dimanche 15 octobre 2023

UNCANNY X-FORCE, de Sam Humphries, Ron Garney, Adrian Alphona, Dexter Soy, Ramon K. Pérez, Dalibor Talajic, Philippe Briones et Angel Unzueta

J'ai récemment fait l'acquisition pour un très bon prix de l'intégralité du run de Sam Humphries sur Uncanny X-Force en floppies. Parus entre 2013 et 2014, ces 17 épisodes ont suivi le run de Rick Remender, beaucoup plus mémorable. Pourtant, le travail de Sam Humphries mérite d'être (re)découvert et c'est ce que je vous invite à faire aujourd'hui (en me contentant des 15 premiers chapitres, car les deux derniers font partie d'un crossover avec l'autre série du scénariste, Cable & X-Force, qui n'est pas indispensable).



Sam Humphries a découpé son run en trois parties, trois arcs narratifs qui ont chacun été traduits en France dans la revue All-New X-Men mais jamais réunis en albums sauf en vo. Les six premiers épisodes sont au menu de Let It Bleed (hommage au titre du LP des Rolling Stones) et sont dessinés par Ron Garney (#1-4), Adrian Alphona (#3-6) et Dexter Soy (#5-6).


Après la dissolution de l'ancienne formation d'Uncanny X-Force, Psylocke a intégré en tant qu'enseignante l'école Jean Grey dirigée par Wolverine. Mais celui-ci n'apprécie pas sa manière trop agressive de se comporter avec les élèves et l'envoie en mission à Los Angeles en compagnie de Tornade. Sur place les attend Puck qui les informe qu'une nouvelle drogue, le Tao, fait des ravages et que celle qui alimente le marché n'est autre que Spiral. Or, c'est elle qui, jadis, a transféré l'esprit de Betsy Braddock dans le corps de Kwannon !


Cependant, toujours à Los Angeles, Lucas Bishop resurgit après avoir été banni dans le futur, mais il n'est pas dans son état normal. Il traque une jeune mutante, Ginny, qui est sous la protection de Spiral. Tornade et Puck convainquent Psylocke d'aider Spiral contre Bishop. Psylocke sonde l'esprit de Bishop et découvre qu'il est possédé par le démon ours. Lorsqu'elle l'en délivre, il prend Ginny comme nouvel hôte.


La manoeuvre affaiblit Psylocke qui est enlevée par Cluster, le clone féminin de Fantomex, son ancien amant au sein de X-Force. Cluster lui explique que Fantomex a été capturé par l'Arme XIII, son clone maléfique et Psylocke accepte de l'aider à le libérer...

Il n'est jamais aisé de passer après un auteur qui a fait d'un titre un énorme succès et on imagine la pression qui pesait sur les épaules de Sam Humphries quand a été relancée Uncanny X-Force à la fin du passage de Rick Remender. 

Pour ne pas risquer d'être comparé à son prédécesseur, Humphries prend donc une direction différente, à commencer par le casting de la série. Il ne conserve que Psylocke, dont il va faire la figure centrale de son run en explorant son parcours depuis la dissolution de la précédente X-Force. Il lui adjoint l'expérimentée Tornade puis ajoute l'inattendu Puck (membre de Alpha Flight) et Spiral.

En 2013, la série mutante la plus populaire est Wolverine and the X-Men de Jason Aaron dans laquelle Logan a rouvert l'école de Charles Xavier, rebaptisé école Jean Grey. Nous sommes après le schisme : Cyclope est resté avec ses fidèles sur l'île d'Utopia au large de San Francisco d'où il compte former les jeunes mutants à la guerre contre les homo sapiens. En revanche, Wolverine souhaite donner une éducation moins guerrière à ses élèves et il peut compter (entre autres) sur Kitty Pryde, Iceberg, le Fauve, Rachel Summers, puis un peu plus tard sur Tornade. 

Psylocke qu'il avait sous ses ordres quand il menait la X-Force intègre aussi le corps professoral mais elle se montre trop agressive, sans s'expliquer sur la violence qui l'anime. Wiolverine préfère alors qu'elle reparte sur le terrain.

L'intrigue est nerveuse, riche en action : il est question d'une drogue, le Tao, fournie par Spiral. Or, c'est Spiral qui, autrefois, a transféré l'esprit de Betsy Braddock dans le corps de la ninja Kwannon. Autant dire que les retrouvailles entre les deux femmes sont musclées. Mais un adversaire commun va les forcer à collaborer : en effet Lucas Bishop revient du futur, enragé, et traquant une jeune mutante, Ginny, sous la protection de Spiral.

