Cette fois, ce devrait vraiment être le dernier numéro de Nightwing dont j'écrirai la critique. La série va elle aussi connaître un hiatus de deux mois, le temps de l'event Knight Terrors, et reprendra en Septembre, mais sans moi. Tom Taylor et Bruno Redondo ont imaginé une histoire en caméra subjective, entièrement du point de vue de Nightwing. Le résultat est donc un pur exercice de style. Mais pas que.
A peine réveillés, Dick Grayson et Barbara Gordon reçoivent un appel de la maire de Bludhaven les avertissant qu'une arme biologique circule en ville à bord d'une rame de métro. Nightwing et Batgirl découvrent que l'une des Double Dare s'st injecté un vaccin et est poursuivie par les ravisseurs de sa soeur jumelle...
J'ai différé autant que possible le moment où je lâcherai Nightwing parce que c'était une série sympa, à laquelle on ne pouvait reprocher de divertir de façon qualitative. Cependant, on pouvait la blâmer pour son inconsistance chronique, sa narration lâche, et les prestations en pointillés de son artiste principal.
Les fans de comics adorent brûler ce qu'ils ont aimer et, même si je me retiens de céder à cette tentation, je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre que je ne le fais pas. Quand il a repris la série, Tom Taylor m'a séduit par son amour du personnage et son écriture entraînante tout comme Bruno Redondo avec son graphisme inventif et élégant.
Puis, progressivement, le charme s'est dissipé comme un parfum capiteux. La décompression narrative a eu raison de ma patience, des intrigues inégales se sont accumulées, et le dessinateur titulaire était trop souvent remplacé à mon goût par des suppléants doués mais un cran en dessous. S'est alors posée la question : combien de temps encore allais-je donner sa chance au produit ?
Je disais que les fans de comics sont parfois capricieux et dénigrent aussi vite qu'ils encensent. Prenez Bendis, Millar, des hit-makers longtemps loués justement pour leur capacité à transformer le plomb en or et qui ont fini sur le bûcher pour avoir trop recyclé les mêmes idées, les mêmes motifs. Prenez Aaron idolâtré quand il animait les mutants puis vilipendé pour ses Avengers. Prenez Johns applaudi pour avoir porté aux cimes Green Lantern puis méprisé pour avoir lancé les New 52. On pourrait continuer longtemps comme ça.
A sa façon Tom Taylor a fini lui aussi par lasser en utilisant trop souvent les mêmes recettes, en préférant la forme au fond. Si des lecteurs continuent d'apprécier sa soupe, d'autres voient en lui un escroc qui n'a finalement pas grand-chose à raconter.
Je n'irai pas aussi loin même s'il m'a souvent agacé. Ce n'est pas un mauvais bougre, j'en suis sûr, il aime ce qu'il fait, ses personnages, est sincère dans sa démarche. Mais au fond, comme Tom King (qui demeure bien plus doué que lui), il est plus agréable à suivre dans ses histoires hors-continuité que dans des productions mensuelles plus calibrées.
Ce 105ème épisode de Nightwing résume parfaitement Taylor : l'épisode s'appuie sur une prouesse, raconter une histoire en temps réel, du point de vue de son héros. C'est-à-dire qu'on voit ce qu'il voit, et qu'on le voit, lui, uniquement dans des miroirs, des reflets. De la caméra subjective. Pourquoi ?
Pourquoi pas ? Rien ne justifie spécialement ce truc visuel sinon le simple amusement et l'exploit visuel accompli par Bruno Redondo qui, comme dans Nightwing 87 et son fameux plan-séquence, fait un super boulot, respectant cette gageure avec brio. Le découpage est très fluide et dynamique, toujours en mouvement, et souligne la drôlerie de certaines situations sans trop insister.
C'est vraiment dommage que Redondo ne soit pas plus régulier et ne puisse pas enchaîner les épisodes, mais ce n'est pas en s'engageant dans la réalisation d'épisodes spéciaux comme celui-ci qu'il se corrigera. Le comble, c'est que même quand il a reçu l'aide d'un encreur, son rendement est resté le même. Au fond, ne serait-il pas plus avisé de la part de DC et de Tom Taylor d'employer Redondo sur un récit au sein du DC Black Label où la périodicité est moins stricte et où donc il aurait le temps de dessiner à un autre rythme, moins soutenu.
Toutefois, il serait injuste et faux de comparer ce n° 105 au 87, qui était un coup pour rien, un machin tape-à-l'oeil sans intérêt (et qui, en recueil, n'a pas pu être édité en dépliant pour apprécier le plan-séquence). Tout simplement parce que, cette fois, Tom Taylor s'est souvenu de poser un enjeu consistant et surtout qu'il avait un vilain qu'il a beaucoup trop négligé.
Je vais donc spoiler et je me le permets puisque c'est ma dernière critique sur Nightwing. A la fin de cette course-poursuite, le héros aboutit dans le bureau de l'homme qui traquait les Double Dare. Il s'agit d'un nommé Lyle Shelton et, comme dévoilé dans l'Annual de Nightwing (que je n'ai pas lu mais ce n'est pas préjudiciable à la compréhension), c'est l'alter ego de Heartless, l'homme qui a tué Blockbuster et organisé l'attaque contre la prison de Blüdhaven dans le n° 100.
Taylor, qui semblait jusque-là se servir de ce méchant seulement quand il y pensait alors que, dans le même temps, il voulait en faire l'antagoniste principal de Nightwing (en mêlant ses origines aux siennes), réussit enfin à rattacher les wagons et à réunir les deux adversaires (même si Nightwing ignore que Shelton est Heartless, mais au moins maintenant sait-il qu'il faut s'en méfier). Que ce fut laborieux ! Mais pour ceux qui sont restés jusque-là, c'est comme une récompense.
Hélas ! trop tardive. En tout cas pour moi. Avec des "si", dit-on, on mettrait Paris en bouteille, mais avec des si Taylor était plus rigoureux dans son écriture, si Redondo était plus ponctuel ou carrément remplacé par un dessinateur vraiment régulier, Nightwing serait un fleuron du Dawn of DC. Malheureusement, ce n'est qu'une série qui a eu raison de ma patience, malgré des atouts et des atours évidents. Dommage.
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