lundi 10 juillet 2023

TORRENT : VOLUME 1, de Marc Guggenheim et Justin Greenwood


Si le 13 Septembre prochain, vous voulez acquérir une bonne mini-série pour la modique somme de 9,99 $, alors retenez ce titre : Torrent. Il s'agit (pour l'instant) d'une série limitée en cinq épisodes, écrite par Marc Guggenheim et dessiné par Justin Greenwood. Ou l'histoire d'une super-héroïne qui perd tout et va se venger en décidant de ne pas faire de quartier, s'attirant les foudres de ses amis, sa famille, les autorités. Pour un résultat moins bourrin qu'il y paraît.



Michelle Metcalf est celle qui se cache derrière le masque de Crackerjack. Elle fait partie d'une équipe de super-héros, les Prétoriens, mais préfère agir seule. Pourtant elle est suivie régulièrement apr Slipstream, un jeune justicier qui veut être son sidekick mais qui manque de vigilance. Comme ce jour où il est blessé en intervention.


Soigné et se croyant rétabli, il est capturé par Killsquad, un super-vilain aux ordres de Mr. Skelton, le caïd local qui le torture pour connaître l'identité civile de Crackerjack et son adresse. Killsquad est envoyé sur place et tue Adam, le mari de Michelle, et enlève son fils, Ian. Crackerjack s'introduit dans le building de Skelton qui lui flanque une raclée, mais Madam Icon récupère Ian.


Captain Criterion, le leader des Prétoriens, refuse d'attaquer Skelton pour aider Crackerjack à se venger. Michelle s'adresse alors à l'inspectrice Thomas qui la renvoie à la procureure : hélas ! la loi est impuissante contre Skelton car rien ne le lie à la mort d'Adam et au rapt de Ian. Crackerjack entreprend de trouver Killsquad pour qu'il témoigne contre son patron mais l'assassin a été éliminé. C'en est trop pour l'héroïne qui décide de prendre les armes et d'attaquer les intérêts de Skelton.


Mais, ce faisant, elle franchit la ligne rouge et les Prétoriens comme la police décident de l'arrêter. Cependant, à l'hôpital, Slipstream sort du coma et prend conscience des conséquences de ses actes dans ce bain de sang...


J'étais totalement passé à côté de cette mini-série publiée par Image Comics cette année et c'est un ami qui me l'a fait découvrir. Et je peux vous dire que Torrent est d'une efficacité redoutable, un vrai page-turner qu'on lit d'une traite. Ce n'est certes pas bien épais, cinq épisodes, et le pitch ne relève pas de la grande littérature. Mais ce n'est pas un divertissement bourrin de plus.

Alors que le Punisher empoisonne depuis des années Marvel car son logo a été récupéré par des extrémistes de la Droite américaine et que l'éditeur a finalement choisi de confier le destin du personnage à Jason Aaron, Jesus Saiz et Paul Azaceta pour une mini-série en 13 épisodes, Torrent explore frontalement la figure du vigilante, l'anti-héros qui franchit la ligne rouge et se fait l'adepte d'une justice expéditive.

Et en cinq épisodes, Marc Guggenheim prouve qu'on peut très bien traiter d'un tel personnage sans de cacher derrière son petit doigt, en faisant en sorte que le lecteur comprenne son comportement sans le valider pour autant. Bref, que le Punisher peut être encore au coeur d'une série sans que cela soit un épouvantail éditorial ni un objet politiquement récupéré.

Marc Guggenheim est un scénariste aguerri : il a écrit pour la télé (notamment le Arrowverse de WB) et beaucoup de comics chez les Big Two, comme Aquaman, Wolverine, X-Men, et... Le Punisher. Et c'est comme si, avec Torrent, en parallèle du projet porté par Aaron, Saiz et Azaceta, il avait décidé de prendre le taureau par les cornes et d'en livrer une version sans filtre mais sans complaisance non plus.

Le fait initial de prendre une femme pour jouer un rôle aussi badass (comme aiment à dire les youtubeurs fans de comics quand ils ne savent pas comment définir un héros qui sort des clous), c'est déjà un geste politique. Car Guggenheim s'autorise à la maltraiter, ce qui n'est pas politiquement correct à l'heure de #metoo : Crackerjack en prend plein la tronche, qu'elle soit masquée ou non. Il y a là une absence d'hypocrisie salutaire car vu le chemin qu'elle emprunte, il aurait été irréaliste qu'elle esquive les coups et ne fasse qu'en donner.

Plus original : Crackerjack fait métier de super-héroïne, son mari et son fils sont au courant de ses activités, elle est membre d'une super-équipe, les Prétoriens (qui, dans la Rome antique, était un corps d'élite de la légion, disposant d'un arsenal qui lui était propre et de missions spécifiques). Même celui qui prétend être son sidekick (bien qu'elle n'en veuille pas), Slipstream connaît son secret. Et c'est justement là-dessus que repose l'argument de ma série.

