vendredi 16 juin 2023

ROGUE & GAMBIT #4, de Stephanie Phillips et Carlos Gomez


Rogue & Gambit s'achèvera le mois prochain et comme souvent, on aurait aimé que Marvel donne à cette mini-série plus d'épisodes, voire la convertisse en une série régulière. Car Stephanie Phillips et Carlos Gomez produisent quelque chose de très sympa, de bien mené, qui échappe à la pesanteur du concept de Krakoa et qui, donc, en dit finalement assez long sur ce qui guide mais aussi enclave la franchise X.


Malicia vient de tuer le mutant Vanisher accidentellement dans l'antre du Power Broker, celui qui est derrière tous ces enlèvements de surhumains, dont Manifold. Mais alors que la mutante est acculée, Gambit surgit pour lui prêter main forte. A moins que ce ne soit trop tard ?


Parfois, ce sont les petits projets, les mini-séries qui nous enseignent ce qui cloche dans les grandes franchises. Et de ce point de vue, ce qu'a écrit Stephanie Phillips avec Rogue & Gambit en dit finalement long sur l'état actuel de la franchise mutante.


Ce quatrième et avant-dernier épisode concentre même à lui seul ce qui manque à beaucoup de fans tout en révélant, comme on le dirait du développement d'une photo, les limites atteintes pas l'âge de Krakoa. Quelque chose qui a à voir avec ce que les editors et les architectes en font, parfois en oubliant ce qui pourrait être l'essentiel.


Avant d'aller plus loin, cet épisode est très efficace et plaisant, come les trois précédents. L'intrigue évolue bien et Stephanie Phillips peut donc s'affranchir de quelques règles. Ainsi, elle ne se préoccupe plus de construire sur un suspense (qui procède à l'enlèvement de surhumains, dont certains mutants ? Pour le compte de qui ? A quelles fins ?) : tout ça est dévoilé dans les premières pages, au cours d'un rapide flashback, et à part le rôle joué par le Power Broker, un vilain qu'on n'associe pas aux mutants, l'implication de l'ambassadeur britannique anti-mutants Ruben Brousseau n'étonnera personne.

Par ailleurs, Carlos Gomez nous régale avec ses dessins toujours dynamiques, à la lisibilité sans défaut. Il anime Malicia avec son goût revendiqué pour les belles filles aux formes plantureuses mais sans sombrer dans la vulgarité, et lorsque Gambit entre en scène, il prouve que son intérêt et son talent d'artiste ne se limite justement pas aux belles héroïnes car il représente Rémy Lebeau avec tout le charme canaille qui le caractérise. Les scènes d'action, majoritaires, sont pleines de punch, spectaculaires à souhait. Vraiment, il est impossible de faire la fine bouche.

Ceci étant dit, on peut passer à ce que, donc, révèle Rogue & Gambit de l'âge de Krakoa. Alors que la franchise est déjà engagée dans une nouvelle phase, Fall of X, qui laisse peu de place quand aux projets éditoriaux pour les mutants (tout en ménageant un léger flou : s'agit-il d'un test auquel Krakoa survivra ? Ou d'une réelle chute ?), on se dit aussi que le projet de Jonathan Hickman a certainement dévié depuis le départ de ce dernier et qu'il a en quelque sorte vécu.

Depuis longtemps, les X-Men, qualité de franchise, ne se développe plus que par rebonds, par cycles, et on les reconnaît en les associant aux auteurs qui ont su faire souffler un vent nouveau sur ces personnages, leur univers. Il y eût Claremont et son long règne, Grant Morrison et sa révolution, Joss Whedon et son retour aux basiques, et il y eût Hickman et son reboot.

L'écueil de ce procédé, c'est que les X-Men semblent ne plus survivre qu'à coup de concepts plus ou moins révolutionnaires, et, c'est bien connu, en astronomie, une révolution, c'est un tour sur soi-même, donc tôt ou tard, ce qui a été initié revient à son point de départ. Les editors des X-Men ressentent régulièrement alors le besoin de confier cette franchise à un nouvel auteur qui saura lui donner un coup de boost, quitte à s'aventurer dans des directions improbables. Ainsi, Morrison a fini par jeter l'éponge quand les pressions éditoriales l'ont empêché d'aller là où il le voulait. D'autres ont préféré se limiter à une saga efficace mais fédératrice comme Whedon. Claremont a été doublé par Jim Lee. Et Hickman, contrarié par la pandémie, a abrégé ses projets en laissant nombre de pistes narratives possibles pour ses suiveurs.

