Déjà emprunter le nouveau dessinateur star de Marvel était un joli coup mais en plus lui donner à dessiner tous les héros de son MillarWorld, ça faisait envie. Pour autant, rien n'était gagné : Millar a débauché de nombreux cadors et pas toujours pour aboutir à des chefs d'oeuvre.
La lecture des épisodes a pourtant convaincu le fan dubitatif que je suis. Il y avait un vrai souffle et surtout une vraie audace dans ce jeu de massacre absolu où Millar semblait vouloir décimer son catalogue comme un gamin qui casse ses jouets. C'était authentiquement surprenant. Et visuellement puissant, Larraz ayant bénéficié de tout le temps qu'il désirait pour produire ses plus belles pages, assisté d'une coloriste géniale, Giovanna Niro.
Comme il en a désormais pris l'habitude, au lieu d'accoucher d'une mini-série en six chapitres, Millar terminerait par un épisode double qui allait, promettait-il, nous scotcher et nous prendre au dépourvu. Lorsque la couverture de ce cinquième épisode a été dévoilée pourtant, c'est avec méfiance qu'on l'accueillit car elle semblait surtout promettre une pirouette facile (Cordelia Moonstone ressuscitant toutes les victimes des quatre précédents épisodes). Mais Millar, sur Twitter, assurait que, non, ce n'était pas si simple...
Bon, allez, j'arrête de tourner autour du pot mais ça ne veut pas dire que je vais vous faire le coup de l'ouvreuse. En tout cas, je peux vous assurer que, effectivement, Millar n'a pas cédé à la facilité et que non l'Ordre Magique n'intervient pas à la dernière minute pour tout réparer. Cordelia Moonstone n'est pas celle par qui le miracle arrive. Et la magie n'y joue qu'un rôle finalement secondaire.
En vérité, ce qu'a mijoté Millar est plus subtil et quelque part mélancolique que ça. Un peu à la manière de Avengers : Endgame, il a préféré puiser dans les origines de l'univers qu'il a bâti pour boucler la boucle et ce sont donc des personnages des tout débuts du MillarWorld qui vont dénouer le récit.
Il y a bien une bataille, et elle est absolument ENORME. Je peux me tromper, mais j'ai l'impression que Millar a aussi pensé à The New Frontier de Darwyn Cooke (qui aurait eu 61 ans cette semaine - Et qui manque toujours autant). Voyez cette double page ci-dessus (image 3) avec cette troupe de héros et dîtes-moi qu'elle ne vous fait pas penser à cette double page du chef d'oeuvre de Cooke :
Et en fait c'est là que Millar réussit où les autres ont échoué : il y va à fond dans l'héroïsme. Il a écrit la chute des super héros pendant quatre épisodes, la situation est désespérée. Et puis non. Il ose une astuce, un twist ahurissant et nous livre ce qu'on attendait : une baston du feu de Dieu, des pages de folie. Il le fait parce qu'il n'a rien à perdre : ce sont ses personnages, son univers, 20 ans de création. Il est libéré des conséquences pour après Big Game. Ce qu'il nous offre, ce n'est pas le nouveau monde, un nouveau MillarWorld. Non, il s'agit du bouquet final d'un feu d'artifice. Donc, oui, ça va péter, on va en prendre plein la vue, on va jubiler, même quand il ne s'agit que de montrer sur une page le retour d'un héros ou un clin d'oeil adressé à une de ses séries qu'il n'a pas finalement pu intégrer à son intrigue.
On lit ça comme un gamin, le sourire aux lèvres, ravi de la crèche. C'est fun, c'est intense, c'est too much, c'est bigger than life, ça n'a peur de rien. Il y a une forme de candeur dans tout ça, on est là pour s'amuser, prendre du plaisir. Millar nous le donne au centuple, c'est plus un comic-book, c'est la fête, c'est carnaval. C'est décomplexé et assumé. Et ça fait un bien fou car ce n'est pas sérieux, ce n'est pas la fin du monde, c'est juste un kif de scénariste qui célèbre 20 ans de travail perso.
Et Pepe Larraz semble lui aussi s'amuser comme un fou. Contrairement aux précédents et prestigieux partenaires que s'est offert Millar, il n'a rien créé dans Big Game. Mais il s'est approprié les créations de ses illustres pairs avec une virtuosité jamais prise en défaut.
Oh, ça, il a quand même dû en baver pour mettre tout ce monde dans des planches pareils, il a dû escalader une sacrée montagne. Mais il a eu le luxe que ne lui offre pas Marvel : du temps et une partenaire surdouée à la colo. Il en a fait le meilleur usage pour dégainer des plans ébouriffants, comme si sa réputation en dépendait, comme s'il fallait être à la hauteur du rendez-vous, de son scénariste, de l'événement. On ne peut qu'être plein de gratitude pour un artiste qui fait de tels efforts et pour Millar pour lui avoir donné des conditions de travail aussi excellentes (pour cela, quoi qu'on pense du scénariste, c'est un grand seigneur : il paie ses artistes mieux que quiconque et leur donne tout le temps qu'il faut pour travailler au mieux).
On le sent, à chaque plan, chaque page, les deux hommes se sont trouvés - et Millar d'assurer qu'ils retravailleront ensemble. Larraz ne se fera pas prier, même si Marvel ne va pas le lâcher (quitte à lui filer un event au pitch pourri en 2024 - Blood Hunt avec plein de super héros et encore plus de vampires, écrit par un scénariste aussi moyen que peut l'être Jed MacKay).
Qu'ajouter ? Lisez Big Game ! Le TPB sort dès le mois prochain en vo, et Panini ne devrait pas tarder à le traduire. Bon sang, croyez-moi quand je vous promets que vous allez prendre votre pied parce que Millar et Larraz ont vraiment sorti le grand jeu jusqu'au bout.
Merci.
RépondreSupprimer