En vérité, Torrent est autant l'histoire de Crackerjack que de Slipstream. Capturé, torturé, il livre le nom et l'adresse de l'héroïne à un caïd qui envoie aussitôt un tueur à gages l'éliminer. Le reste n'est que la conséquence de ce massacre et Guggenheim insiste bien sur un point : aucun individu normalement constitué ne peut faire face à un tel traumatisme. Lorsque Captain Criterion explique à Michelle Metcalf qu'il ne peut pas l'aider à se venger pour des questions de principes mais aussi de légalité, il ne considère pas un instant que ces préoccupations morales ont été anéanties. 

Cet argument se répète quand Michelle écoute la procureur lui détailler pourquoi Skelton est intouchable. Ce décalage entre des discours raisonnables, s'appuyant sur la loi, l'éthique, et la souffrance, la soif de vengeance, illustre parfaitement l'irréconciliable fossé entre une femme à qui on a tout pris et ceux qui suivent un code ou ceux qui profitent des règles. Ce qui n'excuse aucunement la bascule quand Crackerjack prend, littéralement, les armes et se met à flinguer à tout-va, pour perturber les trafics à l'origine de la fortune de Skelton.

Plus loin, à un moment crucial du récit, Michelle avoue qu'elle n'est plus Crackerjack, elle ne peut porter ce surnom, ce qu'il représente. Un témoin de ses exactions lui demande pourquoi elle en est rendue à ce qu'elle commet et elle répond : "c'est compliqué." On lui retorque que faire la part des choses, choisir le Bien contre le Mal, c'est pourtant simple puisque c'est ce qui définit un héros d'un vilain. Elle répète : "c'est compliqué." A l'abri des regards, une fois dans son repaire, elle s'effondre en larmes, repensant à son époux et considérant ce qu'elle est effectivement devenue : un monstre, une tueuse, qui ne vaut pas mieux que celui dont elle veut la peau.

Pas besoin de grand discours : Guggenheim appuie là où ça fait mal, simplement. Parce qu'il montre à la fois tout ce qui a brisé cette femme et tout ce qui la condamne, il en dresse non pas un portrait manichéen et donc facile à récupérer par des idéologues extrémistes mais au contraire, il la représente comme une héroïne déchue, qui dérape complètement, irréversiblement, sans qu'on puisse lui pardonner. Le dénouement est sans équivoque sur ce point là, même si le scénariste a voulu terminer sur une note plus optimiste (et qui pourrait inspirer une suite, avec plusieurs pistes possibles à explorer).

Torrent porte aussi bien son nom car c'est une série qui emporte tout sur son passage visuellement. Justin Greenwood est un artiste dont je n'avais jamais entendu parler avant mais qui produit des planches à l'énergie incroyable.

Son trait ne cherche pas le réalisme académique, il exagère les proportions, les expressions, force les perspectives, et son découpage est toujours au bord de l'explosion. C'est raccord avec l'histoire qu'il met en images. Parfois, il renonce carrément aux effets de volume et on a l'impression que ces personnages sont unidimensionnels, comme comme collés à la page. Mais c'est un parti-pris qui correspond à leur position : ils sont littéralement pris dans une toile dont ils ne s'extirperont jamais ou alors seulement lorsqu'ils seront poussés dans leurs retranchements.

Greenwood est très à son avantage dans l'action, qui ne manque pas dans ces cinq épisodes. Le premeir affrontement entre Crackerjack et Skelton, le tabassage des indics, la bataille épique avec les Prétoriens, sont autant d'occasions pour le dessinateur de prouver à quel point il ne retient pas ses coups, avec des compositions dynamiques, des angles de vue décapants et des valeurs de plan accentuant au maximum les impacts. Quant le récit se calme, il n'est pas maladroit non plus, alimentant une tension constante, soulignant la douleur, souvent rentrée, des personnages.

Pour ne rien gâcher, il est soutenu par un fabuleux coloriste dont j'ai déjà récemment parlé (dans ma critique sur Grim) : Rico Renzi. Capable de s'adapter à tous les styles, celui-ci donne ici une nouvelle preuve de son talent pour créer des ambiances, sombres, lugubres, désespérées, et pourtant très toniques.

J'ignore sir Torrent aura une suite et quelle forme elle prendra. En soi, c'est une mini-série qui se suffit à elle-même et qu'il serait dommage de poursuivre juste pour exploiter son filon. En tout cas, elle démontre que Marc Guggenheim, loin des contraintes des Big Two, étonne, et elle révèle un artiste prometteur avec Justin Greenwood. Quoiqu'il en soit, vous n'oublierez pas de sitôt Crackerjack après avoir fait sa connaissance.

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