Humphries convoque, pour expliquer l'état mental de Bishop le démon ours, créé par Chris Claremont et Bill Sienkiewicz dans les pages de New Mutants dans les années 80. Il faut purger l'esprit de Bishop tout en veillant à ce que Spiral ne le tue pas avant ni ne s'enfuit avec Ginny. Mais la mission ne va évidemment pas se dérouler comme prévu, particulièrement pour Psylocke.

Il y a un évident déséquilibre dans l'histoire car on sent bien que Humphries ne sait pas trop quoi faire de Tornade, plus employée pour sa puissance de feu que parce qu'elle est apte à traiter ce genre de cas. De même la présence de Puck a quelque chose d'incongru car le scénariste le réduit souvent à un personnage de séducteur-cogneur. En vérité, c'est bien le trio Psylocke-Spiral-Bishop qui l'intéresse ici et qui lui aurait vraisemblablement suffi (cela se vérifie encore par la suite).

Visuellement, on est plutôt gâté : Ron Garney est un gage de qualité, ou du moins de solidité. Hélas ! même avec l'aide d'un encreur (Danny Miki), il a du mal à enchaîner comme à ses grandes heures (dans les années 90-2000) et dès le troisième épisode, Adrian Alphona vient le soutenir pour les scènes dans l'esprit de Bishop.

Alphona, qui a connu la gloire avec Runaways puis Ms. Marvel, est un artiste mésestimé alors que son style est plus original. Même quand on lui colle Dexter Soy dans les pattes pour les épisodes 5 et 6, il s'impose par ses planches aux compositions excentriques, d'une grande beauté bizarre, avec les couleurs de Christina Strain. Si la série avait été dessinée dès le début par Alphona, elle aurait incontestablement gagné en personnalité, en singularité, comme cela va se vérifier ensuite. 


Torn and Frayed, le deuxième recueil de Uncanny X-Force écrit par Sam Humphries, collecte les épisodes 7 à 12, parus en 2013. Les dessins sont signés Adrian Alphona et Dalibor Talajic (#7 à 9), Alphnoa seul (#12) et Ramon K. Pérez ((#10-11).


Que s'est-il passé entre Psylocke, Cluster et Fantomex pour que ces trois-là soient fâchés et ne se fréquentent plus depuis la dissolution de la précédente formation de X-Force ? Psylocke se le remémore : elle était devenue l'amante de Fantomex qui voulait en faire une voleuse pour qu'ils travaillent ensemble. Mais lassée de la pression qu'il lui mettait, elle trouva du réconfort dans les bras de...
 

... Cluster, le clone féminin de Fantomex. Toutefois, Psylocke se rendit compte que Cluster la manipulait pour le compte de Fantomex. Elle décida alors de rompre avec les deux et de rejoindre l'école Jean Grey dirigée par Wolverine. Aujourd'hui, Cluster sollicite l'aide de Psylocke pour délivrer Fantomex, capturé par l'Arme XIII, son clone maléfique. Elles le retrouvent à Madrippor où l'Arme XIII révèle avoir capturé Fantomex pour attirer Psylocke qu'il aime aussi...



Pendant ce temps, Bishop, purgé de l'influence du démon ours, explique à Puck et Tornade que, dans le futur, il a affronté les Revenants et il sent leur présence à Los Angeles. Leur Reine envoie ses démons psychiques contre eux mais Bishop réussit à s'échapper.


Avec l'aide du démon ours, Bishop sauve Puck, Tornade et Psylocke, revenue entre temps auprès d'eux. C'est alors que Spiral resurgit : elle a pisté la Reine des Revenants qui a pris pour hôte le corps de Ginny, la jeune mutante qu'elle protégeait initialement de Bishop...

Ce deuxième arc, qui contient en fait deux actes distincts, est le plus réussi du run de Sam Humphries. Le scénariste se lâche et se démarque complètement de Remender pour entraîner ses personnages et le lecteur sur des sentiers très audacieux.

Dans les épisodes 7 à 9, on découvre ce qui est arrivé à Psylocke entre la dissolution de la précédente X-Force et son arrivée à l'école Jean Grey. Humphries construit son récit avec une narration parallèle très efficace et troublante, où il est question de manipulation encore une fois, mais de manière bien plus subtile.

Le ménage à trois entre Psylocke, Fantomex et Cluster réserve des moments d'un érotisme assez étonnant pour une série mainstream. Rarement un auteur est allé aussi loin pour parler de triolisme, de "trouple", bien avant les suggestions de Jonathan Hickman sur les relations entre Jean Grey, Cyclope et Wolverine ou Jean Grey, Cyclope et Emma Frost. Humphries ne suggère pas, il montre, et c'est aussi trouble, troublant que toxique.