Claremont est sans doute, de tous ces scénaristes que je retiens comme fondamentaux, celui qui avait le moins prémédité son coup, il a fonctionné empiriquement, développant un univers dans des proportions et sur un temps considérables. Mais ce faisant, il n'a jamais oublié que raconter des histoires étaient la priorité, davantage que le concept était le récit, jusqu'à ce que les deux ne fassent plus qu'un. Tous ceux qui ont voulu imiter cela se sont plantés ou n'ont en tout cas pas réussi à tenir si longtemps ou à laisser pareille empreinte.

Depuis le départ de Hickman, on voit bien que s'affrontent deux courants : d'un côté, ceux qui veulent puiser dans le jardin de l'architecte, et ceux qui veulent à leur tour entraîner la franchise vers de nouvelles limites, quitte à jouer avec sa fin (la fin de l'âge de Krakoa). D'un côté, Gerry Duggan, de l'autre Kieron Gillen, en gros. Ceux qui tentaient d'exister entre eux, en essayant autre chose, à commencer par prioriser les personnages, les histoires aux concepts, ont été balayés - et je pense spécialement à Vita Ayala, qui abattait un travail remarquable sur New Mutants. D'autres ont été plus roublards, en cultivant leurs propres territoires, à la marge, comme Benjamin Percy avec X-Force et Wolverine, quitte à ne raconter qu'une seule histoire (ou pas loin) et à hérisser les fans (en faisant du Fauve un vrai monstre notamment).

Dans cette configuration, le concept a clairement gagné sur les histoires et les personnages, complaisamment même puisque, aujourd'hui, le conseil de Krakoa est plus que jamais peuplé de racailles et que le spectacle global de la franchise est devenu lugubre, assez pour justifier qu'il faille provoquer la chute du X. Est-ce ce que Hickman aurait fait s'il était resté aux commandes ? Est-ce la direction qu'il aurait donnée ? Peut-être dans la mesure où Hickman travaille le concept plus que les histoires souvent. 

Ce qui est certain, en tout cas selon moi, c'est qu'aujourd'hui avec cette victoire du concept sur l'histoire, c'est que lire du X-Men sans dépendre de toute la franchise, est devenu rare, trop rare. A force de "saisonner" la franchise (en Dawn of X, Reign of X, Destiny of X, Fall of X et Dieu sait quoi encore après, au rythme des Hellfire Gala, des formations changeantes des X-Men), une année de publication devient le cadre formaté dont on ne peut plus sortir, c'est le temps imparti pour dire ce qu'on a à dire avant que tout soit chamboulé. 

Alors, ceux, parmi les fans, qui veulent encore simplement suivre des histoires de mutants sans grands concepts n'ont finalement plus que des mini-séries qui peuvent très bien se dispenser de références aux cycles éditoriaux. Des récits comme X-Terminators, ou Rogue & Gambit. Est-ce un hasard si ce sont des femmes qui les écrivent, ces histoires, avec des artistes qui ne dessinent pas les séries les plus exposées, avec des personnages sans domicile fixe mais appréciés ? 

Au fond, ce qui interroge vraiment, c'est cette espèce de course à l'échalote depuis Dawn of X. Et si Jordan White, l'editor-in-chief de la franchise X, levait un peu le pied et laissait tout le monde raconter des histoires au lieu de vouloir réinventer tous les ans Krakoa ? Hickman n'est plus là, et ni Duggan, ni Gillen, ni Percy, ni Ewing ne l'ont remplacé (même si certains aimeraient bien visiblement). Pourquoi ne pas laisser filer deux ans avant de tout ébranler à nouveau, juste pour que les séries puissent exister sans pression (autre que d'être achetées et lues) ? Ou alors, quitte à tout chambouler, le faire vraiment en osant confier les rênes à de nouveaux auteurs, frais, en renouvelant profondément les auteurs, les artistes ? Exit les Duggan, Gillen, Percy, Ewing, et place à Leah Williams, Stephanie Phillips, faire revenir Vita Ayala, et quelques autres qui n'auraient jamais touché aux mutants. Chiche ?

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