Simultanément, on suit Psylocke et Cluster qui tentent de sauver Fantomex des griffes de son clone maléfique, l'Arme XIII (ou Dark Fantomex), animé par son amour pour Psylocke. Humphries avec Alphona (qui dessine les flashbacks) mais aussi Dalibor Talajic (qui dessine les scènes du présent) s'amuse notamment quand il introduit les deux femmes dans un drôle de bordel à Madripoor où toutes les prostituées sont déguisées en X-Men ou quand il écrit les romances contrariées entre Cluster, Fantomex, l'Arme XIII et Psylocke.

Les épisodes suivants (10 à 12) remettent Bishop au centre du jeu. Il est alors question de Revenants du futur et de leur Reine dont l'influence psychique et la horde de démons risquent de corrompre le monde entier. La menace est plus spectaculaire mais Humphries va avoir plus de difficulté à convaincre dans ce registre. A l'évidence, il est plus à son avantage quand il doit s'occuper d'un nombre réduit de personnages et de leurs tourments intimes.

Néanmoins, c'est encore assez probant, surtout parce que Ramon K. Pérez illustre cette partie (hormis l'épisode 12, encore une fois mis en image par Alphona parce qu'il s'agit aux 3/4 d'un flashback sur Spiral). Ces chapitres servent surtout de rampe de lancement à la fin de la série.
   

Enfin, The Great Corruption clôt le run de Sam Humphries sur le titre. C'est un arc narratif de seulement trois épisodes, dessiné par Philippe Briones et Angel Unzueta (#13), Briones et Dalibor Talajic (#15) et Briones seul (#14), paru en 2014. Le recueil s'achève avec le crossover en quatre parties avec Cable & X-Force mais je n'en parlerai pas car je ne l'ai pas lu.


La Reine des Revenants affronte X-Force au complet et révèle sa véritable identité : il s'agit de Cassandra Nova, la soeur de Charles Xavier. Elle divise l'équipe en expédiant Puck et Psylocke en Enfer tandis que le reste de l'équipe affronte sa horde de démons psychiques. 


Mais ce combat la diminue et pour convaincre Psylocke de la rejoindre, elle lui offre de réintégrer le corps de Betsy Braddock. Bishop et Spiral blessent Ginny et Cassandra se sert alors du corps de Betsy comme hôte. Psylocke n'a pas le choix : elle tue ce corps pour empêcher Cassandra de sévir plus longtemps et mettre fin à l'invasion de sa horde de Revenants...

L'intrigue est assez brouillonne et on sent bien que Sam Humphries veut caser des rebondissements de manière artificielle, forcée pour conserver les lecteurs qui sont restés. A ce stade-là, Marvel avait certainement déjà prévu l'annulation de la série, même si le crossover avec Cable & X-Force ressemblait à une tentative de la dernière chance pour la conserver. Mais ça ne suffira pas et Humphries perdra sur les deux tableaux.

Le fait même de ressortir du placard Cassandra Nova, la jumelle maléfique de Charles Xavier, souligne l'échec de cet arc. Depuis Grant Morrison et Joss Whedon, elle ressemble au croque-mitaine qu'on emploie pour agiter sous les yeux des héros un danger a priori insurmontable. Sauf que, sans lui manquer de respect, Humphries n'est ni Morrison ni Whedon.

Cependant, il joue une carte assez habile au moment où Cassandra Nova offre à Psylocke de lui rendre son corps originel (celui de Betsy Braddock). Mais c'est un peu noyé au milieu d'une grande bataille brouillonne, avec un passage WTF dans les enfers. De plus, il aura fallu attendre ces épisodes pour que la X-Force soit enfin au complet (c'est-à-dire avec Tornade, Puck, Spiral, Bishop, et Psylocke) !

La partie graphique voit défiler plusieurs artistes - trop en vérité pour si peu d'épisodes. Dalibor Talajic revient sur le #15, Angel Unzueta apparaît sur le #13, et Philippe Briones interagit avec eux mais n'a droit qu'au #14 pour lui seul. Beaucoup de monde, de styles différents donc.

On a le sentiment que sur ce run Sam Humphries n'a jamais vraiment pu s'exprimer librement, sauf sur les épisodes 7 à 9. Comme ce sont (et de loin) les meilleurs, les plus réussis, autant narrativement que visuellement, on devine à quoi aurait pu ressembler sa Uncanny X-Force. Pour le reste, on a un début un peu déséquilibré mais efficace et un dénouement brouillon.  

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